mercredi 30 juin 2010

Le parfum français العطر الفرنسي أمير تاج السر


Le parfum français de
Amir Tajelsir
Pour le roman arabe, l’Occident est avant tout l’ancienne métropole coloniale. Tel est le cas dans des œuvres aussi diverses que « Un oiseau d’Orient » (1938) de Tawfiq al- Hakim, « Le Quartier Latin »(1953) de Souheil Idriss ou encore « Saison d’une migration vers le Nord » (1969) (traduit sous le titre Le Migrateur) du Soudanais Tayeb Salih.
Dans ces œuvres, l’Occident se résume en deux villes : Paris et Londres, métropoles culturelles, universitaires mais surtout villes très féminines. Un espace où tous les fantasmes sont permis. Chez le Soudanais Tayeb Salih, le héros s’assimile à Othello et se voit conquérant l’Europe à la seule force de l’amour. Il s’agit souvent de prendre sa revanche par l’amour. Avec Amir Tajelsir, il semble que les choses aient changé. Le roman semble être l’expression de nouveaux développements dans cette relation Nord-Sud. Résumons rapidement le roman : Ali Jarjar, personnage excentrique vivant dans une ville du Soudan, apprend qu’une Française viendra dans son quartier. Il est chargé de l’accueillir. Cathia, parcourant l’Afrique, tarde à venir. Et de situation loufoque en situation loufoque, le personnage tombe amoureux de cette « arlésienne ». Et il va même jusqu’à l’épouser pour terminer dans de paranoïaques crises de jalousie où il commet l’irréparable.
Ainsi donc le roman ne se déroule pas à Londres, mais au Soudan. Et il ne s’agit pas d’une britannique mais d’une française. La connotation coloniale est ainsi écartée. Et le voyage en Europe ne relève plus que du rêve. Il est surtout incarné par un personnage Copte voulant fuir une conversion à l’islam par trop irréfléchie. Une conversion qui allait lui coûter des mois de jeûne, l’aumône qu’il doit payer et son prépuce.
Ici, bien que l’Occident continue à faire rêver, il n’en est pas moins chimérique. Tout se passe comme si le Sud réalisait pleinement que le Nord avait perdu sa consistance, sa réalité. Tout se passe comme si le Nord ne pouvait plus s’incarner. Pourtant, le rêve est toujours le même. Il n’est que plus onéreux.
Il est significatif à cet égard que l’Occident ne mobilise plus que la plus évanescente des sensations, la plus fugitive : la sensation olfactive. L’Occident n’est plus qu’un parfum grisant jusqu’à l’aliénation.
Voici la première page du roman en arabe avec sa traduction en français. Si je présente ici ma propre traduction, c’est uniquement parce que je n’ai encore eu accès à celle de l’éminent arabisant Xavier Luffin qui vient d’être publiée aux éditions l’Harmattan
Pour écouter un extrait du roman : http://www.zshare.net/audio/7631249713f4a447/

Le parfum français Amir Tagelsir

Chapitre I
Quand parvient une nouvelle
Ce n’était pas une nouvelle ordinaire que celle que Ali Jarjar glana par hasard et qu’il ramena au pas de course au quartier populaire Gayeb où il vit à la périphérie de la ville. Bien que la nouvelle en soi fût laconique, imprécise et sans indice aucun, les fantasmes de Jarjar étaient toujours à l’œuvre, à tout moment prêts à la transformer en nouvelle importante et décisive.
Dans quelques jours, la Française Cathia Cadouli viendra habiter avec vous pour un certain temps dans le cadre d’une étude internationale… Accueillez-là n’importe où parmi vous et continuez à vivre normalement.
C’est exactement ce qu’a dit Mabrouk, le responsable du Gouvernement lorsqu’il reçut Ali Jarjar au siège de la Préfecture de la ville qu’il avait pris le pli de visiter de temps en temps avec ou sans raison. Le responsable le connaît depuis plus de quarante ans, un jour qu’ils s’étaient affrontés lors d’un match de foot assez rude qui eut lieu dans une impasse minable et où le futur responsable se fractura le pied. Il appela Jarjar alors que celui-ci était sur le point de promettre à Sarira, la vendeuse de thé en fraction devant la Préfecture, le mariage comme il l’avait fait auparavant avec des dizaines d’autres :
Eh Ali..Eh Jarjar…
Il en resta dans sa promesse à la vendeuse à la valeur de la dot et au poids de la bague qu’elle mettrait pour la noce et il suivit le responsable du Gouvernement à l’intérieur de la bâtisse.
De quelle étude internationale s’agit-il exactement ? Et pourquoi à Gayeb et pas ailleurs dans le monde ?
En vérité nous n’en savons rien. C’est tout ce qui nous est parvenu jusqu’à maintenant.
Et quand est-ce qu’elle arrive cette Française ?
Nous n’en savons rien non plus ; peut-être dans les jours ou dans les semaines qui viennent.
Et qu’est-ce qu’on demande aux habitants du quartier ?
Rien de précis. Comme je te l’ai dit : « vivez normalement mais prenez bien garde qu’il y a une étrangère parmi vous. »
Le responsable du Gouvernement s’en alla à ses travaux laissant Ali Jarjar intrigué. Il a longuement vécu au quartier Gayeb (Absent) que les autorités ont échoué à baptiser quartier Nour (Lumière) ou Zahr Raoudha (fleurs du jardin) ou même Hader (Présent) et ils ont accueilli des centaines d’étrangers. Certains étaient des hôtes d’une connaissance ou d’un parent, d’autres venaient se cacher après un forfait commis très loin, d’autres espéraient devenir propriétaire après une longue mainmise sur un terrain, d’autres encore venaient pour une femme désirée et d’autres rien que parce qu’ils étaient étrangers accueillis par un quartier pauvre. Aussi nombreuses et bigarrées qu’elles fussent, ces foules d’étrangers étaient toutes de cette terre. Elles pouvaient être du Nord, du Sud ou du Centre, elles appartenaient au même corps qu’est ce vaste pays.


