lundi 20 juillet 2009

Ne sommes-nous pas tous des migrants ?


Le Zeitung vum Lëtzeburger Vollek publie dans sa livraison du 10 juillet un article de Michel Schroeder consacré à Nous sommes tous des migrants ouvrage dirigé par Giluio-Enrico Pisani et auquel ont contribué Anita Ahunon, Afaf Zourgani, Laurent Fels, Laurent Mignon et moi-même.


Ne sommes-nous pas tous des migrants ?

Il nous faut, dès aujourd’hui et non pas demain, ouvrir toutes nos frontières, non pas par crainte que l’autre viole un jour notre territoire (au fait, aucun territoire ne nous appartient !), mais dans un élan commun de fraternité humaine et universelle.
Aucun territoire ne nous appartient, peu importe notre origine ou notre lieu de naissance, car nous sommes, chacun et chacune, de naissance et d’essence universelle, donc par définition, nous avons « droit de cité » sur la planète entière. Il nous incombe impérativement, et, sans discussion ou discours creux, le devoir d’ouvrir nos portes à nos voisins et voisines, si souvent malmenés par le colonialisme et par la crapuleuse société du profit.
Giulio-Enrico Pisani (et ses ami(e)s) nous invitent à un poignant voyage au pays de la tolérance et de l’ouverture, avec le généreux ouvrage Nous sommes tous des migrants, publié aux Editions Schortgen. (editions@schortgen.lu / www.edi tions-schortgen.lu). Un livre que nous avons le devoir de lire, tant il prend aux tripes, tant il participe à l’humanisation de la race humaine.
Giulio prétend que NOUS SOMMES TOUS DES MIGRANTS, car comment nier, en effet, que sur cette terre tout le monde soit, ou ait été, un migrant, ou bien descende de migrants. Combien a-t-il raison, ce poète, ce philosophe ! Car nous sommes bel et bien de partout, de tous les lieux, de toutes les patries, de tous les territoires, de toutes les forêts, savanes et jungles, de toutes les villes, cités, mégalopoles, de tous les trous perdus, de tout village, cité-dortoir ou encore de chaque lieu-dit. Penser ainsi, est déjà aller vers le respect total et global de l’autre, de la planète mère, de la terre, ce fœtus de la race humaine, cette matrice de la vie et des générations à venir.
Au quotidien, nous assistons, impuissants, au drame et aux tragédies de ceux et celles qui fuient leur pays, afin d’échapper à la misère, à la famine, ou à des conflits. Ces tragédies se jouent au quotidien, en Méditerranée et ailleurs.
Mario Hirsch, Directeur de l’Institut Pierre Werner, dans sa préface au livre Nous sommes tous des migrants, salue ce témoignage, cet échange épistolaire passionnant et passionné entre des gens qui sont des littéraires et des poètes, ce témoignage qui va droit à l’essentiel, beaucoup plus que les comptes-rendus journalistiques et les analyses des spécialistes universitaires. Oui, sur la problématique des migrants, cette publication apporte un éclairage riche, en déclinant tous les aspects de ce drame.
Il est tout à fait exact, comme l’écrit dans sa préface, Mario Hirsch, que les migrations pourraient être un vecteur de dialogue d’enrichissement et de rapprochement entre les peuples, alors qu’au contraire, elles se sont transformées en source de tensions et de malentendus sans qu’on n’y prenne garde. Les migrations, qui auraient pu être, qui auraient dû être une chance pour les pays d’accueil, sont en train de se refermer sur elles comme un piège. C’est à peine qu’on commence à se rendre compte vers quels précipices nous mènent les dérobades, l’inaction, la politique de l’autruche, la mentalité d’assiégé qui se répand un peu partout dans ce qui est devenu la Forteresse Europe, mais aussi la dictature des bons sentiments.
Le livre Nous sommes tous des migrants, publié aux Editions Schortgen, nous propose ainsi des échanges de lettres, d’idées, de missives, entre des personnages et des personnalités du monde des lettres. Qu’ils soient poètes, ethnographes de l’accompli poétique, ou journalistes, les idées et opinions qu’ils véhiculent à travers ce livre sont d’un triste et grave réalisme.
Giulio prétend – et ma conscience lui donne mille fois raison – que ce n’est pas en priant pour les migrants, ni en se donnant bonne conscience par quelques lectures et publications engagées ou manifs symboliques contre les expulsions, que nous parviendrons à une communauté de vision, à ce dialogue fort qui conduit à une prise de conscience ultime et tenace, qui mène à une politique humaine.
