lundi 5 novembre 2012

Eliane Goedert-Stoltz... par monts et vallées


Giulio-Enrico Pisani

Lux. Novembre 2012

 

Eliane Goedert-Stoltz... par monts et vallées

 

«Par monts et vallées» n’est pas un titre, et, pour paraphraser Magritte, ce n’est pas non plus une chaîne de monts et des vallées.  De plus, ce n’est que moi qui ai baptisé ainsi, de mon propre chef, cette splendide exposition que l’artiste peintre Eliane Goedert-Stoltz présente aujourd’hui à la Paris New-York Art Gallery.[1]  J’y ai en effet découvert tout à la fois un appel au voyage, une approche des terres lointaines et une élévation vers les sommets par l’exploration tant physique que spirituelle d’une thématique à l’infinie vastité.  Il eût été vain de la cerner par un titre.  Je l’ai pourtant fait, car le thème est bien là, omniprésent et aussi puissamment ancré à la terre que transcendant.  Qu’ils soient de Chine, d’Islande, alpestres ou d’ailleurs, les sommets qu’elle peint s’élèvent comme des odes au firmament à partir des morènes, talwegs, pénéplaines, alpages, mers de glace, mers de brume, cascades, lacs et ruisseaux.  Ces lieux sont autant de plateformes que l’artiste emprunte dans son aspiration vers ce ciel infini dont la terre n’est qu’un grain de poussière.

Cette quête quasi-religieuse de captation de l’ailleurs et du quasi-inconnaissable, quête nécessairement fragmentaire, ne saurait aboutir, bien sûr, à un accomplissement; au mieux est-elle aspiration.  Aussi, l’artiste ne peut se contenter de ce qu’elle a vu et vécu durant ses voyages.  C’est, par conséquent, en intériorisant ce vu et ce vécu, en le réinterprétant et en le retravaillant (le plus souvent sur toile), qu’elle peut matérialiser son inspiration autant que son talent le lui permettent.  N’est-ce pas cela, que le critique et historien de l’art Patrick-Gilles Persin nomme religion? [2]  En quoi il se réfère à la foi de l’artiste, qui relève, me semble-t-il, d’une ferveur ouverte, apparentée davantage au «Deus sive natura» de Spinoza qu’à la cagoterie usuelle dans notre Marienländchen.[3]  Le fait de ressentir dans la création une main divine, ne l’empêche pas de capter, interpréter et restituer dans ses vedute, de façon très matérielle, avec toute sa générosité, mais aussi avec ses tourments et ses doutes, les choses de la nature.

Car le transit de l’image de ses yeux jusqu’à la toile ou au papier, c'est-à-dire de la représentation tant du monde vivant que minéral à travers l’âme de l’artiste, n’a rien d’anodin.  Il y a toujours interaction, brute ou subtile, ici violente, là apaisante, avec d’autres facteurs, et ce qui en résulte pour nous, spectateurs et par là nécessairement tiers participants, n’est pas une réalité objective, mais bien celle que l’artiste voudrait que nous voyions et comprenions.  Elle désire – je pense – que nous soyons partie prenante dans ses projets et projections, et doit à ce fin laisser une certaine marge à notre liberté d’interprétation.  Aussi, à l’instar de bien d’autres maîtres de la peinture contemporaine, sa fidélité initiale à sa propre perception optique cèdera progressivement au rendu abstrait, dans la mesure où elle acceptera de lever la plupart des contrôles, d’abord sur les gésines, puis sur les geysers de son subconscient.  Cependant – autant vous le dire de suite –, nous assistons aujourd’hui à une re-canalisation de ces sources assez éloignée d’une exposition de peinture abstraite, seul l’une ou l’autre oeuvre intégrant des éléments abstraits dans la scénographie de ses paysages.  Car il s’agit bien de paysages qu’Eliane Goedert-Stoltz veut nous montrer cette fois, grâce à un retour à la figuration, qui ne ferme toutefois nullement la porte à l’abstraction.  C’est et ce sera, comme par le passé, selon l’inspiration du jour et au gré des pulsions de son esprit.

