Que dire? Je voudrais te parler de Paris ces jours ci. Hors des flots de paroles que déverse la radio. Je n'ai pas la télé. C'est heureux.
Vendredi soir j’étais dans un café dans le centre de Paris pour des lectures de poèmes avec d'autres amis.
Nous sommes rentrés vers 23h peut être. Rien ne paraissait anormal sauf lorsque je suis arrivée à la Gare de l'Est, où était annoncée la fermeture des 3 stations de métro par la police près de République.
Rien d'autre. J'ai pensé qu'il y avait eu des émeutes peut être ou des rixes mais je n'ai pas pensé à des attentats.
J'aurais préféré des émeutes j'aurais préféré une saine colère populaire.
En rentrant chez moi je l'ai appris par la radio l'horrible folie meurtrière.
Cette idée permanente du risque depuis janvier dernier je l'ai pensée puis elle s'est estompée mais...Je sais bien que nous sommes des pays où nous en étions protégés jusque là. A Kaboul où je suis allée c'est tous les jours, tout le temps et dans les pays en guerre c'est aussi quotidien et sans fin.
Je n'ai pas dormi beaucoup la nuit de vendredi à samedi. J'ai écouté la radio j'ai surfé sur Facebook.
Tu ne peux pas savoir le bien que font les messages amis depuis le plus lointain lorsqu'il règne l'odeur de mort sur la ville, lorsque chaque heure dévide sa litanie de nouvelles de plus en plus angoissantes.
J'ai reçu des messages d'amis poètes lointains. Beaucoup du Magreb. D'Italie. D'Espagne D'Argentine. D'Égypte. Et du Népal sans doute le premier poète à s'inquiéter si tout allait bien.
J'ai écouté et lu beaucoup les interrogations les explications jusqu'à la prostration. Samedi j'étais prostrée. Heureusement mon fils est venu à Paris . Et il m'a sortie de cette torpeur. Il m'a dit il.faut sortir. Il faut vivre.
Nous sommes allés dans un restaurant arabe dans mon quartier. Et là j'ai vu et ressenti quelque chose de très ancien . Le patron nous a bien accueillis . Il nous a proposé de façon insistante de nous mettre dans l'arrière salle. Je pense que c'était une mesure de protection de ceux qui savent ou qui ont vécu déjà ailleurs et avant en Algérie cette horreur.
Et j'ai dit non j'ai dit on ne va pas se cacher comme des rats.
Vivre normalement.
Dimanche j'ai écrit lu écouté encore.
Vers 17h une amie poète m'a proposé d aller boire un verre vers le bassin de la Villette.
Nous avons passé plus d'une heure à discuter jusqu'à une fausse alerte. Un mouvement de panique sur l'autre quai. Des gens couraient certains se sont jetés dans le canal je crois. Il.y a eu un moment de panique ou les gens rentraient dans le café, la panique , bousculades et nous rampions sous les tables. Il est difficile de ne pas céder à cette panique tant l'atmosphère est tendue et où on sent.les gens à bout de nerfs.
Lorsque nous avons quitté le café c'était un vrai champ de bataille. Tables reversées grand désordre ainsi que dans les cafés environnants. Immédiatement les cafés et restaurants ont baissé leurs rideaux et les gens refluaient méfiants. Des voitures de police . sirènes hurlantes.
J'ai dit a mon amie : voilà ce que nous devons nous habituer à vivre.
Elle m'a dit cela me donne envie d'être dans ton Auvergne. Oui j y pense.
Je suis rentrée. J'ai écouté la radio . J'ai regardé les messages sur Facebook. Il y avait plein de messages amis encore. Des signes de par le monde, de monuments aux couleurs de la France. Un ami musicien avait envoyé depuis le Pérou un enregistrement de la marseillaise qu'il venait de faire à la guitare.
Je n'aurais jamais cru que je pouvais pleurer en écoutant la Marseillaise et pourtant j'ai pleuré en l'écoutant a plusieurs reprises ce week-end. Notamment lorsqu'elle a été interprétée à New York en prélude à un concert. Et là encore par cet ami guitariste. Car nous avons besoin de pleurer.
Il.faut vivre. Etre ensemble. Mais j'ai peur des mouvements de foule. De la panique qui.peut s'en emparer.
