lundi 31 août 2009

Plus beau qu'un oeil أبهى من العين


Le mot عين Aïn (œil) est fortement polysémique en arabe, comme dans les autres langues sémitiques.
Notons d’abord que c’est un nom Féminin. L’œil ne peut être que féminin. En arabe, il est le comparant de la beauté absolu : أبهى من العين « plus beau que l’œil »
Il désigne aussi l’habitant « pays avec peu d’yeux » (peu d’habitants). Métonymiquement, il désigne le gardien, le surveillant, l’espion.
Aïn signifie aussi le soleil.
Aïn désigne l’essence d’une chose.
Philosophiquement, il signifie ipséité (ce qui fait qu’une chose est elle-même.) d’où une autre signification : la partie principale d’une chose.
Ain désigne la pluie qui tombe plusieurs jours de suite.
Ain ( diminutif aouina) ; fruit (les prunes), l’argent comptant, le vice, les notables,
Ain : la source.
Ain : entre dans la composition de nombreux noms de villes, par exemple Ain Es-Sobah (source du matin) près de Tabarka.
Ain : une lettre de l’alphabet.

dimanche 30 août 2009

البردةLe manteau du prophète


OEuvre du miniaturiste algérien Mohamed Racim.

البردة

Nom d’un poème écrit par Kaab Ibn Zohaier, un panégyrique déclamé devant le prophète. A la fin de la déclamation de ce texte d’une grande qualité littéraire, le prophète offrit au poète sa البردة « borda ». Terme que j’aurais traduit par « cape » si le mot n’avait pas des connotations chevaleresque, par « mante » si ce terme ne désignait un vêtement féminin. Manteau est à prendre ici au sens de vêtement ample, pouvant être, comme au XIX siècle, utilisé dans la literie. La « borda » est quasiment un genre littéraire. Il s’agit toujours d’un poème long commençant par des strophes amoureuses النسيب pour finir par un éloge mystique du prophète. Parmi les poèmes dits « borda », on citera celui de Boussiri dont nous traduisons ici les premiers vers, Atouani et, plus près de nous, le poème irrésistible de Chawki.
Le poème de Boussiri البوصيريcomporte 160 vers. C’est la « borda » la plus connue au Maghreb, sans doute à cause des origines maghrébines de ce poète né à Dellys en Algérie et mort  en 1213 en  Alexandrie  mais aussi pour la grande délicatesse de ce texte.
البردة
البوصيري

أمن تذكـــــر جيــــــرانٍ بذى ســــــلم مزجت دمعا جَرَى من مقلةٍ بـــــدم

أَمْ هبَّــــت الريـــحُ مِنْ تلقاءِ كاظمــةٍ وأَومض البرق في الظَّلْماءِ من إِضم

فما لعينيك إن قلت اكْفُفاهمتــــــــــــا وما لقلبك إن قلت استفق يهـــــــــم

أيحسب الصب أن الحب منكتـــــــــــم ما بين منسجم منه ومضطــــــــرم

لولا الهوى لم ترق دمعاً على طـــــللٍ ولا أرقت لذكر البانِ والعلــــــــــمِ

فكيف تنكر حباً بعد ما شــــــــــهدت به عليك عدول الدمع والســـــــــقمِ

وأثبت الوجد خطَّيْ عبرةٍ وضــــــــنى مثل البهار على خديك والعنــــــــم

نعم سرى طيف من أهوى فأرقنـــــــي والحب يعترض اللذات بالألــــــــمِ

يا لائمي في الهوى العذري معـــــذرة مني إليك ولو أنصفت لم تلــــــــــمِLe manteau
Est-ce de t’être souvenu d’une voisine à Dhi Salamin
Que tu as mêlé tes larmes répandues à du sang ?
Ou est-ce le vent qui s’est levé du côté de Qadhima
Et l’éclair qui illumina les ténèbres vers Idhami ?
Pourquoi donc ne peux-tu pas retenir tes larmes ?
Pourquoi donc ton cœur ne peut-il se ressaisir quand tu le lui demandes ?
La passion croirait-elle que l’amour est dissimulé
Cet amour qui flamboie en toi ou qui s’est ancré ?
N’eût été ton penchant, tu n’aurais pas pleuré ni sur des vestiges
Ni à l’évocation du saule[1] et des traces laissées par ton amour
Comme peux-tu nier ta passion
Alors que les larmes et la maigreur témoignent contre toi
Et que l’amour a donné la preuve de deux coulées de larmes et de peine
Evidentes sur tes joues comme poivre sur fruit rouge
Oui l’ombre de celui que j’aime est passée nuitamment et m’a tenu éveillé
Car l’amour va à la rencontre du plaisir avec la douleur
Pardon ô toi qui me reproches mon amour udhrite[2]
Mais si tu étais juste, tu ne m’aurais fait aucune remontrance.
Traduction Jalel El Gharbi

