samedi 22 février 2014

Le vieil imam n'est plus


Premier thrène pour le vieil imam
Il a titubé, le vieil homme. Il s’est écroulé dans la plaine des asphodèles, tout près du pont des Andalous. Le vieil homme, qui trébuchait à chaque pas,  savait réciter d’une traite le poème de Rondi. 


Tu égrenais le nom des fruits, des villes et des livres. Quelqu’un a planté un olivier devant la maison de la boulangère aux yeux verts.


 Le vieil imam me l’a confié : rien n’égale le pouvoir de leurs formes, la perfection de leurs rondeurs ni l’éclat de leurs yeux.


Rien de plus vital ; rien de plus meurtrier.


A l’heure où la première fleur se met à luire, il s’est effondré, sans souffrir, comme savent le faire les feuilles. Il n’est plus, l’imam qui venait parfois frapper à ma porte.


Sur la table, il y avait Nimier, Chardonne, Morand et Blondin et j’avais l’âme pleine de bleus. 
Tu as cessé de lire et nous avons compté : il ne me reste plus que 30 ans de lectures.


La nuit s’installe peu à peu. Nous croyons avoir cheminé.


J’ai pensé à ce tableau de Charles de Groux, Le Repentir. Or, je n’ai pas de quoi me repentir. Toi non plus, vieil imam qui n’a pas assez vécu, toi qui te voyais encore enfant courant sur le vieux pont que plus personne n’emprunte... Le pont qui va jusqu'à Ronda.


Peut-être même que je n’attendrai pas les trente ans qui nous séparent.

Nouvelle publication de Béatrice Libert


 
48 pages de poèmes ; 25 illustrations originales ; 21x29,7 cm ; 12 €.
Éditions SOC & FOC ; 3 rue des Vignes ; La Bujaudière ; 85700 La Meilleraie-Tillay
« Dans les bras du monde » puise sa force poétique dans une liberté de ton, une énergie bonne à partager, une inépuisable tendresse, une envie de respirer un grand bol d’air frais. Humour, fable, comptine, souvenirs, amour du monde, des êtres et des choses, tout y respire un bonheur jamais mièvre, car conquis joyeusement par tous les sens contre l’obscurité. Les superbes images de Nancy Pierret accompagnent les poèmes, avec, quelquefois, un clin d’œil malicieux à d’autres peintres. Avec ce régal pour petits et grands, la poésie n’est-elle pas contagieuse ?…
Une fiche pédagogique peut être téléchargée sur le site de l’auteur : www.beatrice-libert.be
0475.877.554. beatricelibert@yahoo.fr
Après avoir enseigné le français au collège et au lycée, y avoir initié ses élèves à la poésie et au théâtre, Béatrice Libert se consacre à l’écriture. Elle a publié plus de trente titres : poèmes, essais, récits, nouvelles, roman, livres d’artistes. Elle dirige deux collections aux éditions Couleur Livres (Mons/Bruxelles): L’Horizon délivré (arts et pédagogie) et Carré d’as (poésie illustrée). Formée aux arts de la parole, elle donne des lectures, accompagnée de musiciens. Elle anime aussi des stages d’écriture poétique. Elle a fondé le Festival des Arts à Cointe, son quartier de Liège en Wallonie.  Ses poèmes sont traduits en plusieurs langues. Bibliographie complète sur son site: www.beatrice-libert.be
Son cursus d’institutrice maternelle accompli, Nancy Pierret a étudié l’Illustration à l’Institut Saint-Luc à Liège. En 2001 paraît son premier album, « Un Bisou pour le Père Noël ». D’autres suivront chez Mijade, Casterman et Couleur Livres, distribués en Belgique et à l’étranger. Après s’être spécialisée auprès de grands professionnels, elle s’est lancée dans la création de poupées et marionnettes. En outre, elle pratique différentes formes d’artisanat et anime des ateliers créatifs. Expositions personnelles et collectives. L’artiste liégeoise signe ici son neuvième album.


Dans les draps du songe

Béatrice Libert offre ici des poèmes permettant au jeune lecteur d’être plus en phase principalement avec les saisons, les moments de la journée, les phénomènes climatiques et la flore. La force poétique de ses textes est puisé dans une excellente connaissance de la poésie en direction des enfants, nous avons déjà loué sur Critiques libres la qualité des approches pédagogiques qu’elle proposait de mettre en place autour de l’œuvre incomparable de Maurice Carême ou d’autres poètes plus contemporains ( ces derniers ouvrages chez l’éditeur Couleur livres).

