mercredi 14 septembre 2011

Une pensée pour José Ensch.

José Ensch : L’aiguille aveugle (1) Giulio-Enrico Pisani
On n’arrive pas encore à vraiment croire qu’elle nous ait quitté, José.  Je me vois encore courir ce début février par les rues de Belair-Neu-Merl après qu’à des milliers de kilomètres d’ici des amis communs m’eussent prévenu, paniqués, ne plus avoir de ses nouvelles.  Son téléphone restait muet et pour cause.  On était début février de cette année 2008.  Et je la vois encore me dédicacer dix ans plus tôt son «Dans les cages du vent» qu’elle m’avait offert avec son bon sourire discret et ses mots sobres, modestes, exquis: «à Giulio, confrère en poésie avec l’amitié de José Ensch».  D’autant plus généreuse qu’à l’époque, en 1998, je commençais à peine à être publié!  
Notez, amis lecteurs, qu’aujourd’hui encore je me demande comment vous présenter avec un minimum de clairvoyance «L’aiguille aveugle», son nouveau recueil de poèmes, quand tant de poètes, d’écrivains et de journalistes de grand renom se penchent pour l’heure – pendant combien de temps encore? – sur elle et sur son oeuvre poétique.  Désarmé au milieu d’un chagrin que je ne parviens pas à nier, je ne peux qu’intégrer les derniers mots de cet autre ami, le poète René Welter, mots qui achèvent sa préface au présent recueil: «Comment évoquer José Ensch? Quand le manque auquel on ne peut consentir, nous maintient, dans son excès, béants, rivés à l’indicible. José Ensch n’est pas morte. Elle sera comme elle aura été.  Dans la parole.  Pleinement.»
Souvenez-vous!  Le 24 mai 2006, discrètement, notre bonne vieille Zeitung publiait déjà mon article sur son recueil «Prédelles pour un tableau à venir» édité, justement, par René Welter dans la collection «99» des nouvelles Éditions Estuaires, ensemble avec des poèmes de Marcel Migozzi.  Étrangement prémonitoire, que ce texte, dans lequel j’annonçais d’un côté la parution prochaine de «L’aiguille aveugle» et de l’autre, sans m’en douter bien sûr, son grand départ.  En voilà le premier paragraphe: «Après une bonne trentaine de coopérations et de participations littéraires luxembourgeoises et internationales, cinq recueils: «L'arbre» en 1984, «Ailleurs ... c'est certain» en 1985, «Le profil et les ombres» en 1995, «Dans les cages du vent» en 1997 et, très prochainement «L’aiguille aveugle», José Ensch vole toujours plus haut.   Au sommet... de l’esthétique, de l’élégance, du dépouillement?»  
Quoique personne au Luxembourg (évidemment) n’ait jamais prétendu l’avoir vue voler, elle n’est pas près d’arrêter son vol, José.  Plus libre encore que le Max d’Hervé Christiani, elle ne nous quitte pas, mieux, remet ça post mortem.  C’est sans doute aussi pour elle que Charles Trenet chanta naguère «Longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues».  Mais les poèmes de José ne se chantent pas, direz-vous.  Et pourquoi pas?  Pourquoi ne chanterait-on pas «Aucune prairie n’a grandi / comme cette eau dans les yeux / ces lettres qui coulent / sur les racines et les lunes... » en passant par «... la femme au lait d’amande amère (...) jusqu’au roi qui s’embrase dans les roses...» Qui ira-t-il relever pour José Ensch le défi de Léo Ferré, le chantre des poètes?  
Et comment ne pas rappeler ici ces quelques belles lignes extraites d’un article que lui consacra récemment Jalel el Gharbi?  «... José Ensch est à l’écoute des bruissements du monde et même de ses vacarmes. Chez elle, la quête du sens s’accompagne d’une vertigineuse conscience du non sens. Mais il y avait toujours le bonheur d’être là, si près d’un café, d’une fleur ou de tout autre mot contenant le son F. Longtemps, j’ai trouvé auprès d’elle le mot qui fait admettre qu’il y a pourtant du sens. Aujourd’hui, je reprends ses mots, un à un, je les décortique et cherche un je-ne-sais-quoi derrière chaque syllabe. Cela tient de Goethe, de Hugo, d’Eluard, d’Aragon et surtout d’Edmond Dune et de José Ensch. Dans ses recueils L’Arbre, Ailleurs…c’est certain, Le Profil et les ombres ou L’Aiguille aveugle, les mots sont comme investis d’une autre signification. Cela va de l’abeille qui n’est plus ni son miel, ni son essaim, ni son désir de fleur mais désir de profondeur au vin qui n’est plus ni sa couleur, ni son ivresse, ni sa bonification mais un autre nom possible de l’écriture en passant par le bleu qui peinturlure son univers et qui n’est ni la couleur du ciel, ni la celle de la campanule ni même celle du bleuet mais celle de l’harmonie sonore.» (2)
Pardonne-moi ce long emprunt, Jalel.  C’est qu’incapable de mieux dire ce que tu dis et que je ressens pourtant comme toi, pourquoi priverais-je mes lecteurs de ton sentiment face à ce «Rond-point des roses / et les sons ouverts telle la bouche de l’enfant / au-dessus de la mer / le temps d’un verre brisé en plein ciel... » qu’est «L’aiguille aveugle»?  Ah oui, j’allais oublier.  José Ensch sera de nouveau parmi nous ce 
jeudi 5 juin à 20 h. au Centre National de Littérature 
Maison Servais, 2, rue E. Servais, L-7565 Mersch.
 Participeront à cette soirée notamment Claude Bommertz, Jean-Luc Fatello, Jalel el Gharbi, Germaine Goetzinger, Cary Greisch, Emile Hemmen, Nic Klecker, Anise Koltz, Colette Mart, Michèle Nosbaum, Marie-Paule Schroeder, Pit Schumacher et Josée Zeimes.  L’un de ces intervenants se souviendra-t-il de ces quelques mots que cette grande poétesse écrivait, prononçait sans doute, dessinait peut-être, mais ne se destinait point: «Son corps n’est pas de terre / mais sa voix interpelle / comme une fleur sans nom...»?  J’ignore donc si ces vers seront dits, mais, en tout cas, je les luis rends... avec ferveur.   