[1] Le saule était le comparant de la beauté du corps de la femme.
[2] Platonique en référence à la tribu Udhra dont les membres mourraient d’amour. (le mot est employé dans le Larousse, dictionnaire mondial des littératures)

jeudi 27 août 2009

Le Ramadan en Tunisie


Une des merveilles architecturales de la médina. La mosquée du dôme où, enfant, Ibn Khaldoun fit ses études. (rue Torbat El Bey)

Le Ramadan en Tunisie
Il y a deux ans, j’ai écrit ce texte pour le site www.babelmed.net qui en détient les droits. Pour l'essentiel, rien n'a changé. Pour ce qui est des feuilletons, je ne suis pas très au fait de ce que propose la TV cette année.

Ramadan est l’occasion de penser ce qu’est ce mois pour des millions de personnes. Ce n’est pas seulement le mois de la piété ou des bombances. Un des cinq piliers de l’islam, (avec la profession de foi, la prière, l’aumône, le pèlerinage pour qui en est capable) le jeûne est observé par la majorité des fidèles. Certaines estimations avancent le pourcentage de 60 à 70 % de pratiquants. Mais ce qui importe, c’est que le Ramadan dicte son rythme à tous, y compris aux non pratiquants. Bourguiba, qui voulut édicter une fatwa permettant la non observance du ramadan, échoua et, à Tunis, le Ramadhan est une institution fortement ancrée dans les mœurs et dans la culture du pays.
On dit vernaculairement Sidi Ramadhan. On dit Sidi comme pour un saint. Il est vrai que le Ramadhan est le mois saint de l’islam. C’est le mois de la révélation coranique et il comprend surtout la Nuit du Destin, vraisemblablement la nuit du 27 celle où tous les vœux adressés à Dieu peuvent être exaucés. Voici comment il est évoqué dans la sourate 97 Le destin dans ses versets 1, 2 et 3 : Nous l’avons révélé pendant la nuit du Destin 2. Et qui te dira assez ce qu’est la nuit du Destin. La nuit du Destin est meilleure que mille mois. Ce mois est l’occasion d’une grande piété qui, malgré toutes les incitations au travail, ne semble pas s’accommoder avec le rythme du travail dont les horaires sont aujourd’hui écourtés pour permettre aux ménages de préparer la table de la rupture du jeûne. Et les femmes y passent de longues heures. Tout le rythme de la vie s’en trouve changé. Le comportement des Tunisiens se transforme de manière radicale. Le moment clé de la journée est sans doute sa fin. C’est autour de la table, après l’appel à la prière du Maghreb (Coucher de soleil), la famille se retrouve autour de la même table. A l’indolence de la journée succède la ferveur, religieuse pour les uns, culinaire pour tous, ferveur dont le signe le plus évident est la manière avec laquelle les gens se saluent : Chahya Tayba ( Bon appétit) avant la rupture du jeûne et Saha Chribtek (approximativement : A votre santé ). On comprend qu’après une abstinence qui va du crépuscule au crépuscule l’on soit saisi de fringale.
Qu’y a-t-il sur cette table ramadanesque qui puisse être interprété comme signe culturel ? Ou mieux encore : quels sont les éléments communs aux mets du Ramadhan. Reconstituons ensemble les succulences de cette table, on ne manquera pas d’y mettre du lait et des dattes (pour perpétuer la tradition prophétique), du pain de campagne Tabouna (celui qu’on mange depuis 3000 ans en Tunisie et au Maghreb mais qu’on ne mange guère les autres jours), la chorba (soupe). La meilleure, c’est la plus ancienne, c’est-à-dire la chorba d’orge (qui n’est pas sans rappeler la fameuse Harira marocaine), les briks ; les tajines, les olives. Pour la soirée : des crèmes, du sorgho. Et pour le Shour (collation qu’on prend avant l’aube), du couscous au lait et aux dattes, ou du riz.