Voici par ailleurs comment elle approche, dans "Dans les bras du monde", un univers maintenant fort peu connu des enfants, celui du paradis :

« Un jour
Un jour, on s’assoira à la table de lumière,
Il y aura des anges, des enfants
Et la joie, savamment arlequine,
Et nous boirons des songes grenadine
Dans de hauts verres émeraude. »
Cette culture chrétienne, qui marque encore bien notre calendrier et notre art, trouve dans quelques autres textes matière à explicitation par l’adulte prescripteur de cet ouvrage.

Voici un texte qui gagnerait à être lu peu avant le lundi de Pâques :

« Avril
L’avril a mis l’été à sa fenêtre,
On voit le vert et l’oranger
Pousser dans les sentiers.
Nous appareillons.
Splendide est la saison
Qui nous laisse croire, un peu,
À la résurrection »
Les illustrations de Nancy Pierret sont magnifiques, elles portent un sens plus complémentaire que redondant par rapport au texte. Clins d’œil à des dominantes colorées de certaines époques de peintres connus côtoient allusions à des styles d’illustrations de livres pour enfants des pays de l’est de l’Europe.
Dans les bras du monde                                  http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/40043

mardi 18 février 2014

Biography of Ted Hughes by Joanny Moulin



Aden editions is preparing  to publish a biography of Ted Hughes (1930-1998), an excellent
poet who was the husband of Sylvia Plath. This book will soon be available on :
 http://www.amazon.fr/Ted-Hughes-Haunted-Joanny-Moulin/dp/1909226262
 

jeudi 13 février 2014

Santiago Rusiñol - allégorie de la poésie

Santiago Rusiñol 1861-1931, peintre espagnol ayant opté pour une vie d'artiste à Paris. Ce grand admirateur du Greco, de Velasquez, de Zurbaran et de Goya dont il connaissait à merveille l'oeuvre, a peint des jardins, des intérieurs poétiques et cette irrésistible allégorie de la poésie tout à la fois jardin intérieur et extérieur :
Léon Daudet donne à lire cette belle description de l'oeuvre de ce peintre : "Et il peint tant qu'il peut : des jardins abandonnés, des maisons anciennes aux volets fermés depuis des années, pareilles à de vieux secrets que ne personne ne dérangera plus, des étangs d'argent et de soie fanée, où somnellent des reflets d'arbres: des ifs taillés, défilant sous le soleil ou sous la lune, d'un vert profond, abondant, nostalgique, comme l'âme d'une Mauresque exilée et captive à Séville, des champs de fleurs posés par groupes étincelants, dessinant un écrin éparpillé et rangé sur un tapis somptueux. Il peint des rangées d'arbres en architecte, suivant avec délices les lignes et proportions de la pierre qu'ils ombragent et accompagnent. Il délimite et il donne, en délimitant, le sentiment de l'infini. Il va du précis au rêve, de la chaleur à la fraîcheur, du visible d'une allée au mystère de son prolongement. Il a le choix des couleurs glissantes, fuyantes, ardentes à l'oeil, assoupies au souvenir."

samedi 8 février 2014

Lobre, Daudet et Bost

Maurice Lobre (1862-1951), sa palette me fait me fait penser à celle de Laurence Bost.   Même sentiment de proximité et de distance. 
Peintre d'intérieur, Lobre fut l'élève de Jean-Léon Gérôme et de Carolus Duran. Voici le portrait qu'en fit Léon Daudet, fils d'Alphonse Daudet, dans un ouvrage aussi plaisant  qu'instructif "L'Entre-deux-guerres. Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux de 1880 à 1905" ouvrage que j'ai plaisir à lire dans son édition de 1915.
Léon Daudet écrit : "Il en va autrement de Lobre, le Vermeer français, le peintre exquis des intérieurs et du palais de Versailles, des reflets sur les meubles rares, de la lumière prisonnière des miroirs, des laques et des cuivres polis. Lobre est joyeux comme un coup de vent, qui fait envoler les préjugés et les poncifs, éloquent, passionné, ivre de la couleur et des formes, charmant et conquérant de toutes les matières. Il se promène ici-bas ainsi que dans un musée en plein air, s'amuse de tout, rejette et maudit le laid et le vil, accueille et bénit le beau et le bien..." 

mercredi 5 février 2014

Tunisie An 4 , par Giulio-Enrico Pisani

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 Le Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek publie aujourd'hui cet article que nous devons à notre ami l'écrivain Giulio-Enrico Pisani.











