HOMMAGE
AU PRÊTRE-POÈTE GEORGES SAINT-CLAIR
disparu
le 20 mai dernier
Daniel ARANJO
Prix de la Critique de
l’Académie Française 2003
Je voudrais tant être à
Pontacq avec vous tous, mais le 20 mai je me trouvais dans l’avion entre
Francfort et Montréal pour un colloque canadien, sans quoi, j’aurais
évidemment annulé ce voyage. Quand j’avais été en 2013 au Mozambique (un mot
qui pour l’Abbé ne valait que par ses sonorités et le souvenir d’un vers de
Francis Jammes), j’avais tenu à amener en avion et à lire, entre l’île Maurice
du poète Paul-Jean Toulet (sans oublier Virginie, si chère à Saint-Clair) et
l’Afrique du Sud de personne, une lettre de l’Abbé où il me disait qu’il
fallait se circonscrire et ne pas bouger de chez soi.
L’Abbé était une part
essentielle, constitutive de chacun d’entre nous, avec son univers propre,
précis, méticuleux, servi par une mémoire d’historien pour les dates et
d’acteur de théâtre pour les vers, capable d’en redire des dizaines, parfois
peu connus, et ce jusqu’à ses derniers jours. C’est un immense poète, d’autant
plus admirable en ses moindres subtiles, profondes, indéfinies nuances qu’il
n’avait rien fait pour se faire connaître ; mais les enthousiasmes et les
amitiés (et les amitiés d’amitiés) suscités par sa poésie et sa personnalité (sans
oublier son humour, inépuisable, souvent surréaliste et comme enfantin et pur) surgissaient
tout seuls, indéfectibles, militants dès qu’on y tombait dessus ou y était
conduit. C’est ainsi qu’il a été Grand Prix de Poésie de l’Académie Française
en 1993, l’équivalent du Goncourt pour la poésie. Et j’ai eu l’immense joie de
le voir enfin convaincu de la valeur de ses vers ces derniers mois à
François-Henri : cela ne lui arrivait guère avant.
Je l’y ai vu le 18 mai
entre deux voyages et deux colloques, l’un au Portugal et le présent au Québec.
Il parlait avec difficulté, mais ce fut pour me dire son amitié pour un de nos
amis poètes, un familier nostalgique de Pontacq, Michel Bulteau, ancien éditeur
à Paris : amitié « toujours neuve », m’avait-il répété trois
fois, pour que je la lui transmette le 9 juin, à Paris où je devais le voir. Cette
amitié « toujours neuve » est celle qu’il réservait à ses amis, et
que ses amis lui vouaient, ravis par sa culture encyclopédique elle aussi
toujours neuve (combien de découvertes ne lui devons-nous, et de dévotions
littéraires fécondes, définitives pour Pierre Benoit, Erckmann-Chatrian, les
frères Tharaud en ce qui me concerne ?). Ravis par sa vertu d’enfance, par
la fraîcheur de son regard, les couleurs vives de sa mémoire pour Ravenne par
exemple où il n’avait jamais été mais dont il gardait un souvenir verni,
brillant et où, moi, du coup j’ai tenu à aller quand je passais enfin par
là ; parfois je lui téléphonais d’un coin de sa chère, mythique Espagne,
celle d’avant les autoroutes, et dernièrement à François-Henri de la manuéline Batalha
au Portugal où il avait été et qui, à ce seul nom, ressurgit à l’évidence
intacte et ciselée de sa millimétrique mémoire. Son dernier mot, quand je le
quittai pour toujours, sans le savoir, à François-Henri, concernait la date de
ce jour 18 mai qui lui rappela je ne sais plus quel fait napoléonien. Outre
l’amitié « toujours neuve » dont il me parla alors, je tiens à
mentionner qu’il eut alors le même qualificatif pour « l’espérance »,
vertu théologale comme on sait. Car le christianisme de l’Abbé, à qui il a voué
toute une vie de pauvreté heureuse et consentie dans le fond d’un collège
contraignant et mythique, dans le fond d’un Béarn humble et paysan et familial,
à Lys, Lucgarier et Gomer, entre de saints chats de presbytère et ses chiens de
Pontacq, ce christianisme, sans tambour ni trompette ni beaucoup de clochettes,
et qui dut lui coûter tant de renoncements, de sacrifices, de violences sans
doute contre lui-même, valait par son exemple existentiel et pouvait faire
regretter de n’être pas chrétien à ceux de ses amis qui ne l’étaient plus guère.
Je ne saurai omettre de mentionner l’un de ses derniers grands
réconforts : qu’un nommé François ait été élu et s’avérât aussitôt le Pape
assisien que l’on sait.
Merci cher Béga, cher
abbé Bégarie, cher Jean, immense Georges Saint-Clair digne neveu du grand et
jeune poète gascon Jean-Baptiste Bégarie (1892-1915), ici présent aussi, merci pour
ce que vous êtes.
Daniel Aranjo
Résidence universitaire
Est, Université du Québec à Montréal (UQAM)
22 mai 2016 *
*
texte envoyé par Daniel Aranjo à la famille de l’abbé Jean Bégarie, Georges
Saint-Clair en littérature, décédé le 20 mai 2016, à l’occasion de ses obsèques
le 24. Pontacq est le nom de la petite ville, à 15 km de Lourdes, où vécut
l’Abbé et «François-Henri» celui de la maison de retraite pour vieux prêtres de
Pau (Pyrénées-Atlantiques) où il s’est éteint.
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