mardi 28 juillet 2015

Poèmes saphiques de Daniel Aranjo (suite et fin)



BERCEUSE SAPHIQUE TRIPLE


vœux d’heureuse traversée


I.         [strophe α]

Presse, amie, dans ton sommeil bienheureux d’enfant, le globe pâle de ton sein contre mon sein bruni
et dors, encore dors, puisque c’est moi qui veille et que

ah las ! et dire que dans trois jours tu partiras, à l’aurore, pour profiter de la brise obscure de terre
vers ton archipel obscur, en faisant brève relâche autour d’un phare et de sa belle eau à Chio -
mais Sapphô sur ses mules diffuses t’aura longuement accompagnée de la main, depuis notre infini rivage,
courant soudain pieds nus vers toi à travers le grain contraire, et lançant cette prière à l’outre oblongue du Notos :

" Or vous donc, vents rhodiens d’après-demain, donnez belle poupe à mon amie qui dort ci présentement entre mes bras,
puisque périr en mer, c’est y perdre d’un coup et corps, et âme, et sépulture, et que le ventre fin à cordelette et coquillage veineux (divulguant partout notre passion) de cette vierge
que je suis la seule à avoir jusqu’ici au monde après sa mère infiniment bercée doit rester intact et pur et im-

mortel à jamais pour moi (et pour l’honneur saint de notre Aphrodite à toutes deux, qu’aucun dieu jamais n’enterrera) ! "


II.        [antistrophe α’]

[En sorte que] cette belle eau où tu vas boire à Chio, hors salins dorés et noire violette, on la montrera, et y boira encore dans vingt siècles
en souvenir de ce subrécargue de ses cousins à qui Sapphô aura confié ton heureuse et presque rapide traversée. […]


III.      [strophe β]

(Ah, mais quand tiendras-tu, enfant, ce poëme sous tes longs yeux clairs et ton fichu turquoise
à dos d’ânesse, entre tes roses profondes de Rhodes, à mi-pente vers la campagnarde kasbah de Lindos où tu vis ?)

D’abord, le recopier ; puis attendre jusqu’à la fin tenace de l’hiver tueur d’oiseaux et à la pacifiante reprise de la navigation entre nos îles,
prompte comme la pensée, pour enfin t’y en expédier la strophe triple et l’ambassade ;

et te dire aussi - d’abord - surtout - ceci :
sois-moi jusque là-bas fidèle (je t’offrirai à ton retour un laineux tapis d’Asie, et la nacre vineuse d’une conque) ; que je sois bien ta dernière et ton dernier ; sinon je meurs. " […]


SONS


les raisonnements silencieux que je me fais
(le langage qui naquit, jadis, autour d’un feu obscur),
et me refais soudain
(naissance obscure du langage, jadis, sous l’étoupe de l’origine, autour d’un feu luisant, bien avant l’éternité obscure de Saturne),
tes jeunes seins (ferme raisin vert muscat), les bords de ton âme belle (oui, tu es mieux formée que Mnasidika mais ne lui répète pas),
le jeune poids de tant de choses que je n’aurai pas tenu

et l’hiver mytilénien qui vient.


SON, PARFUM


Musique, son, parfum tout est plus lent et long la nuit, comme une torche maintenue au pôle tout un hiver six mois durant sur
                                               tes seins
                                               tes fesses
                                               ton cirque
                                               obscur à
                                               demi velu
paisible comme l’or et le brasillement de baisers de mes lèvres sur l’égratignure d’une filiale peau que ce simple contact anesthésie.


CRI


Ah laisse, encore, amie,

ah laisse encore moi
de loin

represser
de la paume tiède de ma main

ton sang tiède, sang pâle, sang noir - tiède chair
et ta drapante et éclatante nudité

barrée d’un bref triangle, noir,

ah et encore de loin
moi

y regoûter
l’alcool atroce de tes cuisses, le sel brun de leur pli

où, seule, moi je sais

et, sein contre sein, une fois dans les bras l’une de l’autre brisées,
encore soupeser l’astre électrique et noir de tes cheveux

en aspirant

ton âme
ton souffle
ta langue

jusqu’au sa-ang

sous la fresque enneigée de notre ultime soir

et cet amour, amie,
telle une salamandre, se nourrir du feu de néant de notre absence !!


SUPPLIQUE


Et puis, maintenant, étends-toi, longuement, sur le ventre
que

je puisse plaquer mes seins contre la griffure tiède de tes côtes
en te serrant jusqu’au supplice contre le bois dur et froid du lit,

fêter ta nuque (oh non, toi tu ne la verras jamais)
à petits coups de langue à la racine même du cheveu

et de leur raie, même (cruelle, écartée, ouverte, nue !)
et puis perdre enfin sans fin tête et patrie

dans les cheveux tièdes et infinis de ton infinie tête
            chaude, et close.

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