samedi 31 janvier 2009

Le Grand pan de mur jaune




José Ensch ressemble à la ville où elle est née en 1945 et où elle est morte ce 4 février 2008. Comme la cité, elle est à la fois elle-même - comme la ville derrière ses fortifications longuement louées par Goethe dans Campagne de France- et très ouverte sur l’autre. L’identité est l’antonyme du repli et son « repli » n’était qu’une manière d’introspection. Son identité : un essaim aux quatre coins de la culture. Lectrice impénitente, José Ensch est à l’écoute des bruissements du monde et même de ses vacarmes. Chez elle, la quête du sens s’accompagne d’une vertigineuse conscience du non sens. Mais il y avait toujours le bonheur d’être là, si près d’un café, d’une fleur ou de tout autre mot contenant le son [f].Longtemps, j’ai trouvé auprès d’elle le mot qui fait admettre qu’il y a pourtant du sens. Aujourd’hui, je reprends ses mots, un à un, je les décortique et cherche un je-ne-sais-quoi derrière chaque syllabe. Cela tient de Goethe, de Hugo, d’Eluard, d’Aragon et surtout d’Edmond Dune et de José Ensch. Dans ses recueils L’Arbre, Ailleurs…c’est certain, Le Profil et les ombres ou L’Aiguille aveugle, les mots sont comme investis d’une autre signification. Cela va de l’abeille qui n’est plus ni son miel, ni son essaim, ni son désir de fleur mais désir de profondeur au vin qui n’est plus ni sa couleur, ni son ivresse, ni sa bonification mais un autre nom possible de l’écriture en passant par le bleu qui peinturlure son univers et qui n’est ni la couleur du ciel, ni celle de la campanule ni même celle du bleuet mais celle de l’harmonie sonore. Longtemps j’ai discuté avec José Ensch jusqu’à ce point jadis désigné par Vigny où seul le silence est grand. Dans l’immensité de ces instants de silence, je pensais à La Passante de Baudelaire.

Je t’ai aimée comme le font les étrangers. De loin, sans espoir, très mal ou alors intransitivement, comme dit Rilke. De très loin, très mal et avec maladresse. Pourtant, c’est en te lisant que j’ai eu la révélation de la proximité entre distance et proximité. Tu insinues que la distance n’est rien. A ta demande, j’ai intégré dans mon dictionnaire l’entrée « mort». Un jour, nous avons posé sur la table nos déshérences, nos soifs et la certitude que tout concourt à notre fin.Tout était prévisible, depuis ce poème sur la déshérence :

Ma déshérence, mon héritage, mon partage du rien

mon territoire désolé sous l’éternelle bruine

mon château fort qui claudique vers la nuit

une nuit de taille moyenne parfois

sinon insupportable (Le Profil et les ombres)

Je m’apprête à me rendre au Luxembourg pour la onzième fois. Les eaux calmes du Grund, l’Alzette sous le pont antique, le grand pan de mur jaune (celui de la carte postale que tu m’as envoyée), cet essaim de jeunes lycéennes et le noir que tu aimes porter seront comme une preuve de ta présence.
Pour commander le glossaire, écrire à info@mediart.lu

jeudi 29 janvier 2009

Béatrice Libert : Passage et permanence.



Béatrice Libert : Enfance (Encre de chine)


Passage et permanence : dans ce recueil, Béatrice Libert procède à une redéfinition de certains verbes cela va du verbe « aimer » à « zoomer » en passant par « lire ». Trente poèmes en proses pour redéfinir, pour cerner les choses. Cela insinue que le monde se prête à une réécriture permanente, que sa sémiologie est à trouver ou à refaire. A chaque poète son glossaire. Vision du monde ou weltanschauung insinuant que refaire les mots du monde, c’est reformuler, redéfinir le monde même. Et cela institue une synonymie entre bonheur et écriture du bonheur transitant par le bonheur de l’écriture.


Le deuxième volet du recueil est une somme de portraits féminins. Trente poèmes crayonnant la femme sous autant de postures, de déclinaisons, d’attitudes et surtout de modes d’être. Cela va de « Elle » à « Paix à leurs visages » en passant par « la silencieuse » ou « la résistante ». Ce sont des portraits crayonnés avec tendresse et où la dimension féministe est une des expressions des préoccupations ontologiques. Car c’est toujours la femme dans son rapport au monde, à l’être et aux questions que pose l’être au monde. Voici deux extraits de ce recueil :
Aimer
J’apprends par cœur le verbe aimer dit l’amoureuse Je le pratique avec les sources J’en souffle le feu sur la cendre pour réveiller le Temps mortellement touché J’en bassine les draps somptueux de l’enfance J’en sers de longues friches à labourer céans Il coule comme un vin de Cahors dans mes veines Y viennent boire les amants de toujours
J’apprends par cœur le verbe aimer dit l’amoureuse et le pose partout sur la beauté du monde sur vos hanches parfaites à la faille de votre cou au nid de vos aisselles Ange-baiser qui peuple de ses ailes l’envie d’une caresse et d’une légèreté.


L’amoureuse



Besoin de lui
comme d’un champ
sarclé chaque matin

Dedans mes jours
il a tout mis
le pain le sel
la levure admirable
l’épice et le jasmin

Mes mots vont dans sa bouche
caresser l’ineffable
Il lève en moi le bleu
qui n’a point de maison

Sa voix dort dans ma voix
comme une déraison
qu’effeuillerait mon âge

Et je suis sans chemin
si ne suis son voyage

Béatrice Libert : Passage et permanence. Editions Tétras Lyre

mardi 27 janvier 2009

L'Homme assis d'Edouardo Galhos


Photo Roland Lagoutte.




Mon ami le poète Edouardo Galhos (dans mes liens) vient de publier aux Editions Poêtês (Luxembourg) un recueil intitulé L’Homme assis (Poème). Edouardo Galhos est un artiste à la fois peintre, calligraphe, homme de théâtre et poète fortement influencé par son expérience japonaise.
Différentes postures se lisent dans ce recueil : celle du cheminement, celle de la pensée qui aime à s’arrêter sur les choses et celle de la méditation qui aime à cheminer. Il y a dans le récit de cet homme qui marche et qui médite comme des réminiscences de son passé. Le passé : ce qui n’est plus et qui est pourtant là. Il émane de ces évocations une impression d’étrangeté, d’inquiétude et d’inquiétante étrangeté (unheimliche). Et l’on comprend que l’homme titube, vacille, trébuche, chancelle dans la vertigineuse conscience d’être (et d’être pour le néant) qui l’anime :
Et pourtant
L’homme se lève à tout moment
Comme aux premiers jours
Debout, il court
Sa ténacité tient de l’émerveillement du jour
Où il a couru ayant les yeux grands ouverts
Après quoi comme autrefois
Il se retrouve anéanti sous un soleil ardent
Au fond de ce creuset flamboyant
Où les mots se fondent, amers
D’autres naissent et se refont, plus doux
Aux bords d’une nouvelle ère.

L’homme assis ISBN : 78-2-919942-40-9, peut-être commandé à l’adresse suivante : http://poietes.poesie-web.eu/