 Vue de Ghar El Melh, l'ex- Porto Farina


Giulio-Enrico Pisani

Luxembourg, février 2014


Tunisie An 4 : naissance d’une démocratie


Dans mon article «La gésine sans fin du combat pour la démocratie et la justice sociale en Tunisie...» paru le 3 janvier dans ces colonnes, j’annonçais que le 14.12.2013,[1] une majorité des partis de l’ANC, Assemblée nationale constituante, s’étaient mis +/- d’accord pour désigner le «technocrate» Mehdi Jomaâ comme 1er ministre chargé de former un gouvernement aussi provisoire qu’essentiel.  La nouvelle constitution n’étant toutefois pas encore achevée et une dernière obstruction n’étant pas à exclure, je restai prudent.  Eh bien, quelques fussent les raisons de mon scepticisme, justifié est-il vrai par une succession de crises, violences islamistes à répétition et graves insuffisances des gouvernements successifs depuis le 14 janvier 2011,[2] je dois reconnaître avoir eu tort, enfin, du moins partiellement.  Disons que par moments, autant les faits que le pessimisme de certains amis tunisiens, me firent voir le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein.

 Après des années de discorde, disputes et pinailleries grotesques, les députés de l’ANC approuvèrent en effet cette année entre le 3 et le 23 janvier au prix de bien de concessions de part et d’autre, les 149 articles de la nouvelle constitution du pays à une majorité de 200 voix pour, 12 contre et 4 abstentions.  Proclamation officielle, le 26 janvier!  Ce n’est certes qu’une constitution de compromis entre les deux grandes tendances – islamiste et progressiste – et tout n’y saurait être parfait.  De nombreux points y restent sujets à interprétation.  Mais ceci étant dit, ces longues années d’affrontements et tergiversations ne furent pas entièrement perdues.  Aussi pouvons-nous lire dans la presse,[3] que cette constitution consacre un exécutif bicéphale et accorde une place réduite à l'islam, introduit un objectif de parité homme femme dans les assemblées élues, garantit la liberté d'expression et d'opinion et interdit la torture tant physique que morale.  Selon le constitutionnaliste belge Francis Delpérée, qui y a collaboré, c’est le texte le plus progressiste du monde arabe et il correspond aux standards internationaux.

Même esprit de conciliation et de compromis pour ce qui est du nouveau gouvernement «technocratique» de Mehdi Jomahâ.  En effet, après une séance plénière marathon, l’ANC – tout de même dominée par Nahdha – a enfin voté le 29 janvier à 1 h. du matin la confiance au nouveau gouvernement à 149 voix sur 193 votants.  Sceptique malgré tout, un journaliste tunisien m’écrivit, en m’annonçant la bonne nouvelle quelques heures plus tard, «La partie n’est pas gagnée d’avance et toutes les forces progressistes doivent certes soutenir Jomahâ, mais rester vigilantes. La révolution commence maintenant!»  Exact.  Mais, de toute manière, les Tunisiens n’avaient plus vraiment le choix.  Aussi fus-je amené moi-même à conjurer un blogueur qui s’insurgeait contre le «flou artistique» de la nouvelle constitution et du gouvernement Jomahâ, de ne pas jouer la carte du défaitisme. 

La révolution n’est pas achevée, lui dis-je. La révolution française mit 80 années à se faire (Convention, Terreur, Directoire, Consulat, Empire, Restauration, révolution de 1948, 2e République, 2e Empire, Commune, 3e République...).  Certes, j’avais moi aussi espéré voir le bout du tunnel après trois années d’ombre, mais rien de ce qui est humain n’est simple.  Loin de me réjouir sans réserve avec les Tunisiens de ces modestes acquis, je suis en effet bien conscient que la partie n’est pas encore gagnée pour les forces progressistes libérales et de gauche.  Aussi, à la question «Quand les textes (constitutionnels) ont-ils ligoté les Etats?» du tristement célèbre islamiste salafiste Béchir Ben Hassen et à son affirmation «Pratiquement, ce qui fait la loi ce n’est pas la Constitution. C’est le rapport des forces sur le terrain» la réponse est claire: rien n’est encore joué.  Mais cela vaut pour les uns comme pour les autres. 