حين يأتي خبر ما

لم يكن خبراً عادياً، ذلك الذي التقطه (علي جرجار) مصادفة، وأسرع به راكضاً إلى حي (غائب) الشعبي في أطراف المدينة حيث يعيش. وبالرغم من أن الخبر في حد ذاته كان مقتضباً وغامضاً وبلا علامات إرشادية، إلا أن خيالات جرجار كانت حاضرة دائماً، ومستعدة لتطويره في أي وقت، إلى خبر ذي جدوى وتأثير.· ستأتي الفرنسية (كاتيا كادويلي) في الأيام القادمة، للإقامة معكم في الحي فترة من الوقت، كجزء من دراسة عالمية .. استضيفوها في أي مكان بينكم، وعيشوا حياتكم كما هي .هذا بالضبط ما ذكره المسئول الحكومي (مبروك)، حين التقى (علي جرجار) في مبنى محافظة المدينة التي اعتاد على زيارتها من حين لآخر بهدف وبلا هدف. يعرفه المسئول منذ أكثر من أربعين عاماً، حين تواجها مرة في مباراة كرة قدم خشنة، جرت في زقاق ضحل، وانكسرت فيها قدم الحكومي آنذاك. ناداه وهو يوشك أن يعد (سريرة) بائعة الشاي المرابطة أمام المحافظة، بالزواج كما وعد العشرات من قبلها.· يا جرجار .. يا علي ..توقف بوعده للبائعة عند قيمة المهر، وعدد الجرامات في الخاتم الذي سترتديه يوم الزفاف، وتبع المسئول الحكومي إلى داخل المبنى.· وما هي تلك الدراسة العالمية بالضبط ؟ ولماذا حي غائب بالذات دون أحياء الكرة الأرضية؟· لا ندري شيئا في الحقيقة .. هذا ما وصلنا حتى الآن.· ومتى ستصل تلك الفرنسية ؟· أيضا لا ندري .. ربما في الأيام أو الأسابيع المقبلة.· وما هو المطلوب من سكان الحي؟· لا شيء محدد..عيشوا حياتكم كما أخبرتك، فقط انتبهوا إن بينكم غريب .انصرف المسئول الحكومي إلى أشغاله، تاركاً علي جرجار حائراً .. في أثناء سكناه الطويلة في حي (غائب) الذي حاولت السلطة مراراً أن تسميه حي النور، أو حي (زهر الروضة) أو حتى حي (حاضر)، وأخفقت .. استضافوا مئات الغرباء، بعضهم جاء ضيفاً على أحد يعرفه أو يمت إليه بصلة القرابة، بعضهم اختفاء من جرم ارتكب في مكان بعيد، بعضهم طمعاً في أرض يمتلكها بوضع اليد، أو امرأة يشتهيها، وبعضهم لا لشيء أكثر من كونهم غرباء يستضيفهم حي فقير. ومها كانت تلك الأفواج الغريبة ومهما كثرت أعدادها وتشعبت، إلا أنها كانت كلها من لحم الوطن، قد تكون من الشمال أو الجنوب، أو الوسط. لكنها في النهاية تتبع لذلك الجسد الوطني العريض.

lundi 28 juin 2010

Poème


J'aurais pu en rester à l'alif
Au seuil de l'alphabet
Au seuil des chiffres
Parce que l'alif est le un
La droite ligne du matin
La taille élancée de l'amour
Que je n'ai pas encore étreint
La première lettre du Livre
Et du verbe lire à l'impératif
L'alif est dans toutes les lettres
J'aurais pu en rester au seuil
Trouver le pain dans une miette
J'aurais pu n'avoir qu'un amour d'alif
Parce que l'alif dit que toute lettre
Peut devenir alif, que tout peut devenir un
Il suffit que chaque lettre pense très fort
Au grand Amour pour devenir un alif
Alif alif alif

(Jalel El Gharbi, Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête. Editions du Cygne)

vendredi 25 juin 2010

L'Autre Cioran


L’Autre Cioran (Cioran lève le masque)

Dans cet ouvrage, à l’origine une thèse de doctorat, Constantin Frosin, fin connaisseur des lettres roumaines et francophones, revient sur le parcours d’Emil Cioran et en explore les zones les moins fréquentées. Nous apprenons d’emblée qu’il s’agit de restituer l’œuvre du poète à la roumanité. Frosin le signifie vigoureusement : autant qu’Eugène Ionesco, autant que Mirea Eliade, Cioran est Roumain. Ces « invités » de la langue française ont en commun d’avoir vécu cette expérience tout à la fois enrichissante et aliénante de s’exprimer dans la langue de l’autre. Implicitement, l’expérience revient à se dire avec les mots de l’autre, i.e. à trouver ce point où l’autre est synonyme du même. Pour y parvenir, il faut au préalable se plier aux inflexions de la langue d’accueil et –dialectiquement – plier cette langue à sa propre identité. Il y a quelque violence en tout point semble être un échange ; et cela explique sans doute la verve avec laquelle Frosin, qui vit ces mêmes questions, pose le problème. Violence dis-je, pourtant il n’y a aucun contentieux entre la France et sa « sœur latine » (Paul Morand) la Roumanie. Emil Cioran avait résolu le problème à sa manière en affirmant qu’ « on n’habite pas un pays ; on habite une langue ». Constantin Frosin nous rappelle que les Roumains ont depuis l’avènement même de leur pays, habité la langue française. Le panorama dressé par l’auteur présente l’avantage d’être exhaustif et de ne pas verser dans la redite. Et l’on a plaisir à voir la galerie d’auteurs roumains ayant choisi la langue française. Citons les plus connus : Anna de Noailles, Hélène Vacaresco, Ilarie Voronca, Benjamin Fondane. Cela débouche en toute logique sur un portrait de Cioran : sa hardiesse juvénile, son aptitude à prendre du recul, c’est-à-dire son goût pour l’ironie, la dérision et la désinvolture. (Un je-ne-sais-quoi me murmure que Constantin Frosin brosse autant un portrait d’Emil Cioran qu’un autoportrait). Ce principe de recul semble présider également à la relation du poète au divin. Constantin Frosin relève le même esprit de dérision, d’autodérision chez ce poète rongé par le doute ; la même oscillation entre saugrenu et sublime, entre transcendance et immanence. Comme il sied à un esprit libre, Cioran est le poète du détachement. Sa pensée ne peut tenir dans aucun carcan. Elle se déploie librement, trouvant autant de vérité dans l’affirmation que dans la négation, dans la sagesse que dans le trouble. Le monde de Cioran, tel que le portraiture Constantin Frosin est celui du rire opposé à l’absurdité des choses. Le rire : l’assurance de l’homme rongé par le doute. Cioran, qui connaissait parfaitement l’œuvre de Bergson, devait en être convaincu. Pour le poète qui a trouvé le salut dans l’esthétique ce non-sens est le sens même du monde. Cela n’est pas sans rappeler que Cioran se disait redevable au suicide : il savait qu’il y aurait toujours ce dernier recours qu’il n’a pas mis à exécution.
Constantin Frosin : L’Autre Cioran (Cioran lève le masque). Editions L’Harmattan

mercredi 23 juin 2010

A quoi bon ?

Photo emprunté au blog d'Emmila Gitani (dans mes liens)