1)                  Recueil de poèmes aux Éditions Phi, collection GRAPHITI 72, 175 pages, préfacé par René Welter et illustré par Susy Thyx-Prüm, 15 EUR.
2)                  Poète, poétologue, professeur à l’Université de Tunis La Manouba et plus proche de José Ensch que beaucoup d’entre nous, malgré les milliers de Km qui le séparaient d’elle, Jalel el Gharbi est un grand connaisseur de sa poésie, qu’il a souvent analysée, commentée et présentée.  Lire notamment ses articles sur www.lapresse.tn/index.php?opt=15&categ=15&news=26373  et www.land.lu/html/dossiers/dossier_luxemburgensia/ensch_150601.html

jeudi 1 septembre 2011

Gilles-Marie Chenot : Pour un fils


POUR UN FILS

Si les fautes de tes parents tu consens à pardonner
Si de leurs influences tu sais qu'il faut te séparer
Si les liens t'apparaissent dans leur nue réalité
Combien déjà tu seras sur le chemin d'éternité

Quand tu auras creusé jusqu'au plus profond
Que de l'abîme seront remontés les démons
Quand tu auras livré bataille jusqu'au Néant
Quand de tes entrailles surgira le Présent

Quand de l'Amour tu auras compris la substance
Quand tu sauras qu'il n'est nulle part nulle souffrance
Quand la Lumière t'inondera en plein jour
Quand de ton coeur la clarté jaillira alentour

Lorsque les plaisirs délétères te paraîtront futiles
Et que de ton arbre pousseront des fruits utiles
Quand l'immensité du vide sera ton berceau lumineux
Et que les éclairs cristallins illumineront tes yeux

Quand tu ne seras plus rien et que ce rien sera Tout
Quand la nudité intérieure t'aura mis à genoux
Que tu te relèveras face à tous les éléments
Et que tu resplendiras même au milieu des tourments

Si la grâce t'accorde le privilège du feu
Il n'y aura pour toi plus aucune forme d'adieu
Quand bien même il n'y aurait plus personne
Ce jour-là, tu seras devenu un Homme