samedi 22 octobre 2011

Renaud Matgen & Lidia Markiewicz, revenants de l’automne Par Giulio-Enrico Pisani

Renaud Matgen & Lidia Markiewicz, revenants de l’automne ( publié dans le Zeitung Vum Lëtzebuerger Vollek)
Certes, si les revenants sont pour nous des fantômes traînant des chaînes et hantant les vieilles demeures, inutile de visiter la Galerie Schortgen. (1) Si nous-nous réjouissons par contre de retrouver deux artistes exceptionnels, que nous avons déjà pu apprécier à plusieurs reprises, c’est le moment.
Moi, c’est avec la curiosité d’un môme pressé de savoir ce que le père Noël a déposé devant la cheminée, que je me rendis ce 15 octobre rue Beaumont, à la rencontre de ces « vieilles » connaissances, dont je suis un admirateur de longue date : Renaud Matgen et Lidia Markiewicz.
Renaud Matgen
est né au Luxembourg belge en août 1970 et nous fait savoir sur son très beau site www.sculpteur-matgen.com/, qu’il est un authentique autodidacte. Tardif, ajouterai-je, car ce n’est qu’en 2003 qu’il commence à travailler la glaise, l’argile. Sa source d’inspiration : des visages choisis parmi les peuples opprimés tels les Indiens ou certaines peuplades d’Afrique… Encouragé par sa marraine, sculptrice depuis 25 ans, il en viendra à adapter sur ses sculptures la technique du Raku, technique ancestrale et délicate d’émaillage venue d’Asie, principalement utilisée par les potiers… Puis il découvre l’ardoise, en fait, encore de l’argile, sauf qu’elle a passé par les tourments métamorphiques et a transité il y a un demi milliard d’années ou davantage par l’enfer des fournaises chtoniennes. Mais c’est encore sur le site de Renaud, que nous découvrons (à la 3e personne) le cheminement cette découverte qui n’a rien d’un soudain Euréka, mais qui sera l’embryon d’un long et laborieux cheminement, où les « fiat lux » renversants ne jouent pas grand rôle.
« En 2006, quelques ardoises traînant dans son atelier, il décide de voir ce qu’il pouvait en faire… Et l’inspiration fut si forte et la possibilité de décliner ce matériau si grande, qu’il s’y consacra sans totalement oublier la technique du Raku. À force de travail et d’essais, il développe une technique bien particulière pour travailler cette matière. Qui aurait pu penser que l’ardoise, cette pierre sombre, brute et dont on ne connaît que peu de choses, que l’on voit principalement sur les toitures belges, luxembourgeoises ou encore du nord de la France, pouvait se transformer en une matière noble, douce, voire sensuelle… »
Oui, et ainsi que je l’écrivis dans mon article de mai 2010 dans notre Zeitung, Renaud saura tirer le meilleur de ce matériau à la fois dur, friable, cassant, fissile, de structure feuilletée, qui n’est certes par le chouchou des sculpteurs. Aujourd’hui, cet artiste né à deux pas de chez nous, vit à Parempuyre, près de Bordeaux, et après avoir longtemps travaillé l’ardoise ardennaise, s’est attaqué à sa cousine aquitaine puis catalane, mais toujours à sa manière aussi atypique que géniale.
Mais son grand atout ne réside pas essentiellement dans la pourtant authentique originalité de ses oeuvres, voire dans leur unicité. C’est la sobre beauté des formes encore rehaussée par l’absence de couleur ou, plutôt, par l’omniprésence du gris, comme il se doit, ardoise, qui frappe d’emblée le spectateur. Et c’est les innombrables interactions et jeux des contours, des ombres, de la lumière, de la profondeur, du relief et des dimensions. L’on peut, bien entendu, toujours affecter deux dimensions à la peinture et trois à la sculpture, mais ce n’est d’aucune utilité. Ce serait faire, en effet, bon marché de l’imaginaire des véritables artistes et de leur capacité à faire pénétrer le spectateur dans leur monde mystérieux, libre des lois de la physique. La sculpture de Renaud ne se laisse pas davantage enfermer dans trois dimensions qu’un tableau n’est nécessairement une représentation bidimensionnelle. Le nombre de dimensions qu’il met en oeuvre dans ses créations sont généralement bien plus nombreuses. Mais je ne vous en dirai pas plus, amis lecteurs, car je vous laisse découvrir de par vous-mêmes la magie de ses sculptures et ce, en même temps que la séduction des tableaux de
Lidia Markiewicz.
C’est depuis avril 2005, lors de l’exposition des 20 ans du LAC, à la Chapelle du Plateau du Rahm, en avril 2005, que son travail me captive. À l’époque ce furent ses abstractions lyriques, mais les quelques tableaux qu’elle présentait ne me permirent ni de bien comprendre son art, ni de la présenter convenablement à mes lecteurs. Ce fut bien mieux en novembre 2006 à la Galerie Schortgen, où je pus enfin admirer bon nombre de ses toiles, dont des chef-d’oeuvres comme « Vacances 2006 », « Une Journée d’été », « Génésis II », « Fin de l’Été Indien II » ou « La Vallée le matin ».
Nouvelle expo chez Schortgen en novembre 2008, intitulée « Krople », gouttes en polonais, dont le rythme évoque celui de la méditation dans le monastère chinois où Lidia Markiewicz s’était retirée... écrivis-je à l’époque. Et que dire aujourd’hui, sans craindre de me répéter encore et encore ? Aucun danger ! L’authentique artiste ne se répète jamais, pour affirmé et formé que soit son style, et chaque exposition de Lidia nous apporte son lot de surprises et découvertes. Mais avant de nous pencher sur la présente exposition, qu’elle a baptisé « Blue Velvet », sans d’ailleurs que le bleu, pourtant omniprésent, y domine vraiment, voici un bref rappel biographique :
Présente sur notre scène artistique depuis 1992, Lidia Markiewicz est née en 1949 à Pawlowice. Baccalauréat Lycée pédagogique (PL) en 1968, puis de 1968 à 1971 École pédagogique supérieure (PL), en 1972 Diplôme d’Études supérieures (PL) spécialités : arts plastiques auprès du prof. Bronislaw Chyla, elle fréquente de 1986-1988 l’Académie des Beaux Arts de Trèves, expose en Pologne, puis à Trèves, en 1992 au Théâtre des Capucins, puis en 1994 au Théâtre Galerie à Esch/Alzette. Mais elle expose aussi en France et à Londres, au Museum of Women’s Art. Elle enseigne au Centre Européen pour la Promotion des Arts (CEPA) à Luxembourg, dirige l’Atelier Plastique pour Enfants à Luxembourg, crée divers programmes didactiques, organise des conférences consacrées à la création chez l’enfant et participe à des émissions télé en Pologne (TV Polonia) et chez nous (RTL).
Sur cette symbiose réussie entre la pédagogue et la créatrice, l’artiste peintre Yvette Richette m’a confié : « La fréquentation des cours de Lidia Markiewicz a été une période très enrichissante et privilégiée de ma vie d’artiste. J’ai perçu Lidia comme une pédagogue compétente et une artiste accomplie ». Naguère caractérisée par un expressionnisme figuratif très dépouillé mais à forte connotation symboliste, la peinture de Lydia Markiewicz est devenue progressivement de plus en plus abstraite. La densité de ses couleurs, où la composition charnelle est tempérée par de fréquents sfumati, domine des motifs énigmatiques qu’elle élève vers la spiritualité parfois, vers la poésie toujours. Ses couleurs, peu nombreuses, mais accompagnées de mille nuances, d’ombres, de variantes, clairs-obscurs et fulgurances, animent ses oeuvres d’une vie propre, comme prête à jaillir du tableau pour éblouir leur spectateur.
Aujourd’hui, Lidia Markiewicz, semble viser de nouveau horizons et, si sa peinture ne quitte pas l’abstrait, de nouveaux éléments figuratifs y refont timidement surface dans « Blue velvet ». Sans rapport direct avec le film culte de David Lynch, bien sûr, et, pas plus que ses bleus ne sont vraiment « Klein », ses quasi-nus délicatement esquissés dans la paire « Blue velvet 17 » et « Blue velvet 18 » ne représentent Isabella Rossellini. En fait, c’est le préfixe « quasi » (presque), même sous-entendu, qui me semble être le fil conducteur de l’expo, et exprimer l’incomplétude inhérente à toute oeuvre humaine. C’est patent dans son tableau « Quasi solution », où une main droite quasi-michelangelesque (2), surgissant à gauche au bout d’un bras d’homme a quasiment l’air de vouloir recréer le monde. Refaire le monde ? Ce n’est certes pas l’intention de Lidia, mais il est sûr que son art contribue à le rendre plus beau.
*** 1) Galerie Schortgen, 24 rue Beaumont, Luxembourg centre (parallèle à la Grand rue, près centre Alima), ouvert mardi à samedi de 10,30 à 12,30 et de 13,30 à 18 h. Expo Lidia Markiewicz & Renaud Matgen jusqu’au 10 novembre.
2) Inspirée sans doute de la main droite de Yahvé dans la « La création d’Adam » de Michel-ange à la Chapelle Sixtine.
Giulio-Enrico Pisani

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