La question vient de Russie. C’est Tania qui la pose : à quoi sert la Littérature ? L’enjeu est immense : cela induirait donc que Gogol et Dostoïevski pourraient relever de la sphère de l’inutile. Cela voudrait donc dire que Maâri et Darwich pourraient être superflus. Pourtant la question n'est pas sans objet ni sans fondement. Elle est lancinante parce que quasiment métaphysique car elle porte sur le "pourquoi".
Les littéraires se posent souvent la question du « comment » et très peu celle du « pourquoi ». Pourtant, la raison des choses, c'est souvent la raison d'être du sujet. De la question de Tania, je dirais surtout qu’elle demande à ne pas avoir de réponse. Une de ces questions qui exigent d’être sauvegardées. Mais reposons-la tout de même. Pourquoi la littérature ? On sent de prime abord que la question exige une définition de la littérature, ou tout au moins de sa pratique, un réexamen des conditions de son enseignement.
Inutile ? Paraphrasons les propos du sage taoïste pour dire qu'elle sert à montrer « l'utilité de l'inutile » (Zhuangzi IVème siècle avant J.C) Cela ressemble à une boutade, mais imaginons un monde sans littérature…
La littérature : une infinité d'expériences, de textes qui concourent à dire que le monde a une autre doublure faite de significations toujours insoupçonnées, que le monde est moins insensé qu'il n'y paraît, que même s'il est un non- sens, il a du sens et que son sens peut même résider dans ce non sens. Pourtant nous savions très bien nihil novi sub sole et nous n’avons plus rien à apprendre sur l’essentiel : l’amour, la naissance et la mort. Et pourtant, grâce à la littérature nous faisons comme si, nous versons dans la métaphore du comme si et le monde en est plus habitable. En littérature la métaphore est plus réelle que la vérité, plus vraie. Et cela aide à vivre.
La littérature sert à cela : débusquer du sens même là où il n'y en a pas. Cela revient surtout à affirmer la primauté du Beau et donc « l’utilité de l’inutile » où l’ « inutile » n’est pas aussi inutile qu’il n’y paraît. L’« inutile »sert à montrer que l’esprit humain a des universaux que nous devons décrypter et c’est en cela que réside notre tâche. Dit autrement : longtemps nous avons enseigné la grammaire russe (Pour Tania), ou française (pour Anita qui m’a transmis le message de Tania), ou arabe comme si c’était la Grammaire ; longtemps nous avons enseigné la littérature russe, chinoise ou bulgare comme si c’était la Littérature ; longtemps nous avons enseigné le grec, le russe, l’arabe comme si c’était la Langue. Le moment est venu d’enseigner la Grammaire, la Littérature, la Langue dans une perspective comparatiste, une perspective qui fasse Com (cum)-paraître l’autre. Notre enseignement doit insinuer que l’autre n’est pas autre, qu’il revient au même. Aujourd’hui, cela ne constitue pas un luxe de la pensée parce que des hommes ont payé de leur vie et de la vie des autres l’idée que l’autre est irrémédiablement autre. Aucune école n’enseigne que l’identité est un devenir autre. Je ne suis pas ce que je suis mais ce que je cherche à être. Cela est aussi une des leçons, une des justifications de la littérature.
Ce sont des choses qu'on pourrait enseigner en philosophie, oui mais la littérature est la seule à offrir une infinité de voies aboutissant à cette vérité. La littérature est la seule à poser comme postulat la parenté entre distance et parenté. Chaque œuvre insinue que le monde n’est pas analysable en dichotomies nous/les autres. Chaque œuvre insinue que l’autre revient au même.
La littérature sert surtout à dire que chacun peut emprunter sa propre voie pour dire cela. En cela elle est irremplaçable. En cela elle est un humanisme. Elle assène que l'homme qui produit de si belles choses est une valeur.

mardi 22 juin 2010

Une passante de Giulio-Enrico Pisani

Portrait de Madame Lantelme de Giovanni Boldini.
AMOUR D’UN SOIR FIN SEPTEMBRE (Édit. Schortgen 1996)
Où l'on voit passants & passantes de Giulio-Enrico Pisani


EN PASSANT PAR PARIS

Dis-moi un mot, belle inconnue,
Ne détourne pas les yeux ;
Tu ne dois pas bouder, vois-tu,
Le sourire d’un homme heureux.

Car pour l’être il doit aimer
Et de t’aimer comme tu veux l’être,
Tendrement ou passionnément,
Pas du tout ou sous ta fenêtre.

Amicale ou romantique,
Ma présence auprès de toi
C’est la chaleur d’un pique-nique,
La clairière au fond du bois.

C’est sourire en vis-à-vis,
Un café sur les boulevards,
C’est les montres qu’on oublie,
C’est les lampes, car il se fait tard.

C’est le « Oh, mon Dieu ! » effaré,
Devant ce temps perdu
A la terrasse d’un café
Avec moi, cet inconnu.

C’est aussi les confidences
À un ami qu’on ne risque pas
De revoir dans cette existence,
Car demain il ne sera plus là.

Car demain il sera parti,
Emportant tous tes secrets
Murmurés au creux du lit
Ou devant un café au lait.

Oh rencontres d’un jour, éphémères d’amour !
Qui sait mieux qu’elles comment aimer sans mal ?
Des passions dévorantes ne restent que discours
Et discours encore pour les amours vénales.

Mais le flirt suggéré, gratuite connivence,
Le sourire en passant, dénudant mais pudique,
Appuyé aux Tuileries et envolé à La Défense,
est baiser éternel au souvenir magnifique.

lundi 21 juin 2010

Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête, Lecture de Josette Marty

Prière du vieux soufi le lendemain de la fête
ou le poème suspendu… recueil de Jalel El Gharbi.

Suspendu entre Orient et Occident, la prière du vieux soufi, poème, donne corps à l’utopie, que son auteur Jalel El Gharbi nomme « Orcident ».
Fleur d’Orient ouvrant ses volets en Occident
Ce matin tu fais un chiasme
Occident en Orient
Donner corps à cette utopie, telle est la tâche du poème et du poète.
Jalel El Gharbi, dans un souffle qui s’origine dans la mystique soufie ne relâche pas le rythme issu de la fête et conduit son lecteur d’Occident à un état de réception qu’on n’ose appeler « extase » tant les images, les lieux évoqués , les Noms-repères sont des trésors signifiants dans la multiplicité des ressources de la langue poétique créée sur une ligne qui ondoie telle une danse de derviche.
Dicibles, les symboliques de l’Orient soufi, lettres et couleurs, ses poètes Ibn Arabi, Roumi deviennent des présences vivantes qui irradient d’éclats nouveaux les préoccupations existentielles de tout sujet humain, modeste terrien, grain de sable ou de lumière errant dans le ciel de Qays, poète pré-islamique, dont « le poème suspendu » écrit dans les nuées ou sur le sable devient l’archétype de l’errance du sujet moderne.
Ces retrouvailles ontologiques s’ouvrent à tous les horizons :
Plus loin vers l’Ouest
Là où les hommes donnent au calame un autre sens
Travaillent la pierre et la peinture autrement
Et apprennent autrement
La rhétorique et la séduction
Mais aiment comme nous
Tu seras l’est de leur Ouest
Et grandira la part de L’Ouest en toi
L’ouverture émouvante donnée par deux vers du poète Hölderlin qui dit sa déréliction ouvre la prière du vieux soufi adressée aux figures de l’Autre : Dieu, Amour.
Au lendemain d’une fête que l’on suppose chargée des ivresses du vin, le vieux soufi en vient à implorer Dieu : Comment dire l’Amour ? Comment écrire Amour ? Comment s’approcher d’Amour ? La rencontre terrestre est-elle Amour ou amour ?
Ce questionnement rend incandescente la source d’une culture qui est l’aliment commun : La philosophie grecque et ses Dialogues.
C’est alors que pour le lecteur s’éclaire le poids de la déréliction du poète Hölderlin quand celui-ci, dans son mal, perd son attache à l’Orient fougueux des Grecs. Quant au vieux soufi, porté par le souffle de sa tradition, il questionne « Le Grammairien » qui devient un intercesseur entre la lettre, le mirage des mots et le Livre :
Pour l’instant fais comme si le Livre était dans les livres/ Et Amour dans les amours.
Le grammairien porte un regard désabusé sur la quête du vieux soufi égaré dans la profusion des images et des réminiscences et conseille : LIS.
Le Grammairien pense que c’est pour avoir
Perdu nos images, nos métaphores et nos synecdoques
Que nous sommes devenus ombres délétères
Dans la modernité, le vieux soufi continue sa quête, près d’une fenêtre, près d’une lampe, ses souvenirs en viatique, dans un désir persistant :
Prendre un cheveu
Que l’amour a oublié
Le rapprocher de la lampe du jour
Le peser à l’aune des rêves
Un millimètre pour mille onces de bonheur
Pliez le cheveu en deux
Le rapprocher de ses lèvres
Et frôler la lampe qui y loge
Prendre le cheveu
Le caresser et retrouver l’once manquante
Comme Amour dans le dialogue platonicien, il ruse et sait cacher :
Et j’ai caché cet autre vers de Hölderlin : Et aux amants une autre vie est accordée.
Ainsi est maintenue la tension de la quête : Amour ou amour ?
Tension qui est aussi finalité du poème : laisser ouvert le questionnement… .
A toi lecteur de lire et te perdre dans les lettres, s’en tenir au DAl…sans guide…sans dalil avec un nom qui est « voué aux dés »… retrouver la langue, l’intensité de la quête qui mène au poème et à l’univers du poète.
Josette Marty. Ecrivain et poète. Revue Dialogue n°137 site : www.gfen.asso.fr