La table du mois de Ramadhan, réunit pratiquants et non pratiquants autour de ses motifs de la nostalgie. Le Ramadan rappelle le passé, comme dans le verset coranique prescrivant le jeûne pour tout musulman : « O vous croyants ! Le jeûne vous a été prescrit comme il le fut pour ceux d’avant vous. Puissiez-vous être pieux ! » (La Génisse 183).Bien plus que le mois de la commémoration, le Ramadhan est celui de l’identité culturelle. C’est sur l’écran de la TV qu’on guette impatiemment l’appel à la prière, annonçant pour tous la rupture du jeûne. La TV commence par diffuser des émissions religieuses, puis des versets du Coran puis l’appel à la prière, relayé en ville par un coup de canon. Juste après la rupture du jeûne, ce sont des chansons ou des chants religieux, puis une cascade de publicités tournant presque toutes sur des produits alimentaires. Le ramadan est l’affaire de la chaîne officielle (TV 7 dont l’audience bat tous les records au mois du Ramadhan). Même les familles qui ne regardent jamais cette chaîne rompent leur boycottage pendant le mois du Ramadan. Après un flot de publicités (yaourts, soupe, boissons gazeuses, chocolats, beurre, margarine, crèmes, levure, légumes en conserves) qui constituent une véritable incitation à la débauche alimentaire, c’est l’heure des feuilletons. TV 7 se prépare pour le Ramadhan qui semble réconcilier les Tunisiens avec la chaîne pour laquelle ils payent une redevance : longtemps à l’avance, on prépare les spots publicitaires et deux feuilletons de 15 épisodes chacun en plus d’un sitcom de 30 épisodes. Le héros est très populaire Sbou’i incarne le rôle d’un débile de bon cœur et très sympathique. Pendant le mois du ramadhan, les Tunisiens ne regardent quasiment plus les chaînes orientales : MBC, Rotana films ni les chaînes occidentales (françaises).
Les soirées télévisées sont le lot des milieux défavorisés. Ce sont surtout les femmes qui suivent ces feuilletons où il est question de mariage, de divorce et autres soucis. Les hommes préfèrent hanter les cafés où ils sont de plus en plus nombreux à s’adonner au jeu malgré l’interdiction religieuse et pénale du jeu avec mise et où l’on fume surtout le narguilé, cet attribut d’une noblesse aujourd’hui perdue. On a l’air d’un pacha avec le gargouillement de son narguilé. Les pratiquants vont dans les mosquées où ils prient. Dans les grandes villes, surtout à Tunis, le Ramadhan est le mois de la culture. Les soirées animées par le festival de la médina se déroulent essentiellement dans l’enceinte de la médina (autre signe de la nostalgie) et offrent des spectacles tout aussi nostalgiques : cela va des conteurs qu’on ne voit que pendant le mois saint jusqu’à la musique soufi. Pratiquants ou non, le Tunisien se découvre pendant le mois de Ramadhan une vocation soufie des plus profondes.
A la maison de la culture Bir Lahjar, entre la prestigieuse mosquée Zeitouna et le saint patron de la cité Sidi Mehrez, sidi Ramadhan prend une allure hautement culturelle. La médina s’anime. Tout se passe comme si le Tunisien trouvait une trêve à l’étouffante agressivité de la ville. Ramadhan Karim (généreux) dit-on au Moyen-Orient. Ce mois est magnanime qui prend les allures d’une fête. On y retrouve malgré tous les prêches prônant la modération, cette exubérance, ce gaspillage sans quoi la fête n’existe pas et on y trouve aussi une certaine tolérance sociale : même dans les milieux les moins émancipés, la femme peut sortir jusqu’à une heure tardive et, dernière illustration de ce côté festif du Ramadhan, c’est qu’on y oublie toutes les contraintes, de toutes sortes. C’est sans doute pourquoi, pratiquants ou non, les Tunisiens tiennent au Ramadhan, malgré la publicité à la télévision.
Jalel El Gharbi(18/10/2007)
 

