Van Gogh : Sentier de bois.
Hier on abattait un grand arbre qui
remplissait trop ma fenêtre. Un grand arbre : c'est nommer de façon trop vague
celui qui fut bien des fois le refuge de mon enfance. Que La Fontaine dise que
les arbres parlent peu, on pouvait le croire avant la venue des Grands
Romantiques. Depuis, nous savons que les objets, les arbres, les lieux parlent
beaucoup aux poètes. Ce vieil arbre aurait su vous parler de moi, comme le
saurait encore le pauvre sentier rural qui limite mon angulus pontacquais. Tenez ! il me parle à la minute même, et je
vous traduis : "Saint- Clair ! les
médaillons, les bronzes, les squares que tu énumères au début de cet hommage,
je crois que rien de tout cela ne pourrait convenir demain à ta mémoire, mais
plutôt ma petite veine de terre brune étouffée de fougères. Car, après tout,
qui m'empêche de soutenir que bien mieux que sur ton pupitre d'étude, c'est
tout au long de mon fil rural que sont éclos en esprit tes poèmes et que, sous
le vent d'octobre, ce sont mes fougères sèches qui t'accompagnent du bruit du
papier froissé - ce bruit que connaît si bien le poète. "J'accepte.
Oui comme il parle juste ce petit
sentier où, depuis cinquante ans, je me promène souvent à la tombée de la nuit
et toujours comme dans une fable de La Fontaine qu'animerait le hérisson, le
lapin, la couleuvre, et mon frère ici présent ne me démentira pas si j'ajoute
le renard. Car ne disons pas que les bêtes s'éloignent. Jamais n'y furent nos
rencontres plus fréquentes qu'aujourd'hui.
C'est là que j'ai appris et que je
continue à l'apprendre, l'art très noble de laisser mes poèmes peu à peu
s'achever tout seuls, et comme pas à pas :
pedetentim pauca. C'est un sentier de petite sagesse, vous dis-je, bon pour
Jean-Jacques Rousseau - à une époque où les Rois eux-mêmes marchaient, où Maine
de Biran marchait, où Goethe marchait. Un petit sentier de lenteur,
inconcevable à notre époque qui tout de suite réclame un résultat. Un petit
sentier aux vérités paysannes, qui vous rappelle sagement que le blé par
exemple semé à l'automne se moissonne l'été suivant, comme du temps d'Hésiode.
Hésiode ! Les Travaux et les Jours de
nos humanités, vous souvenez-vous ? Comment ne pas aimer ce beau titre terreux
: les Travaux et les Jours, si l'on
est poète et que l'on sache que les mots, comme les blés, commandent le labeur
souterrain des nuits, pour éclore ? Rilke ne l'ignorait pas, qui proclame : Je crois aux nuits.
Nuit du 4 septembre 1994.
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