Josette Marty vit et écrit en Ile de France, près de Paris. Depuis 1984, après un premier long poème « Travail D’oral » où s’entrelaçaient narrativité et poéticité, ses poèmes et nouvelles ont été édités dans différentes revues de poésie. En 1987, elle a participé à la fondation de la revue Sapriphage, revue de création d’un lieu « pour que mutent les discours ». Avec le parrainage de Rachid Boudjedra, cette revue s’ouvrait à une langue où les effets de domination se travaillaient et s’analysaient. Josette Marty est aussi l’auteur d’un livret d’opéra pour enfants, elle travaille actuellement au livret d’une cantate. En 2004, paraissait son roman « Mort dans la neige » sur un épisode de la Résistance Maquisarde sous Occupation allemande et un poème « Source d’exils » au Trident neuf à Toulouse. Conceptrice et animatrice d’ateliers d’écriture, elle participe au comité de rédaction de la revue « Dialogue », revue de recherche en pédagogie qui explore les modes de transmission, et plus particulièrement les modes de transmission en littérature. De ce fait, cette revue questionne le rôle de l’atelier d’écriture dans cette transmission.

samedi 19 juin 2010

Autres poèmes de Bizerte

Caspar David Friedrich : Le Voyageur au-dessus de la mer de nuages (1818)
Hambourg Kunsthalle

Voici encore deux poèmes de Mokhtar El Amraoui :


Nouvelles couleurs
Nous relierons

Patiemment nos veines

Et de nos sangs mélangés,

Sortiront des couleurs

Jusque-là inconnues

Et tous unis,

Nous leur donnerons

De nouveaux noms

Sur les rythmes des battements

D’un même cœur.


Mokhtar El Amraoui

Médutopia
Quand verrai-je luire

Dans ces yeux blêmes

Les feux de la vie ?

Quand verrai-je sortir

De la nuit noire

Un chant pacifique de victoire ?

Quand verrai-je

Se pointer à l’horizon

Les poings du futur

Et l’espoir noyer les haines et les mépris?

Quand verrai-je passer

Le défilé

Beau

Gai

Et puissant de la liberté

En Méditerranée ?

Quand écouterai-je

La musique de la fraternité

Vibrer sur les cordes chaudes du soleil

Sous les petits doigts

Aux couleurs de l’arc-en-ciel

Des enfants ?
Mokhtar El Amraoui

mercredi 16 juin 2010

ياجارة الوادي

Le poète Ahmed Chawki
En 1928, Mohamed Abdelwaheb chanta ce poème d’Ahmed Chawki. Bien des années après les frères Rahabani en firent un nouvel arrangement musical et Feyrouz lui prêta sa voix cristalline.
Chawki (1868_1932) y célèbre un amour de Zahlé au Liban où il venait passer l’été et où il rencontrait les poètes du Liban, surtout Khalil Motran (1872-1949). Voici une traduction de ce poème qui fait partie du répertoire de la grande chanson arabe.


Riveraine de la rivière

Ahmed Chawki
Emu, ô riveraine de la rivière, j’ai revu à ton souvenir comme des rêves
Je me suis représenté ton amour dans ma mémoire et dans mon songe car les souvenirs sont l’écho volubile des années
Je suis passé par les jardins de la colline verdoyante où j’avais l’habitude de te voir
Des visages et des regards m’ont souri j’ai alors retrouvé dans leur souffle ton sourire
Je ne savais ce qu’était la vraie étreinte jusqu’au jour où, tendrement, mon bras t’a enlacée
Les formes de ton corps ondoyèrent sous ma main et tes joues s’en enflammèrent
Je suis alors entré dans deux nuits : ta chevelure et le soir qui descendait et j’ai embrassé comme un clair matin ta bouche
Les paroles se sont tues et mes yeux se sont dans le langage de l’amour adressés aux tiens
Ni la veille ni le lendemain ne faisaient plus partie du temps qui n’était plus tout entier que l’instant de ta confiance.
Traduction de Jalel El Gharbi


يا جارة الوادي

- أحمد شوقي

يا جارة الوادي طربت و عادني ما يشبه الأحلام من ذكراك

مثلت في الذكرى هواك و في الكرى و الذكريات صدى السنين الحاك

و لقد مررت على الرياض بربوة غناء كنت حيالها ألقاك

ضحكت إلي وجوهها و عيونها و وجدت في أنفاسها رياك

لم أدري ما طيب العناق على الهوى حتى ترفق ساعدي فطواك

و تأودت أعطاف بانك في يدي و أحمر من خفريهما خداك

و دخلت في ليلين فرعك و الدجى و لثمت كالصبح المنور فاك

و تعطلت لغة الكلام و خاطبت عيني في لغة الهوى عيناك

لا أمس من عمر الزمان و لا غد جمع الزمان فكان يوم رضاك

mardi 15 juin 2010

Exil



Exil : Oeuvre de Victor Hugo.

Cela fait longtemps qu'il écrit. Il n'a jamais cherché à publier. Il vient de rompre ce silence à quoi il s'est toujours astreint. Il s'agit de Mokhtar El Amraoui.

Merci de vos commentaires

Exil

Dans tes yeux
Mon enfant
J’ai lu l’exil
Toi qui es né
Loin du pays
Tes cheveux ont la couleur de l’olive
A laquelle nous n’avons plus
Le droit de toucher
Dans l’éclat de tes dents serrées
Mon enfant
Je regarde
Des milliers d’étoiles calcinées
Nos terres volées
Nos maisons bombardées
Des bouquets de poings
Tombant sous les orangers
Dans le mercure de tes larmes
Mon enfant
J’ai lu l’exil
L’exil d’un peuple
Mokhtar El Amraoui

dimanche 13 juin 2010

En français dans le texte محمود المسعدي


Mahmoud Messadi (1911-2004) est le plus illustre des écrivains tunisiens. Il se fit connaître par son exceptionnel maniement de la langue arabe mais il maîtrisait aussi la langue française. Ce que l’on sait moins, c’est que son chef-d’œuvre Le Barrage a d’abord été écrit en français. Ce sont une trentaine de feuillets dactylographiés et signés par l’auteur. Il s'agit d'un texte inédit qu’on a délibérément écarté des Œuvres complètes. Voici le premier feuillet du tapuscrit :
Le Barrage
Scène première
La scène représente n’importe quoi, pourvu que l’on se sente en montagne, dans un pays rocailleux, aride, à végétation en aiguille et à poussière nombreuse. La scène doit être en sèche ; on peut faire le ciel en jaune.
Les deux personnages doivent se débrouiller pour se trouver une attitude, une position, assis ou debout, dans un décor sans chaise ni fauteuil. Ils peuvent par exemple, s’asseoir sur leur matériel de campement que l’on voit entassé là, ou corrompre le metteur en scène.