Notez pourtant que, même dans son expression figurative, elle ne nous impose rien, ne nous oriente vers aucune interprétation particulière de ses créations.  Elle ne fait que nous suggérer, selon sa propre herméneutique, ce que pourraient signifier ces tableaux de toute beauté que sont Pierre Témoin, Le Gullfoss, Autour du rocher, L’air de montagne, La cascade, Crépuscule, Vulcania Island et autres Torrent en Islande, etc..  Certes, mes préférences ne seront pas les vôtres, amis lecteurs.  Mais si je vous assure, que la rhapsodie en bleu qu’est Pierre témoin, ou bien le concert pastel beige-vert-bleu-rouille qu’est Vulcania Island, sont des sommets de figuration romantique stylisée, vous pouvez me le croire.  Et quand je dis romantique, ce n’est pas du tout dans le sens gnangnan du terme, mais bien en vertu d’un élan volcanique, désormais apaisé, comme hercynien, jaillissant du plus profond d’une âme où se métamorphose, à l’aune du ressenti, un magma bouillonnant d’impressions et d’expériences. 

Le spectre chromatique dont elle use est d’ailleurs à l’avenant.  Toutes les nuances du gris, du beige, de l’ocre jaune ou brun, ci et là de jaune safran ou d’orpiment, ainsi que les terres d’ombre et de Sienne, le bistre, d’autres bruns, souvent ponctués d’éclaboussures ou taches d’ocre rouge, cinabre, grenat ou vermillon, se mêlent et se juxtaposent aux azurs, bleus de prusse, outremer, cobalt, roi, acier, aigue-marine, cyan, pétrole, turquoise, aux verts mousse, malachite, terre verte, etc. ...  Mais aucune agression, fausse note ou tonitruance optique ne perturbe la diversité et la richesse de ces symphonies composées le plus souvent d’harmonies camaïeu et pastel.  Des centaines de tons et colorations y agissent de concert en de subtiles eurythmies affinées de sfumati, fondus et dégradés – je pense à du C. D. Friedrich très stylisé – qui valorisent toutes les nuances sans qu’elles en viennent à se heurter.  C’est magistral.

Née à Luxembourg en 1940, Eliane Goedert-Stoltz a étudié la peinture en Belgique dès 1953 sous la direction de la remarquable peintre post-impressionniste Marie Howet, étudie de 1956 à 1958 l’histoire de l’art à Paris et participe de 1958 à 1960 à des Expositions collectives à Londres.  Suivront une vingtaine d’années consacrées à sa vie familiale; mais le grain semé dans son adolescence profitera de cette longue léthargie artistique pour mûrir et enfin germer en 1983 à Salzbourg, où elle suit une académie d’été sous la direction d’Arik Brauer.  En 1984, elle élargit son éventail en suivant un cours de sérigraphie à l’Académie Européenne des Beaux-arts de Trèves et commence à exposer à la Galerie Marly à Luxembourg, ainsi qu’à Lloret de Mar.  Suivront de nombreuses autres expositions notamment en France, au Japon, en Allemagne, en Autriche, en Italie, au Benelux, et elle sera souvent distinguée lors de ses participations à divers salons et compétitions internationales, parmi lesquelles il faut citer le "Grand Prix des 7 Collines" à Rome.  Aujourd’hui, elle compte parmi les peintres les plus talentueux du Grand-duché.  C’est en tout cas mon avis... et qu’en sera-t-il du vôtre?



[1]  Paris New York Art Gallery, 26 rue du Curé, Luxembourg ville, près des passages entre place d’Armes et place Guillaume. Ouvert lundi–samedi de 12–18,30 h, Exposition à visiter jusqu’au 17 novembre.

[2]  Dans l’album illustré sur Eliane Goedert-Stoltz et son oeuvre, disponible à la galerie.

[3]  Sur les termes Marienland et Marienländchen, voir le premier paragraphe et la note 1. de mon article sur Filip Markiewicz sub www.zlv.lu/spip/spip.php?article5272,  

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