C’est par conséquent aux progressistes de ne pas s’enfoncer dans la critique stérile, de relever le gant et de tout mettre en oeuvre pour gagner les prochaines élections en s’unissant après avoir reconnu que cette union est la seule option pour ne pas sombrer.  En faisant valoir la désastreuse administration du parti islamiste Nahda ces 2 dernières années, il est très possible de le battre.  Le mot d’ordre de Clara Zetkin s’impose donc plus que jamais: «La nécessité de l’heure, c’est le front uni de tous les travailleurs pour repousser le fascisme. Devant cette impérieuse nécessité historique, toutes les opinions politiques, syndicales, religieuses, idéologiques, qui nous entravent et nous séparent, doivent passer au second plan...»[4].  Et voici en outre quelques mots du philosophe Mohamed Ali Halouani[5] concernant l’attitude négative de ceux qui voudraient tout obtenir tout de suite face à ces deux grands compromis:


«...Les gens ne distinguent malheureusement  pas entre deux phases ou processus: celui de l'élaboration de la constitution en premier lieu et, en deuxième lieu, celui de la mise en place d'un gouvernement plus ou moins indépendant et plutôt de type technocratique. Mais alors que l'opposition avait raison en gros de mettre la pression pour avoir le plus d'acquis progressistes, une partie de cette même opposition avait continué sur sa lancée à tout refuser en bloc, comme s'il ne s'agissait pas en fin de compte de deux processus séparés (en dépit de ce qu’ils ont laissé croire: qu'ils étaient des processus liés et complémentaires). Ils n'arrivent pas à comprendre que le Pays en tant que tel, le pays qui vit, mange et produit est en passe de faire faillite et que tous, y compris les forces politiques, ont besoin de reprendre des forces, et que c'est vital, sinon (...), adieu élections...».

Quant à nous, amis lecteurs, nous pouvons souhaiter au peuple tunisien de poursuivre et de réussir sa révolution, en continuant à être le modèle – imparfait et pourtant unique à ce jour – d’un printemps arabe ailleurs désastreux.  Et puisse son exemple donner espoir aux peuples assoiffés de démocratie, mais dont le sang révolutionnaire aurait été figé par les tragédies libyennes, égyptiennes et syriennes.  Mais la paix et la sérénité politiques retrouvées en Tunisie méritent plus que des félicitations.  Elles sous-tendent également un vibrant et urgent appel à nous tous.  Rien ne sert en effet d’avoir trouvé la démocratie et recouvré la paix, si l’économie malmenée par 3 années de révolution, si un pays exsangue et un tourisme en berne, ne permettent pas au peuple de retrouver au moins cette modeste prospérité qui l’autorise à ignorer les sirènes islamistes.  Mais que pouvons-nous faire?

Si nous n’avons pu trois ans durant qu’assister impuissants à une révolution où toute immixtion étrangère était mal venue, il est temps à présent de manifester notre solidarité pour cette Tunisie courageuse et de lui faire retrouver la manne touristique que nous lui nous apportions avant la révolution.  Mais pas seulement.  Car ce tourisme balnéaire «Sea, Sand, Sun» qui rendit ses plages célèbres, ne doit pas faire oublier les milliers de destinations culturelles et les trésors artistiques phéniciens, carthaginois, romains, byzantins, musulmans, hébraïques et j’en passe.  C’est donc en répondant concrètement à l’appel de la nouvelle ministre du Tourisme, Amel Karboul, que nous pourrons retrouver dès cette années les merveilles des plages, golfes, îles et parcs nationaux[6] tunisiens et faire, si nous le désirons, des découvertes culturelles sans pareil.   
ERRATUM : 

j’ai erronément attribué les phrases « Quand les textes (constitutionnels) ont-ils ligoté les États ? », « Pratiquement, ce qui fait la loi ce n’est pas la Constitution. C’est le rapport des forces sur le terrain » au salafiste Béchir Ben Hassen. Elles seraient de Rached Ghannouchi. 



[2]  Fuite du président dictateur déchu Ben Ali vers l'Arabie saoudite.
[3]  Et notamment dans le magazine belge Le Vif.
[4]  Clara Zetkin le 8.3.1910, lors d’une conférence des femmes socialistes à Copenhague.
[5]  Docteur en philosophie de l'Université de Paris I et professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Sfax.
[6]  La Tunisie compte 15 parcs nationaux protégés. Leur accès nécessite une demande d’autorisation auprès de la Direction générale des forêts ou du commissariat régional concerné. (Wikipedia)