mercredi 26 août 2009

Traduire saudade شَجوَ

Sérigraphie de Julio Pomar, artiste portugais.
Saudade : Ce mot portugais réputé intraduisible désigne la nostalgie mêlée de tristesse pour un passé qui peut revenir. Un de ces vagues à l’âme qu’on éprouve en écoutant le fado portugais. Selon le poète Fernando Pessoa « la saudade, c’est la poésie du fado. »
Récapitulons : c’est un sentiment bivalent et associé à la musique. Souvenir mélancolique, lyrique du bonheur. Comme une tristesse du bonheur ou une joie de la tristesse.
Le mot viendrait de la combinaison de deux termes latins : solitudinem ou solitatem (solitude) et salutatem (le salut). Une origine arabe ne serait pas à exclure d’autant plus que le mot « saudade » a été d’abord employé par le troubadour D. Sancho. Ce mot pourrait venir de سويداء qui désigne originellement la bile noire, une des humeurs de l’âme, puis la partie la plus intime de l’affect, du cœur, le coeur du coeur.
Comment traduire « saudade » en arabe ? Nous pensons à شَجوَ qui signifie tristesse recherchée comme celle qu’on recherche dans l’écoute musicale, dans le طرب .
Le شَجو serait à rendre par spleen si ce mot ne comportait pas que du dégoût, de la nausée, de ce que l’on nomme en Algérie et au Maroc زعا ف et que l’on chante si bien dans le rai de Ouejda.
Le شَجوَ résulte d’une douce nostalgie pour un ailleurs ou un autrefois dont on ne sait parfois rien. Ce n’est pas de la nostalgie parce que cette dernière sait ce qu’elle regrette, ce qu’elle désire. Le شَجوَ ne sait ni ce qu’il regrette ni ce qu’il désire. Il serait comme un désir à l’état pur, intransitif que seul l’art peut susciter. Le mot fait partie de cette catégorie de mots qui en arabe signifient la chose et son contraire. Tristesse mais aussi exaltation.
Le شَجوَ serait le désir des artistes, le désir se nourrissant de manque, de vide. Le désir donnant vue sur les sites du silence.

mardi 25 août 2009

رمضان Ramadhan


رمضان Ramadhan

Avant l’islam, les Arabes utilisaient un calendrier luni-solaire d’origine araméenne et qui remonte vraisemblablement à Babylone. Ce calendrier suivait le mois lunaire avec, tous les trois ans, un mois supplémentaire dit mois intercalaire qui permettait de rajouter les jours manquant au calendrier lunaire par rapport au calendrier solaire (11 jours par an).
L’année embolismique النسئ fut sévèrement condamnée par l’islam parce qu’elle donnait lieu à des manipulations : on changeait le calendrier selon que les notables voulaient guerroyer ou nom. Le mot CHAHARشهر vient du syriaque "Sahar" سهر (lune), qui a donné en arabe shahar شهر (mois) et sahar سهر (veillée).
Dans ce calendrier qui regroupait les mois par deux. On distinguait six saisons de deux mois chacune (Automne, premier printemps, hiver, deuxième printemps, été et canicule). Certaines régions d’Arabie connaissait l’année à quatre saisons. Ce calendrier fut réformé au Vème siècle. Le mois de Natik نَاتِق ( à maintes reprises cité dans la poésie préislamique), le neuvième mois, prit le nom de Ramadhan (Ramadha : chaleur, canicule) cette étymologie du mois lunaire se réfère en fait au calendrier solaire. Ramdhan ne doit son nom qu’à la canicule qu’il faisait en ce moment là.
Cette hésitation entre les deux calendriers se trouve même dans le Coran. A la Sourate La Caverne, on peut lire :
وَلَبِثُوا فِي كَهْفِهِمْ ثَلاثَ مِائَةٍ سِنِينَ وَازْدَادُوا تِسْعًا
(سورة الكهف 25)
Ce que je tente de traduire ainsi ;
Or ils demeurèrent trois cents ans à quoi s’ajoutent neuf [ans]. (XVIII-25)
Ainsi, les dormants sont restés endormis non pas trois cents neuf ans mais trois cents puisque
« trois cents ans et neuf » signifie « trois cents » années lunaires + neuf ans, la différence entre les deux calendriers.
Il est à remarquer que Ramadhan, l’ancien Natik, ne faisait pas partie des mois Harams pendant lesquels les Arabes s’interdisaient de guerroyer ( trêve de Dieu), ces mois étaient Moharem, Rajab, Dhou Al Qua’da, Dhou Al Hajja.