Marphéo.
Nous voici installés dans le Rêve, Meïmouna.
(Elle veut parler)
Oui, oui…je sais. Tu vas dire : je déteste les idéales commodités ou encore : ce n’est guère un équilibre.
Meïmouna.
Non, Marphéo, non. Je ne voulais rien dire de tel. Je voulais dire seulement : comme des vers dans un fruit. Mais alors le fruit ne vaut plus rien.
Marphéo.
C’est une grande erreur, Meïmouma, le Rêve n’est guère comestible.
Meïmouna.
Peut-être. Oui, tu as raison. C’est nous qui sommes mangés. Le Rêve est un anthropophage.
Marphéo...

vendredi 11 juin 2010

Tahar Bekri lu par Giulio-Enrico Pisani



Giulio-Enrico Pisani vient de publier dans le Zeitung Vum Lëtzebuerger Vollek cet article sur l'ouvrage Salam Gaza du poète Tahar Bekri :




Fin 2008, après un intense bombardement préliminaire, Tsahal donne l’assaut au « ghetto » de Gaza. Ghetto, « île » assiégée, ou camp de concentration ? On peut discuter des mots. Les temps changent, les vocables et les uniformes aussi, comme ceux des rapaces qui, 64 ans et quelques mois plus tôt, après un intense bombardement préliminaire, donnèrent l’assaut et détruisirent le ghetto de Varsovie. Mais les martyrs deviennent bourreaux, l’enfant violé devient à son tour violeur. Comme moi,(1) comme vous, comme tout le monde, ahuri, révolté, impuissant, Tahar Bekri suit jour après jour l’impensable, l’aveugle, stupide et inutile massacre d’une population dont un demi siècle de vexations et de souffrances plus inutiles encore avaient poussé certains éléments à l’exaspération, voire au suicide meurtrier. Déçus par l’impuissance et la corruption du Fatah et instrumentalisés par les fanatiques extrémistes du Hamas, ces desperados devinrent l’ultime cri de révolte d’un peuple auquel les tout-puissants Etats-Unis et leur alliés israéliens dénient depuis plus d’un demi-siècle le droit d’exister.
Tristes clones de ces clowns en stratégie politique boomerang que furent toujours les américains, les Israéliens ont réédité, toute proportion gardée, la connerie criminelle des USA en Afghanistan, où ces derniers soutinrent, armèrent et financèrent les Talibans et Al Qaïda contre les Russes, avant que la manoeuvre ne leur explose à la figure. Tahar Bekri écrit en effet dans « Salam Gaza »(2) : « ... l’occupation israélienne continue, par tous les moyens, à vouloir liquider le mouvement Hamas et ses chefs, après l’avoir aidé et soutenu, contribué, avec cynisme et stratégie politique, à son essor, afin d’affaiblir Yasser Arafat et l’Organisation de Libération de la Palestine... ». Et, le 30 décembre : « J’écris, blessé, meurtri, en colère. Encore un malheur qui frappe le monde arabe. Le monde ne bougera pas le petit doigt... ». Hélas, oui, à commencer par le monde arabe, Tahar ; pas plus d’ailleurs qu’en juillet 2006, lorsque tu écrivis ton terrible poème « Liban ma rose noire », ou bien, en 2002, lors du siège de Jénine, « Coquelicots pour la complainte de Bethléem », ce chant qui fait jeter son fusil au soldat qui le lit : « Si ton char tue ma prière / Si le canon est ton frère / Si tes bottes rasent mes coquelicots / Si tes raids violent mon ciel // Comment peux-tu effacer ton ombre parmi les pierres ? // Si mon église est ton abattoir / Si tes balles assiègent ma croix / Si mon calvaire est ton chandelier / Si les barbelés sont tes frontières / Comment peux-tu aimer la lumière ?... »
Comment un petit correspondant de presse luxembourgeois sexagénaire n’ayant jamais connu guerre, émeute ou tyrannie, s’arrogerait-il le droit de critiquer pareille littérature, amis lecteurs ? Prose d’exil et d’empathie, tourmentée jusqu’au sang et poésie de sang d’un écrivain, qui ne cesse tout a long de ses textes de stigmatiser à la fois l’impuissance de la poésie et son indomptable suprématie sur la violence, tout comme Pablo Neruda lorsqu’il écrivait : « ... La chair passe mais ta vie reste entière / dans ma poésie de sang et de soie.// Il faut être doux en toutes choses ;/ le chacal vaut moins que le papillon... » Il y aurait de toute façon plus à dire sur cette première partie du livre, « La guerre contre Gaza », que le livre ne contient de messages, tant ceux-ci sont percutants. Cinq cent pages pour en présenter soixante-dix. Vous rigolez ? Certes, la littérature, le style, la poétique de Tahar Bekri s’y limitent à quelques passages, à l’une ou l’autre belle page, ou poésie, tant la forme de ces carnets veut être simple, concrète, pratique, réaliste, pamphlétaire... pamphlétaires ? Même pas, plutôt bouillants de légitime colère !
Plus fluide par contre, d’un style moins prenant qu’accompagnant, d’un sentiment plus proche encore de la souffrance d’un peuple au quotidien, la seconde partie de ces carnets, « Voyage en Palestine », nous en rapproche, si faire se peut, davantage. « Normal », dirait ici Jalel El Gharbi, « Le voyage, c’est la poésie ». Le Mal, désormais coutumier, endémique, permanent, nous y touche de plus près que le Pire. La déchéance nous émouvrait-elle plus que l’agonie ? L’agonie plus que la mort ? Quelque chose d’anormalement, de monstrueusement quasi-normal (c’est pourtant de là que tout part) traverse ces seconds carnets ponctués de lectures poétiques, de steeple-chases entre les check points (aïe, mon français !), de chicanes jordano-israéliennes, de camps de réfugiés ou prisons à ciel ouvert de Naplouse... « Je n’en avais jamais entendu parler », écrit Tahar. « De ceux du Liban, de Jordanie, de Gaza, oui, mais comment aurais-je pu imaginer que des Palestiniens vivent réfugiés dans leur propre ville ? » Des Palestiniens qui « font avec » depuis des générations, tout simplement parce que le monde « fait si facilement avec ». Ils dépendent de l’aide onusienne. Et alors, il y a pire, non ? « Prenez de quoi acheter votre farine et quelques aubergines et taisez-vous ! », écrit tristement Tahar en citant l’opinion dominante, « Faites-vous oublier (...) Le monde a les yeux braqués sur les barbus de Gaza, les horribles (...) qui menacent la stabilité d’Israël. Et ceux-là (des camps de Naplouse) sait-on qu’ils existent ? Qu’ils ont perdu espoir dans la justice des hommes, que l’Histoire est un char qui avance en écrasant les faibles, que les puissants de ce monde préfèrent donner un peu de leur argent pour maintenir un peuple dans l’assistance ? »
Question de se donner bonne conscience, bien sûr. Angoisse de Tahar, que sa lecture et les rencontres à l’université de Bir Zeit n’arriveront pas à dissiper. Quelques personnes disponibles et chaleureuses, dont Lucienne, la directrice du Centre Culturel français, l’aident à surmonter son désarroi, à l’occulter un moment, en attendant que ça remonte, toujours et toujours… et notamment en écrivant ce livre. À Bir Zeit il y a des milliers d’étudiants sans débouchés, sans beaucoup d’autres perspectives qu’une improbable émigration, la lutte armée ou – et Tahar Bekri en tremble – l’acte désespéré du Kamikaze. Le voyage palestinien prend fin sur le sourire chaleureux de Lucienne, et (touche d’humour pour ne pas sombrer) une curiosité dont je me demande encore (faites-le moi savoir, s’il vous plait, Tahar, si vous lisez ces lignes !) s’il s’agit d’une coquille ou d’un conditionnel exprimant le doute. « Vous reviendriez ?" fit-elle ». Y a-t-il un "si" sous roche ? Tahar reste silencieux. Il n’écrit pas qu’il a la gorge nouée, mais bien : « ... je l’embrasse devant les employés de l’hôtel, interloqués ». Elle a beau être française, Lucienne, n’était-ce pas toute la Palestine qu’il venait d’embrasser avec elle ?
Avant tout poète, c’est pourtant en prose que Tahar nous propose ces carnets ; carnets brûlants du sentiment tragique de la vie, l’ubiquité de la mort en filigrane, peints en touches ici légères, là percutantes, comme des toiles de Gérald Faivre Courtot : chants de résistance, où la poésie tragique qu’ils transportent affleure, sporadique, mais qu’elle sous-tend, omniprésente... « Au milieu de tous ces miradors, ces mitraillettes, ces murs, ces voitures militaires, ces caméras de surveillance, le poème s’écrit en refusant d’admettre la victoire de l’arbitraire, de subir les crocs du loup dans la jungle de l’histoire », hurle-t-il de sa plume, au bord du désespoir.
« Né en 1951 à Gabès en Tunisie, Tahar Bekri vit à Paris depuis 1976, a publié une vingtaine d’ouvrages (poésie, essai, livre d’art). Sa poésie est traduite dans différentes langues (russe, anglais, italien, espagnol, turc, etc.) et fait l’objet de travaux universitaires. Son oeuvre, marquée par l’exil et l’errance, évoque des traversées de temps et d’espaces continuellement réinventés. Parole intérieure, elle est enracinée dans la mémoire, en quête d’horizons nouveaux, à la croisée de la tradition et de la modernité. Elle se veut avant tout chant fraternel, terre sans frontières. Tahar Bekri est considéré aujourd’hui comme l’une des voix importantes du Maghreb. Il est actuellement Maître de conférences à l’Université de Paris X - Nanterre ».
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1) Voir notamment mon article « Je pleure pour toi, Palestine... » dans Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek 14.1.2009, en ligne : www.zlv.lu/spip/ spip.php ?article66
2) Salam Gaza, carnets, 150 pages, Editions Elyzad, Tunis, 2010, www.elyzad.com
Giulio-Enrico Pisani