Il m'est difficile d'avoir du recul ces jours ci.
Et puis je dois être opérée le 18. Demain je rentre a l'hôpital. J'ai dit a mon amie. Pendant la guerre Antonin Arthaud se faisait hospitaliser. L'hôpital est un lieu de protection peut être? Je ne sais pas.
Oui tout doit être rediscute mais pas seulement. On discute beaucoup, vainement parfois et on oublie de ressentir. On oublie d'aimer, on oublie d'être présent. Or dans les moments de détresse. Il faut des gestes simples de vie. Il faut la précaution du restaurateur qui propose l'arrière salle. Il faut la main amie sur l'épaule. Le signe tenu même lointain des amis qui pensent à vous.
Il y a eu la prostration, la tristesse et aussi la colère envers ces hommes politiques qui nous précipitent dans l'enfer.
J'ai regarde une vidéo où un seul a une analyse saine depuis longtemps. C'est De Villepin. Il dit on ne fait pas la guerre au terrorisme elle est perdue d'avance. Il faut agir autrement.
J'ai écouté le juge Trevidic, qui ne mâche pas ses mots sur la politique intérieure et extérieure.
Et lorsque je vois la logique de guerre contre le monstre. Je ne suis pas sûre de l'issue qui est proposée.
Car quand ce pays des droits de l'homme va t il cesser d'être schizophrène? Quand allons nous cesser de commercer avec ceux qui arment les djihadistes? Quand allons nous cesser d'être à la remorque de la politique américaine qui dans son pragmatisme libéral s'allie avec les monarchies du Golfe même les plus sanguinaires? Nous faisons la même chose et nous nous étonnons du résultat.
Nous n'avons pas une classe politique digne. Nous avons affaire à des apprentis sorciers.
Après Chirac nous avons eu des va en guerre, qui ont suivi les guerres désastreuses en Irak en Libye et en Syrie. Et ailleurs. Et maintenant?
Au nom de quoi? Des droits de l'homme? Ou du commerce des armes?
Oui il faut rediscuter et je dis ma colère contre ces politiques libérales dont l'ultime stade impérialiste est la guerre.
Hier j'ai vu après la fausse alerte au café une jeune femme péter les plombs . Elle hurlait qu'elle ne voulait plus vivre qu'elle voulait se suicider.
Nous entrons dans une ère nihiliste alors que nous devons aimer la vie encore plus de vie.
Tu vois je ne suis d'aucun secours. .. mais interrogeons nous, échangeons. Et écrivons.
En ce moment j'écris plus des poèmes de consolation que d'engagement résistant..
Le monde a tant besoin de compassion de bienveillance et de bonté.
Je t embrasse fraternellement. Meilleures pensées à toi. Prends bien soin des tiens.
4 commentaires:
Très belle lettre à laquelle je ne peux que souscrire. Réfléchissons, certes. C'est pourquoi, je rajouterai ceci : il me semble qu'avec ce mot de "barbarie", nous avons la mémoire courte. Il me semble que dans une histoire plus ancienne, et cependant récente, nous pourrions appliquer le mot à nous-mêmes, souvenons-nous des guerres coloniales, par exemple... La dichotomie, oui, le grand instigateur de la colonisation ne fut-il pas Jules Ferry, celui de l'école gratuite, laïque et obligatoire? Notre longue histoire avec certains pays du Maghreb, une histoire de je t'aime moi non plus, n'a jamais cessé d'être une déchirure, je la relie à celle de ces nouveaux "barbares" qui ne viennent pas de nulle part.
Normal, cher X ! Le fait que nos ancêtres se soient comportés en "barbares" et que nos contemporains soi-disant civilisés agissent souvent de même, n'empêche nullement de pouvoir considérer tels ceux qui agissent de même, sans que cela comporte le moindre dédouanement pour d'autres peuples.
Tunis est une ville qu'on tente d'asservir. Meurtrie une fois de plus. Nous sommes à vos côtés pour une Tunis et une Tunisie libérées...
Rassurez-vous, X, ils ne passeront pas. La Tunisie est plus forte qu'ils n'imaginent. La réponse tunisienne ne saurait tarder
Amitiés
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