lundi 24 août 2009

Tabou ? الحرام

Edvard Munch : Le cri
Tabou ? الحرام
Le présent billet se propose surtout de soulever des questions, de susciter une réflexion. Mon point de départ est une question relevant de la traduction : comment traduire « tabou » en arabe ? La question revient à dire qu’est-ce qui est tabou dans cette culture et surtout ce qui définit l’interdiction ou le tabou musulman.
Le mot rapporté de Polynésie par James Cook a été arabisé et cela a donne tâbou, pluriel tabouhettes. Mais je ne pense pas que l'emprunt suffise.
Quelle est la nature du « tabou » dans la culture arabo-musulmane ? Quel est le sujet tabou par excellence ? Théologiquement, il y a un seul interdit : l’entité divineالذات الإلهية , c’est-à-dire l’essence de la divinité. C’est le seul sujet qui soit interdit parce qu’inconnaissable. La connaissance de Dieu, de l’identité divine, de son essence, de sa « nature » ne peut se faire que par les qualités de Dieu, c’est-à-dire ses noms. Dieu ne peut ni être représenté, ni même pensé. Il est nommé.
Et la sexualité ? Le pouvoir ? L’homosexualité ? L’inceste ? L’argent ?
Une première remarque, c’est qu’il s’agit d’interdits récents. Pour aller vite, ce sont des interdits qui remontent à la décadence. Tout laisse à penser qu’une société fragilisée multiplie les interdits. Les traités de sexologie sont légion dans la culture arabe et on entend aujourd’hui encore qu’il « n’est pas de sujet honteux en matière de religion ». Nous avons même une description détaillée de certains détails de la vie intime du prophète. Il serait donc intéressant de chercher à partir de quel moment le tabou s’est installé. Il est vrai que nous ne connaissons pas de représentation picturale, « d’images » ayant trait à la sexualité, à l’homosexualité. On peut avancer que pendant très longtemps l’interdit ne frappait pas les livres. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à lire le livre de Jahiz Les Animaux. On trouvera, par exemple des récits de zoophilie qu’il serait téméraire d’écrire aujourd’hui. Depuis quand les livres sont-ils entrés dans la zone de la censure ? Je remarquerai juste ceci : l’œuvre de Bachar a été publiée par Cheikh Tahar Ben Achour. Qu’est-ce qui fait que certaines universités (La Zeitouna, par exemple) était plus ouverte que d’autres ? D’où vient ce puritanisme exacerbé ? A quel besoin répond le wahabisme ?
L’homosexualité : il n’y a qu’à consulter le premier manuel de littérature arabe pour comprendre combien elle était répandue.
Le véritable tabou me semble être le statut des parents, notamment celui du père. On trouvera une évocation de l’inceste initial dans le Coran mais point de révolte contre le père.
Ni Œdipe Roi, ni Hamlet, ni les frères Karamazov ne sont pensables dans la culture arabo-musulmane. Le seul à s’être défié de la figure du père, c’est Maari. Dans le Coran, le père est une figure sacrée. Il ne vient même pas à l’esprit d’Ismaël de lui désobéir. Les frères de Joseph ne remettent à aucun instant leur père en question. C’est de leur frère qu’ils cherchent à se débarrasser mais jamais de leur père dont la responsabilité n’est à aucun moment invoquée.
Comment définir le tabou – j’entends celui qui est inhérent à la culture arabo-musulmane- celui frappant la figure paternelle.
Il m’est arrivé de proposer le terme الحرام HARAM. Non pas dans le sens de péché mais dans le sens de sacré « masjid haram », qui ne doit pas être profané « chahr haram », (plus vernaculairement, ce qu’on appelle dans un emploi dévoyé dans les pays du Golfe HORMA , femme qui ne peut être « abordée » parce que mariée. Le mot est ici péjoratif.)
La première caractéristique de ce qui ne doit pas être profané est d’être profane (ou tout au moins apte à être profané). Ainsi donc le propre du tabou musulman est de faire voisiner en lui sacré et profane. Dieu n’est pas un tabou (l’entité divine mise à part), le prophète non plus n’est pas un tabou, la sexualité n’est pas un tabou, l’argent n’est pas un tabou. Le tabou résulte de la contiguïté entre sacré et profane : la mère, le père.

dimanche 23 août 2009

الدينار Le dinar



D’où viennent nos dinars ?