mercredi 9 juin 2010

أبو فراس الحمداني Abu Firas Al Hamdani

Statue d'Abu Firas à Alep
Abu Firas Al Hamdani né en 932. Prince, poète et prince des poètes. Il connut la prison à Constantinople et écrivit une poésie des plus délicates. En 968, grièvement blessé lors d'une bataille, il écrit son propre thrène. Le voici traduit pour vous.


Ne sois pas triste, ô ma petite fille,
Tous les êtres doivent partir un jour.
Je te souhaite, ô ma petite fille,
Beaucoup de patience face aux grands drames
Pleure-moi amèrement derrière voilette et rideau
Et si m’appelant tu venais à désespérer d’avoir une réponse dis alors :
Il n’a pas été donné au fleuron du bel âge, Abu Firas, de jouir de sa jeunesse


أبنيتي لا تحزني كل الأنام إلى ذهاب

أبنيتي صبرا جميلا للجليل من المصاب

نوحي علي بحسرة من خلف سترك والحجاب

قولي إذا نادينني وعييت عن رد الجواب.

زين الشباب أبو فراس لم يمتع بالشباب

lundi 7 juin 2010

Pour saluer Gilbert Naccache


Son engagement politique au sein du groupe Perspectives, vaut au militant Gilbert Naccache d’être arrêté en mars 1968 pour n’être libéré que onze ans plus tard. En prison, il écrit clandestinement « Cristal » (ainsi intitulé à cause du papier des paquets de cigarettes Cristal sur lequel il écrit).
Il a également publié « Le ciel est par-dessus le toit » (éditions du Cerf Paris) et « Dis qu’as-tu fait de ta jeunesse. Itinéraire d’un opposant au régime de Bourguiba. Suivi de récits de prison » (éditions du Cerf-Paris/Mots passants-Tunis)
Voici une page de son premier roman « Cristal » que je suis en train de relire avec la même émotion :

Lorsqu’en mars 1968, l’Université se met en grève pour demander la libération de l’étudiant Ben Jennet, la contestation s’étend très vite et dépasse le seul cas de notre camarade, la seule revendication des libertés publiques, la seule dénonciation de l’impérialisme… Dans le gigantesque (pour l’époque) coup de filet qui suit, la police découvre, en recourant systématiquement à la torture, l’existence d’organisations politiques, et surtout la nôtre, le Groupe d’Etudes et d’Action Socialiste Tunisien.
Dans le pays la main mise de l’Etat sur l’économie, la transformation autoritaire de l’agriculture au moyen de coopératives, la présence d’un parti unique s’accompagnaient d’une répression larvée, du refus de toute forme de contestation ou même de critique. A côté de cela, l’Université était restée un lieu de relative démocratie, comme une enclave libre au milieu d’un territoire occupé. Et cette université était par nature sensible aux courants d’idées qui traversaient alors le monde : la contestation des Universités américaines, les oppositions radicales en Hollande et en Allemagne, les débuts de remise en cause de l’état de fait en Europe de l’Est, et surtout, de manière plus consciente la Révolution Culturelle Chinoise, dont la littérature commençait à se répandre, par les soins de l’Ambassade de Chine, et par ceux de notre groupe.
Ce groupe, nous le dirigions en sentant que nous n’étions pas maîtres du rythme que nous imposait l’impatience des étudiants, leur refus de se laisser mettre au pas, de devenir des machines à applaudir, de cautionner la répression contre les couches populaires. Nous ne doutions pas que nous étions les véhicules d’un courant général qui allait continuer, après le Mai français, à entraîner la jeunesse dans le monde. Nous pensions tout simplement être porteurs d’idées révolutionnaires que avions mission de transmettre au peuple, mais, surtout à la classe ouvrière, qui déciderait de les appliquer, une fois convaincue.
C’est pourquoi, comme beaucoup de gens, nous avions été surpris par la violence de la réaction du pouvoir. Après une campagne de presse qui nous a paru folle, où certains n’avaient pas hésité à réclamer la peine de mort contre nous, nous sommes passés devant une Cour de Sûreté de l’Etat spécialement créée à notre intention. Et, à notre stupéfaction, on nous infligea des peines qui ,totalisées, car il y avait de nombreux chefs d’inculpation, atteignaient seize ans de prison pour Nourredine et pour moi, les autres n’étaient pas mal servis non plus. Cinq ans, sur ce total, pour avoir rappelé la théorie marxiste de l’Etat, et de la dictature du prolétariat, « complot contre la sûreté de l’Etat », alors que les classiques marxistes se vendaient librement en librairie !