Giulio-Enrico Pisani a connu, très jeune, le sort du migrant. Mais à ce sujet, il écrit et dit ou dit et écrit : quoique la pauvreté, la peur, les frustrations, les humiliations que je vécus, ne soient en rien comparables aux indicibles souffrances endurées par bien des migrants d’Afrique, je leur suis très proche. Petit émigrant italien en Suisse, j’étais tout naturellement dans mon égocentrisme d’enfant ma propre mesure du drame que je souffrais.
Oui, les chagrins et déconvenues de Gulio lui semblèrent immenses. Pourtant, loin de l’abattre, cette souffrance tendait à lui donner un sentiment d’excellence vis-à-vis de ses petits camarades autochtones à l’existence douillette et bien réglée. Il a eu un peu l’impression de participer à une aventure, sinon extraordinaire, du moins pas tout à fait commune. Il lui arrivait de s’identifier au Petit Prince, à Mowgli, à Huckleberry Finn, ou à Giorgio, le petit Tessinois et à d’autres petits héros du déracinement.
Certes, avec le temps, une certaine maturité aidant et grâce à des circonstances heureuses, il a pu s’insérer, voire, il le reconnaît, s’embourgeoiser. Mais si les cicatrices anciennes ne font normalement plus mal, elles peuvent se rouvrir devant les souffrances d’autrui. Le journaliste Pisani explique que, aucune époque n’a été tendre avec les migrants. Certes, en d’autres temps, réunis en grand nombre, ils se mettaient en marche vers des terres plus nourricières ou autres eldorados réels ou imaginaires : c’étaient alors les grandes migrations et les invasions barbares et les conquêtes et les colonisations. Des populations entières migraient, mouraient en route ou à l’arrivée. Certains peuples, porteurs de guerre, pillaient, brûlaient, massacraient et se faisaient massacrer à leur tour. Beaucoup crevaient sur place dans les décombres de leurs espoirs évanouis. Certains survivaient, se fondaient dans le milieu local, s’assimilaient ou fondaient de nouvelles civilisations.
Les poètes ont souvent chanté leurs gestes et leurs destins. Mais les voyageurs sans bagages, les exilés sans fortune et les aventuriers sans fortune et les aventuriers de la faim esseulés et quémandeurs eurent rarement droit aux honneurs de la poésie épique. Giulio-Enrico constate que ces migrations là semblent bien être du passé. La géographie politique du monde a changé, s’est figée, comme un vaste champ de terre argileuse mais fertile, tout fendillé par la sécheresse, brisé en milliers de mottes inégales et profondément divisées. La sécheresse, c’est les lois politico-économiques et les cœurs des politiciens, que le sang des persécutés et les larmes des déshérités n’attendrissent pas. Les hommes n’ont pas foncièrement changé. Il y en des bons, de moins bons et des mauvais, mais dans leur majorité, ils ne sont pas si mauvais que ça, seulement terriblement égoïstes et bornés.
C’est justement cette majorité (celle des bornés et des égoïstes) que représentent les décideurs politiques dans nos démocraties que nous croyons si enviables. Elles valent sans doute mieux que les tyrannies, mais que de calcul, que de sécheresse !
Le pouvoir politique en place ces dernières années, pratiquait une politique de l’exclusion.
Les demandeurs d’asile ont été déboutés en nombre. On les renvoyait vers les pays du Sud, alors que nous sommes responsables de bien des situations économiques et politiques désastreuses dans les pays du Sud.
Nous profitons largement des richesses des pays du Sud, nous les avons exploités tout au long de l’histoire de l’humanité et nous les exploitons encore. Nous avons soumis les pays du Sud, à tel point qu’aujourd’hui bien des pays du Sud ont versé dans des dictatures innommables.
Ne nous faudrait-il pas ouvrir nos frontières de plein gré, offrir l’asile au plus grand nombre, si nous voulons éviter qu’un jour prochain nous ne soyons envahis par des centaines de milliers, par des millions d’individus menacés de famine, menacés par des gouvernements militaires radicaux, menacés par le manque d’eau potable !
Quel bonheur pour nos enfants d’apprendre une partie de la culture de ces enfants venus d’ailleurs, de pays où coutumes et traditions sont différentes des nôtres. Le mélange des races et des cultures a été de tous temps un bienfait pour l’humanité. Si nous refusons cela, alors retranchons-nous dans nos villes et nos villages, fermons les frontières, occultons nos fenêtres, barricadons-nous derrière nos portes.