دينار Dinar : monnaie en cours dans nombre de pays du Maghreb, du Moyen Orient et en Serbie. Du grec, δηνάριον. (dinarion) qui a donné en latin denarius aureus (denier d’or). Le denarius a été émis pour financer la deuxième guerre punique contre Carthage vers 212 avant J.C.
Le mot serait passé en arabe par l’entremise du pluriel denarii dont seule la désinence a été supprimée. A moins qu’il ne s’agisse d’un emprunt au grec par le biais du persan ce qui accréditerait la thèse d’Ibn Mandhour qui note dans son excellent Lissan Al Arabs que le mot est persan. Cette dernière hypothèse ne semble pas à exclure.
Le mot arabe (et persan) dinar est donc de la même origine que le mot français « denier ».
Selon Le Trésor de La langue Française ou le Larousse, le dinar remonte au VIIème siècle. C’est le calife Abdel Malek qui émit le dinar, pièce en or pesant un مثقال « Mithqal » soit 4,25 grammes. Cependant, il convient de remarquer que le mot est antérieur aux Omeyyades puisqu’il est cité dans le Coran (III, 75).

samedi 22 août 2009

الطغراء Le Tughra

Le tughra de Soliman le Magnifique.

الطغراء Tughra Tuğra, ou tugra : le mot est turc et il est utilisé également en persan. La langue arabe a tenté de lui substituer le mot طرة . Mais ce nom n’a pas connu la fortune souhaitée, il n’est plus employé dans ce sens et c’est le mot turc qui est resté. Le mot « tughra » désigne la signature des sultans ottomans, mamelouks, persans et tatares. Il s’agit du nom du sultan avec une brève formule glorifiant son règne qu’on trouvait sur les pièces de monnaies ou alors sur le sceau du sultan.
Aujourd’hui, cette signature ne se rencontre plus guère que sous la forme d’une calligraphie de la formule « au nom de Dieu clément et miséricordieux » بسم الله الرحمن الرحيم autocollant que de nombreux véhicules, taxis et camions, arborent.
Sur le plan calligraphique, la tughra (le féminin me semble mieux indiqué) est en écriture Tholoth ou diwani .
Le tholoth est une écriture douce, élégante et fluide. Elle semble être la mieux indiquée pour dire le mouvement. C’est le calligraphe Mustapha Rakem (1757- 1821) qui donne au Tughra sa forme définitive.
Alors que l’un des grands derniers maîtres en la matière est sans doute le calligraphe Hamed Amadi (1891-1982) auteur de trois tughras des plus connus : celle du roi Fayçal d’Arabie, Du Shah Mohamed Rida Pahlavi et du sultan Abdelhamid II.
Le corps de la calligraphie est constitué de cinq parties : la base, l’œuf, les bras, le corps, la fin. Le tout représente une main. Pour comprendre ce qu’est le Tughra, il faut tenir compte d’une différence essentielle entre peintre et calligraphe. Si le peindre reproduit ce qu’il voit (tout au moins dans le cas de la peinture figurative), le calligraphe reproduit ce à quoi il pense. Et en l’occurrence, il s’agit de la main : celle qui signe, qui laisse une empreinte mais surtout celle qui symbolise le pouvoir, exactement comme le signifie en français l’expression « avoir la haute main ». On serait tenté de voir dans le tughra une main stylisée. C’est plutôt la figuration avec des outils non figuratifs qu’il convient de voir.
La réussite du tughra vient de la complexité des impératifs auxquels il obéit beaucoup plus que de la complexité de la composition elle-même. Le tughra doit allier lisibilité et inimitabilité, le tout transcendé dans le besoin de dire la magnificence.