mardi 19 janvier 2010

Libro del frio. Antonio Gamoneda. Le livre du froid


Libro del frio Antonio Gamoneda. Livre du froid
Pour Evelyne.
Dès les premiers vers du recueil, le poète se montre sur la cime comme le faisait les romantiques depuis Goethe jusqu’à Benjamin Constant en passant par Lamartine. La cime subjugue et son vertige vient de ce qu’elle convertit l’altitude en profondeur. Notons qu’en l’occurrence profondeur se dit abîme. Il y a dans l’univers de Gamoneda une réversibilité générale qui préside à tout et dont résulte une affligeante proximité entre la chose et sa négation. Dès lors tout devient avant-goût de la négation des négations, i.e de la mort. Avant-goût dis-je, c’est-à-dire une prescience, une incursion dans l’inconnu, dans ce « lieu sans nom », ce lieu où l’on va pour être dépossédé de tout : « ce lieu n’est pas le mien, mais je suis arrivé ». Et il y a si peu d’amertume dans cet avant-goût. A la réflexion, l’univers de Gamoneda se rattache surtout à l’arrière-goût des choses. Ce sont les images éteintes d’une enfance perdue et qui pourtant perdure ; ce sont des amours qui n’ont pas expiré. Le poète se délecte de ce passé, de ses réminiscences et de sa rémanence. Le monde est à appréhender sous le mode du détachement qui n’est pas renoncement « mange le miel sans espoir ». Sans espoir parce que « No vale nada la vida / La vida no vale nada » comme le chante le mexicain José Alfredo Jiménez cité dans le recueil. Le détachement se lit dans ces vers : « Je n’ai ni peur ni espoir. D’un hôtel hors du destin, je vois une plage noire et, au loin, les grandes paupières d’une cité dont la douleur ne me concerne pas.
Je viens du méthylène et de l’amour ; j’ai eu froid sous les tuyaux de la mort.
Maintenant, je contemple la mer. Je n’ai ni peur ni espoir. »
Ici, tout est allégorie du passage. Un passage empreint par l’ignorance tant est infime la part du savoir pas seulement parce que le poète écrit « Il est une herbe dont on ignore le nom, telle est ma vie » mais surtout parce qu’il arrive souvent que la mort prenne les traits de l’amour. Il arrive souvent que le froid, que l’ombre soient pris pour ce qu’ils ne sont pas : « Est venue ta langue ; elle est dans ma bouche / comme un fruit dans la mélancolie. // Aie pitié dans ma bouche, butine, lèche,/ mon amour, l’ombre. »
Antonio Gamoneda. Livre du froid Libro del frio. Traduction M. Joulia & J.Y Bériou. Précédé de « La Place Jaune » par Pierre Peuchmaurd. Editions Antoine Soriano. Barcelone 2005.

2 commentaires:

giulio a dit…

Donne vraiment envie, cher Jalel. Dans

"Je viens du méthylène et de l’amour ; j’ai eu froid sous les tuyaux de la mort. Maintenant, je contemple la mer. Je n’ai ni peur ni espoir."

ne dirait-on pas Sapho hésitant à plonger dans ce bleu où plonge Lesbos? (le méthylène et l'amour impossible n'allégorisent-il pas le couple poétique Mithylène-Grande Bleue?

Jalel El Gharbi a dit…

J'ai surtout été frappé par cette métonymie (méthylène pour bleu, pour mer). Comme un écho de ce bleu où plonge Lesbos (comme tu dis) mais aussi une expression de l'informe i.e.
Amicalement