dimanche 6 juin 2010

Un poète irakien Muniam al Faker منعم الفقير


Muniam al Faker est un homme de théâtre, romancier et poète iakien. Il a dû quitter son pays en 1979. Il s’est réfugié à Beyrouth où il a écrit ses premiers poèmes. En 1982, suite à l’invasion israélienne, il a dû quitter le Liban pour la Syrie. Il vit à Copenhague depuis 1986. Il vient de publier un choix de textes au Caire dont nous traduisons ce texte :


Ceci n’est pas un monde
Mais une bande de pays
Ceci n’est pas l’humanité
Mais une poignée de sociétés
Ceci n’est pas une patrie
Mais des atomes de sable
Celui-ci n’est pas un homme
Mais des gouttes de sang
Ceux là ne sont pas vivants
Ni morts non plus
Ceci n’est pas une mer
Mais un cimetière d’eau
Toi-même
Tu n’es pas toi
Puisque tu es moi

هذا ليس عالماً
إنما شلة بلدان
هذه ليست بشرية
إنما حفنة مجتمعات
هذا ليس وطناً
إنما ذرات تراب
هذا ليس إنساناً
إنما قطرات دماء
هؤلاء ليسوا أحياءً
لكنهم ليسوا أمواتاً
هذا ليس بحراً
إنما مقبرة ماء
حتى أنتِ
لستِ أنتِ

لأنكِ أنا

Vient de paraître



Presse/Diffusion LITTÉRATURE
13, rue de l’Ecole Polytechnique 75005 PARIS
Tél. : 01 55 42 07 37 / Fax : 01 55 42 05 81






dans la collection Accent tonique

« Attention Travail ! »



Recueil de poèmes contemporains sur le travail coordonné
par Nicole Barrière et Martine Glomeron

Pourquoi un recueil de poèmes sur le travail ? Des évènements tragiques témoignant du malaise dans le travail aujourd'hui, des travailleurs empêchés de faire et se rendant malades jusqu'à la destruction ont amené depuis quelques années les professionnels de la santé à s'interroger sur ces nouvelles formes de violence au travail (harcèlement, burn out, suicide etc... accouplés aux violences économiques des patrons voyous et des licenciements ou de délocalisations)
Interrogations des professionnels de santé, des syndicalistes, peur de managers, autant de rapports dans un langage codifié, normé de l'ergonome, du sociologue, du juriste, du psychologue, mais la parole commune du travail qui pouvait la restituer ?
Ces questions ont été soulevées dans le collectif « Travail et Démocratie ».
Nous avons décidé de faire appel aux poètes pour qu'on entende d'autres voix.
Paroles libres de travailleurs, de poètes, le peuple du travail et du poème rassemblé, mots renoués, mots détournés pour aboutir à ces textes de 52 auteurs réunis dans ce recueil pour témoigner du travail aujourd’hui.





Les auteurs :
Dominique Aguessy, Gabrielle Althen, Nicole Barrière, Jeanine Baude, Claude Beausoleil, Nazand Begikhani, Yves Bergeret, Claudine Bertrand, Jean-François Blavin, Gérald Bloncourt, Marie-Odile Bodenheimer, Nasser-Edine Boucheqif, Abdelmajid Benjelloun, Sylvie Biriouk, Guy Chaty, André Chenet, Sylvestre Clancier, Francis Combes, Françoise Coulmin, Jean-Luc Despax, Richard Dethyre, Aurélio Diaz Ronda, Charles Dobzynski, Andrea d’Urso, Mireille Fargier-Caruso, François Fournet, Françoise Geier, Martine Glomeron, Denis Heudre, Sylvain Josserand, Isabelle Lagny, Xavier Lainé, Benoist Magnat, Caroline Masini, Jean Metellus, Nathalie Moreau, José Muchnik, Roland Nadaus, Patrick Navaï, Daouda Ndiaye, Isabelle Normand, Jean Piercé, Bernard Pozier, Philippe Pujas, Erwann Rougé, Jacques Rousselin, Bruno Rullo, Jean-François Sene, Jean-Hubert Sittler, Eric Sivry, Ana Tot, Than Vân Ton-That


Contact pour la promotion de cet ouvrage : Nicole Barrière


samedi 5 juin 2010

Notre colère...

A la frontière du ghetto de Gaza
Notre colère et ses différentes expressions embrassent le monde"