Une question me hante : que deviennent ces enfants qui ont été renvoyés dans leur pays d’origine avec leurs familles respectives ?
L’avenir et le devenir de ces enfants est-il assuré ? Comment vivent-ils la scolarité dans leur pays d’origine, surtout pour ceux et celles qui ont suivi plusieurs années de scolarité dans notre pays.
Que pensent-ils aujourd’hui du Luxembourg ? Le plus grand nom-bre a gardé un bon souvenir de l’accueil chaleureux qu’ils ont connu de la population. Mais en ce qui concerne les décisions politiques prises à leur encontre, alors là, je pense qu’ils vont bouffer du politicard luxembourgeois pendant encore bien des décennies.
A juste raison d’ailleurs !
A quel point leur psychisme n’a-t-il pas été fragilisé à cause de cette dramatique situation ?
N’oublions jamais, que de tous temps, nous avons eu besoin de l’autre, de l’étranger. L’étranger participe à notre édification, tout comme nous participons à la sienne. Ce que l’étranger nous transmet de sa culture, n’a pas de prix.
Les auteurs de ce livre collectif sont :
Alaf Zourgani, née le 23/12/1973 à Casablanca. Cette universitaire (Licence puis DEA en langue et littérature françaises) travaille dans la galerie marocaine d’Art contemporain Al Manar. En 2000, elle a rejoint l’équipe du magazine féminin « Femmes du Maroc ». Elle alimente régulièrement un blog de poésie créé en 2007, Kalam Fil Medina (Paroles dans la Ville) : www.mencasa.blog spot.com
Anita Ahunon, fille d’exilé espagnol, a vécu à Paris, puis dans la région de Perpignan. Elle consacre le plus clair de son temps à soutenir les immigrés, surtout par l’alphabétisation. Elle est membre du bureau national du Groupe Français d’Education Nouvelle. Elle a publié un recueil portant le titre Demain, je serai poète…(Editions Vicenta & Bernard).
Jahel El Gharbi est un universitaire tunisien qui œuvre pour une utopie qu’il nomme Orcident ou Occirient. Il est fortement engagé dans le dialogue des cultures, tout en étant poète, traducteur et essayiste. Il est notamment l’auteur de Claude Michel Cluny, des figures et des masques (Editions de La Différence). http://jalelelgharbipoesie.blog spot.com
Laurent Fels est mem-bre titulaire de l’Académie Européenne des Sciences, des Arts et des Lettres. Enseignant dans notre pays, il consacre la plus grande partie de son temps à la recherche en littérature (poésie française des XX° et XXI° siècles, poésie et philosophies d’Asie et littératures ésotériques). Il est aussi membre du Comité d’Honneur du Courrier International de la Francophilie et collaborateur scientifique des French Studies de l’Université d’Oxford. En 2007, l’Académie Nationale de Metz lui a décerné le Grand Prix de Littérature pour ses recueils Le Cycle du Verbe et Comme un sourire.
Laurent Mignon a appris dès son plus jeune âge que les frontières sont des aberrations de l’histoire. Mignon n’est-il pas fils des deux Luxembourg. (Au fait Luxembourg avec s ou sans s après le g). Spécialiste en philologie orientale, il a bourlingué de Bruxelles à Amman et d’Istanbul à Londres. Avocat d’un humanisme pluriel et engagé, il a collabore a diverses publications en Angleterre, en Belgique, au Luxembourg et en Turquie. Il est l’auteur de plusieurs livres : Neither Shiraz Nor Paris / Lettres de Turquie et d’ailleurs / Pierres et poètes.
Giulio-Enrico Pisani est né en 1943, à Rome. Dès 1951, il a connu le destin de ceux qui vont s’installer ailleurs. Ce qui lui rend plus proche et plus compréhensible le destin de ceux qui fuient aujourd’hui, pour tenter un ailleurs meilleur. Giulio-Enrico Pisani a ainsi vécu en Suisse, puis en Belgique, pour enfin atterrir, en 1964, au Luxembourg. Ce dont nous n’avons pas à nous plaindre, parce que Giluio contribue largement à la scène culturelle de notre pays. Auteur de romans, recueils de poèmes, d’un essai politique, ainsi que d’une essai biographique, son travail littéraire a été distingué à deux reprises au Concours littéraire national. Entre 1990 et 2008, ont été publiés plus de 600 de ses nouvelles, articles, textes courts, poèmes dans la presse et dans des anthologies ou ouvrages collectifs. Giulio-Enrico est entré en politique voici quelques années. www.lsv.lu/lsv_pisani.htm.
Nous sommes tous des migrants de Giulio-Enrico Pisani & C° a été publié aux Editions Schortgen. (editions@schortgen.lu / www.editions-schortgen.lu).
Michel Schroeder
vendredi 10 juillet 2009

Aucun commentaire: