samedi 28 avril 2012

Suite et fin de l'article de Giulio-Enrico Pisani sur la Tunisie


Giulio-Enrico Pisani, Lux. 27 Avril 2012
Tunisie et droits de l’homme
II.  Tunis 2013 = Vichy 1943 ?
Le journaliste du courrier de l’Atlas Seif Soudani précise en outre, que pour ce grand-guignolesque (ce qualificatif est de moi) ministère des droits de l’homme, qui ne les défend guère chez ses administrés libéraux et de gauche, «... répondent en revanche zèle et exemplarité dès lors qu’il s’agit du dossier des djihadistes  tunisiens emprisonnés aux quatre coins du monde...».  Et il nous confirme également le fait (bien connu et attesté par de nombreuses sources) que «... le ministère de l’Intérieur ne voit pas de problème particulier au fait que des artistes aient été violentés par une marche salafiste (violences non reconnues comme telles par le ministère), au prétexte que leur marche de «protection du Coran» était plus importante que tout le reste, d’après les salafistes...».  
C’était pourtant bien parti... jusqu’en septembre/octobre 2011.  «L'impératif de Tunis» quant aux droits de l’homme, signé 10.12.2011 dans le sillage du «printemps arabe», concluait en effet en ces termes : «Les gouvernements et les institutions internationales doivent plutôt s'en inspirer en infléchissant radicalement leur politique dans le sens d'une solide intégration des droits de l'homme dans l'économie et la coopération pour le développement, et en adoptant une législation fondée sur les droits de l'homme comme base de leur gouvernance interne et comme source d'une politique cohérente dans l'ensemble du système international. Tel est notre mandat pour le nouveau millénaire. Tel est l'impératif de Tunis». 
Depuis lors, ça va de mal en pis.  Même la torture, semblerait être encore couramment pratiquée (par qui?  Ce n’est pas encore précisé).  Mais on peut lire dans Bokbok Tunisien et dans Twitter que «Après la récente intervention télévisée de Mme Imen Trigui, présidente de l’association «Liberté et équité» dénonçant et documentant la persistance des pratiques de tortures, voici la voix de la grande militante des droits de l’homme Mme Radhia Nasraoui qui s’élève de nouveau: La torture demeure de pratique courante en Tunisie après la révolution, d’après ses déclarations au journal «Le Maghreb» du 30 septembre 2011. Mme Nasraoui dit disposer de faits réels, des noms et des témoignages directs qui seront rendus publics dans un rapport officiel que prépare «l’association Tunisienne de lutte contre la torture», association qu’elle préside. A noter aussi que le rapport de la FIDH de juillet 2011 allait déjà dans le même sens.»
Là-dessus j’envoyai sur Facebook un message d’encouragement à mes amis tunisiens et, à mon grand étonnement, il fut repris en français, mais surtout traduit en arabe sur des dizaines de blogs et autres pages Facebook.  Ce sera insuffisant, bien sûr, si d’autres forces ne s’y joignent pas et si ma petite boule de neige et tant d’autres, bien plus pertinentes, ne grossissent pas jusqu’à former ne avalanche, qui pousse les autorités tunisiennes à abandonner toute indulgence vis-à-vis des crimes et délits salafistes et qui amène l’opinion internationale et la commission des droits de l’homme de l’ONU à intervenir rapidement.  Voici donc ce message: 
«Unique pays du monde arabe, où son printemps a, pour l’heure, quelque chance de porter des fruits que son peuple pourra récolter, la petite Tunisie est aujourd’hui, face aux tyrannies de tous genres et aux démocraties opportunistes et désabusées, le phare du monde arabe.  Le monde entier vous regarde. Vous devez gagner cet engagement.  Soyez le nouveau David, car nous n’avons pas besoin d’un nouveau Léonidas.  Soyez tous présents lors de la prochain manif!   Soyez les plus nombreux et les plus décidés!  Soyez la liberté triomphante et non le combat désespéré!  Vous direz que ce n’est pas mon combat; et ainsi diront nos amis et direz-vous; et vous aurez raison.  Vous aurez raison, car ce n’est pas seulement mon combat à moi, ni seulement le vôtre, mais notre combat à tous.  C’est, à l’instar du combat des Gandhi, des Lorca, Hikmet, Neruda et Mandela, c’est comme aujourd’hui celui d’Aung San Suu Kyi, le combat de l’humanité tout entière, dont vous êtes aujourd’hui le fer de lance, que vous menez contre l’oppression et l’obscurantisme sous toutes leurs formes».
Il est au fond étrange de voir comment l’histoire se répète, différemment bien sûr, ailleurs souvent, mais fondamentalement semblable.  Songeons à la France entre 1940 et 45!  Aujourd’hui, en Tunisie, ce ne sont pas la Wehrmacht ou la Gestapo qui terrorisent le peuple avide de liberté, c’est l’envahisseur wahhabite venu du Golfe et d’ailleurs et ses hordes de sbires salafites.  Et ce n’est pas Vichy qui dirige le pays, mais un gouvernement qui tend à lui ressembler de plus en plus, tant il manifeste de sympathie aux envahisseurs.  Faudra-t-il que les tunisiens avides de liberté trouvent une version arabe du chant des partisans, dont les deux premiers vers me semblent fort bien convenir aujourd’hui à leur situation?  Peut-être bien que oui, car leur Résistance devra être rude, si elle veut conserver les libertés acquises tout de suite après la chute de Ben Ali.  
Le journal Marianne titrait à ce propos le 21 mars 2012: «Et voilà, une fois de plus, les deux Tunisie étaient de sortie ce mardi 20 mars, pour la fête de l’Indépendance. La belle, la rebelle, la féminine, la juvénile, drapée dans le drapeau national, rouge vif avec son étoile qui fait de l’oeil au croissant. Elle défilait joyeusement avenue Habib Bourguiba, là même où elle avait fait la révolution en un 14 janvier qu’elle refuse de voir trahi. 
Et puis il y avait l’autre, la sombre, la voilée, la barbue, celle qui ne rigole pas, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre (...) figée entre le drapeau vert coranique et l’étendard noir salafiste (...) pour clamer l’urgence divine d’introduire la charia   dans la Constitution qu’élabore en ce moment l’Assemblée élue le 23 octobre dernier et majoritairement composée de députés Ennahda...».  
Mais où les salafistes ont quand même poussé le bouchon trop loin, même pour la compréhension complice ennahdaouie, c’est lorsqu’ils ont remplacé le drapeau tunisien par le drapeau noir wahhabite en haut d'une horloge située en face du ministère de l'Intérieur!  Là, face à l’indignation générale, même le gouvernement s’est senti obligé de désapprouver.  Non pas de condamner bien sûr, non de poursuivre non plus, non d’arrêter...  Sur la blogosphère on pouvait lire en masse des titres dans le genre de «Un adepte de Ben Laden attentant au drapeau tunisien, auquel il substitue un torchon noir», ainsi que les protestations y relatives, mais en quoi cela dérange-t-il les autistes qui font pour l’heure semblant de gouverner la Tunisie?  Tunis 2013 sera-t-il une sorte de Vichy 1943?  On en est heureusement pas encore là, mais le chemin est déjà en train d’être balisé par les amateurs fascisto-islamiques en place.  Au vu de cette situation malsaine et de la tolérance des autorités envers une racaille qui rappelle uniformes noirs des SS et les chemises brunes germaniques de triste mémoire, nos amis tunisiens progressistes seraient en tout cas déjà pleinement en droit d’entonner les deux premiers vers du chant des partisans: 
« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne? »
Espérons seulement que le gouvernement dominé par Ennahda finisse par comprendre qu’il fait fausse route et que les résistants tunisiens ne soient pas obligés d’en chanter la suite.  Car dans ce cas, la Tunisie risque de connaître un second printemps bien plus rouge que le premier.     