par François Nicolas, compositeur, initiateur de l’appel Musiciens avec Gaza

Qu’est-ce que la raison politique invite à penser du crime d’État commis par Israël  ?La colère, et même la rage  : voilà le premier sentiment qui monte face à cet acte criminel de pure et simple piraterie  : attaquer des bateaux civils, en eaux internationales, et argumenter le meurtre en soutenant que les passagers auraient dû se laisser arraisonner  !Cette colère et cette rage qui ont jeté deux à trois milliers de Parisiens dans les rues le soir même, une dizaine de milliers sur toute la France, et qui, pour la première fois depuis bien longtemps, a fait reculer les rangs des policiers sur une centaine de mètres au cœur institutionnel de la capitale, en pleine rue Matignon  ; une manifestation qui déborde de son lit officiel, occupe les Champs-Élysées que la police voulait lui interdire, repousse les Robocop de Sarkozy  : la chose est inhabituelle. Que présage-t-elle  ? Et, par-delà les sentiments précédents, légitimes (l’impunité de l’État voyou d’Israël insupporte cette partie du monde qui ne se reconnaît pas en ce porte-avions colonial de l’Occident fiché en plein Proche-Orient), qu’est-ce que la raison politique nous invite à penser de ce nouveau crime d’État  ?D’abord, cet acte (prémédité ou bavure, on ne le saura une fois encore que bien plus tard) est une preuve de faiblesse de l’État d’Israël, non de force  : cet État est de plus en plus acculé dans une fuite en avant (suicidaire  ? C’est en tout cas ce que pensent ceux de ses amis qui ont lancé l’appel JCall) dont il maîtrise de plus en plus mal le calendrier. À preuve par exemple que la pierre qu’il avait levée contre l’Iran en matière d’armement nucléaire lui retombe déjà sur les pieds puisque les 189 pays signataires du traité de non-prolifération viennent de signer un appel à un Moyen-Orient libre de toute arme nucléaire et, ce faisant, à une dénucléarisation d’Israël. Ainsi Israël appelait la foudre contre l’Iran pour voir celle-ci lui revenir tel un boomerang.Concernant Gaza, ce nouveau ghetto qui suscite chez sa population les mêmes réactions que dans tout autre ghetto (à commencer par ces tunnels qui servaient déjà à Marek Edelman de voie de communication), Israël pratique le pire avec l’arrogance sans nom de qui se croit impunissable. Et l’idée même que des gens courageux puissent entrer à Gaza, les bras pleins de vivres et de médicaments, est prise par Israël comme une menace pour la sécurité de son État  ! Un État qui vacille et se met à baver pour la simple raison que la punition qu’il veut infliger à un peuple résistant risque d’être adoucie par quelque nouvelle Croix-Rouge est un État dont les bases s’effritent, un État qui ne sait plus trop sur quoi il repose.Ensuite, il faut remarquer la complicité éhontée non seulement de Sarkozy, ce grand corrupteur des esprits qui appelle chacun à normer sa vie sur l’appât du gain aux dépens de son voisin, mais de la grande majorité des médias français  : l’aventure de la flottille de la liberté était connue de longue date. Aucun journaliste français n’a semble-t-il jugé bon d’en être, chacun préférant s’installer à Ashdod en Israël pour couvrir la réception israélienne des bateaux  ! Et tous aujourd’hui de prôner le méprisable équilibre du juste milieu qui associe la « tristesse » devant ces morts « inutiles » (êtes-vous si sûrs qu’ils le soient  ? Il est pourtant des morts qui pèsent lourds, et ceux-ci à l’évidence en sont) à l’insinuation qu’il ne faudrait pas s’étonner d’être assassiné si l’on n’a pas peur des brigands  !
Il faut également saluer le grand courage de la Turquie et de ses ressortissants. Ce sont apparemment eux qui ont payé le plus lourd tribut à l’assaut israélien. Ce sont eux qui n’ont pas déguerpi devant les commandos israéliens et les ont affrontés avec les moyens du bord. Apparemment, l’armée israélienne n’avait pas prévu cela  : croyant pouvoir miser sur la peur de la peur, elle a dû faire face à une résistance pour elle inattendue, cette résistance qui, comme le clament les manifestations pro-palestiniennes, est « la voie de l’existence ». Quel contraste entre la grandeur de la Turquie et l’abaissement de la France  ! N’est-ce pas là d’ailleurs la vraie raison pour laquelle Sarkozy refuse que la Turquie entre dans l’Europe institutionnelle  ? La Turquie, sans doute, n’est pas assez convaincue des bienfaits de la servitude volontaire et risquerait de réactiver en Europe le ferment de l’émancipation politique. D’où a contrario que la rue ait crié ce lundi soir  : « Vive la Turquie aux côtés du peuple palestinien  ! »La fuite en avant d’Israël fait courir au monde un grand danger. Il nous faut surmonter la peur que ce comportement veut inspirer, rester sur le qui-vive, attentifs aux recompositions politiques en cours chez les Palestiniens et les Israéliens non sionistes, et assumer notre tâche propre  : soutenir qu’une France et une Europe politiquement émancipées constituent le meilleur contrepoids à la guerre qui vient. Il nous faut pour cela descendre dans la rue autant de fois qu’il le faudra. Écoutons ainsi les rues des grandes villes du monde entier ce lundi soir  : elles étaient animées des mêmes rages et résonnaient des mêmes slogans  ! Ainsi, le courage des militants embarqués sur la flottille nous procure la chance d’éprouver qu’il n’y a bien qu’un seul monde et que, partout, des gens se lèvent à nouveau ensemble. Notre colère et ses différentes expressions embrassent ce monde.
Le texte d'appel de François Nicolas, compositeur, initiateur de l'appel "Musiciens avec Gaza", a été publié dans Tribunes & Idées de L'Humanité :
www.entretemps.asso.fr/Nicolas;
http://www.egalite68.fr/

jeudi 3 juin 2010

Lettres de prison


Dès 1963, la gauche marxiste léniniste tunisienne fonde le mouvement Perspectives, qui donnera par la suite Al Amel Ettounsi (L’ouvrier Tunisien), la répression ne s’est pas fait attendre.
L’on assiste aujourd’hui à une sorte de rétrospection générale. Littérairement, cela peut être illustré par le dernier ouvrage de Mohamed Salah Fliss Am Hamda Al Attel (littéralement oncle Hamda le portefaix) Après Mon combat pour les lumières (éditions Zellige. Paris 2009) de l’éminent juriste, universitaire et même ministre Mohamed Charfi (1936-2008), qui revient sur son parcours de militant de gauche, après les ouvrages de Gilbert Naccache dont on citera Cristal et plus récemment Qu’as-tu fait de ta jeunesse, itinéraire d’un opposant au régime de Boourguiba (1954-1979) (éditions du Cerf, 2009) et après « El Habs Katheb » mémoires de Fethi Ben Hadj Yahia, Mohamed Salah Fliss, figure connue de l’opposition en Tunisie, apporte son témoignage sur cette période de l’histoire du pays. C’est une nouvelle page dans la littérature carcérale en Tunisie. Né en 1946, Fliss s’engage très tôt dans l’action politique que connaît le pays au lendemain de son indépendance. En 1968, il est arrêté une première fois, puis en 1972, puis en 1974 pour être libéré en 1979. Ce fut l’époque où le pouvoir, trop frileux, cherchait à décimer la gauche. Et la gauche n’avait pas d’autres recours que de résister. Dans cette autobiographie, Fliss revient sur les années de détention qu’il a passées à Tunis, Kasserine et Bizerte à la prison de Borj Erroumi. Dans ce texte de haute tenue littéraire, l’auteur ne fait montre d’aucun ressentiment. Il ne s’agit nullement d’un règlement de comptes ni d’une délectation morose. Fliss n’a écrit ce texte que pour rendre hommage à son père, un docker qui s’est saigné aux quatre veines pour que ses enfants puissent suivre des études et pour qu’ils aient une éducation irréprochable. Ce père décède alors que Mohamed Salah est en prison. Contrairement aux usages en cours dans le pays, c’est à peine si l’administration pénitentiaire –plus exactement la DST- lui permet de se recueillir auprès de la dépouille paternelle. Il sera privé d’assister aux funérailles. Ce fut pour le détenu une douleur insoutenable et on le voit traiter de tous les noms les policiers civils qui l’escortent, puisant dans le même langage cru qu’ils utilisent avec les détenus politiques.Il est difficile de faire l’éloge de l’ère de Bourguiba après la lecture de ce récit. Tout y est : le régionalisme, la pratique de la torture, l’intolérance, le machiavélisme... Mais cela n’est rien en comparaison avec les erreurs politiques, la manière cavalière avec laquelle fut menée la bataille de Bizerte. Au cours de l’été 1963, la ville fut engagée dans un combat inégal auquel elle n’a pas été préparée. En fait, elle fut livrée à la vindicte de l’armée française , à ses parachutistes et l’on apprend à la lecture de ce récit qu’il y avait des Tunisiens dans cette armée. La rancœur bizertine remonte à cette époque. Elle semble même avoir nourri l’engagement politique de MS Fliss. Au cours de ce semblant de guerre – en fait de purs massacres- Fliss perd son frère. Tout se passe comme si l’engagement devait à chaque fois se solder par un deuil. Un itinéraire qui va de commotion en commotion. Ce qui semble sauver l’auteur, c’est l’amour pour les siens, pour sa ville et pour les livres.