4 commentaires:

Halagu a dit…

Je partage entièrement ton excellente analyse. Le drame est que les partis politiques satellites d' Ennahdha et qui sont au pouvoir ne voient pas - ou font-ils semblant... ? - le danger wahabiste et salafiste. Il était certainement plus facile de lutter contre Ben Ali, qui s'est vite révélé à la tête d'un système creux et sa police, que l'on disait puissante et omniprésente, n'a pas tenu plus de trois semaines face à la colère du peuple, que de lutter contre des primaires coriaces formés et financés pour tuer au nom de Dieu. Dans peu de temps Ennahdha n'aura plus aucune prise sur eux, et l'arroseur sera arrosé... Actuellement la société tunisienne semble complètement désorganisée, morcelée, déboussolée, désabusée et faute d'homme capable de porter un quelconque projet fédérateur (sans aller jusqu'à parler de charisme) elle réagit au coup par coup dans un désordre indescriptible (ce 1er mai risque de démontrer cette vérité). Oui la Tunisie risque de connaître un second printemps bien plus rouge que le premier.

Jalel El Gharbi a dit…

Halagu, le salut de ce pays ne viendra pas de ses partis, comme il en a toujours été. La débandade que vous décrivez n'est pas celle du pays mais de ses partis. Regardez avec quel savoir faire, avec quelle pondération l'UGTT (ré)agit. Le premier mai l'UGTT montera à quel point l'organisation syndicale est essentielle dans ce pays. Je suis optimiste, le pays commence à s'en sortir et Nahdha mesure combien la société civile est déterminée à défendre les acquis du pays, elle comprend surtout que pour rester au pouvoir elle doit tenir compte de la vocation moderniste du pays. Quant à ces hérétiques de wahabites, ils n'ont pas réussi à se transformer en mouvement de société comme ils le voulaient, ils demeurent des groupuscules activistes financés par qui vous savez , sans avenir politique dans le pays. Il me semble difficile qu'il y ait un autre printemps. Amitiés

giulio a dit…

N'aurais-tu pas un peu tendance à sous-estimer l'adversaire, cher Jalel ? Les chemises brunes n'étaient que des groupuscules violents lorsqu'elles ont renversé la république de Weimar et n'avaient, contrairement aux salafistes aucun appui ni financement extérieur. Je me demande par ailleurs comment continuer à écrire sur la Tunisie : le temps de me documenter, d'écrire et au journal de publier et la situation a encore empiré: lire Seif Soudani dans www.lecourrierdelatlas.com/253523042012Billet-La-Tunisie-s-install...

Jalel El Gharbi a dit…

Je ne cherche pas à sous-estimer un adversaire riche , bien organisé et qui sait profiter de l'ignorance ambiante, mais je ne veux non plus sous-estimer l'engagement de ces femmes et de ces hommes qui croient que notre pays n'a rien à voir avec ces wahabites . La tendance à paniquer est réelle et elle nuit à la cause démocratique.