De Giulio à Christiane concernant
son commentaire sur "En lisant Marc-Aurèle"
Étonnante Christiane, qui venez
de clamer quasi mot pour mot et dans un tout autre contexte, mais dans le même
sens, la double phrase du grand résistant Charles Marx, phrase dont je fis le
refrain de mon poème ci-dessous ! Par quel hasard ou parallélisme de pensée
?
1941 – 2007 : 66 ans de Maquis
De dix-huit à vingt-six
ans,
parfois
trente-cinq,
guère
d’avantage.
Refusent le sort, le
droit,
la loi... du plus
fort.
Refus de
complicité,
de meurtre légal,
racial,
idéologique.
Refus de
service:
stigmatisés
bons à rien,
qui
refusent d’être
de bons aryens.
Il ne faut pas les
oublier.
Il ne faut pas les
trahir.(1)
Levain du petit
pays,
refuse de ne
pas
se lever, quitte à en
crever
Héros ? Que dalle
!
Ecole
buissonnière,
simplement. Il n’y en
a
rien à foutre de
mourir
debout ou
autrement,
Afin de, ne pas
vivre
couchés. Tout le
monde
meurt tôt ou
tard,
alors eux
préfèrent
vivre debout.
Pour
être couchés, il y
a
toute
l’éternité.
Il ne faut pas les
oublier.
Il ne faut pas les
trahir.
Viles villes, cités
occupées,
qu’à ça ne
tienne!
Tout peut
s’oublier.
Oubliés les petits
hommes
jaunes, oubliés ceux
qui
jamais ne furent vivants.
(2)
Oubliés les
morts-vivants,
Oubliés les
instigateurs,
Les
indicateurs,
Les combinards,
Les profiteurs
Les sbires...
Reste
l’école
buissonnière,
école de Justice,
liberté,
la fraternité des monts, des
grottes, forêts, fourrés, des
Ardennes, de
l’Ardèche,
de l’Allier, des
Pyrénées.
Morts ou vifs
aujourd’hui,
quelle importance
?
Ils sont notre
liberté,
notre vie.
Ceux-là,
il ne faut pas les
oublier.
Il ne faut pas les
trahir.
Nés bien plus
tard,
hier des
années,
demain des
siècles,
nous leur devons
d’être
dispensés de
tuer
ou d’être tués
légalement,
de dénoncer ou
d’être
dénoncés légitimement, de
torturer ou d’être
torturés
au nom du droit, du
juge
accommodant,
complice
Du plus fort, du
SS,
du Feldgrau, du
Reich
millénaire, parce
que
l’on est juif
ou socialiste
ou anarchiste,
ou réfractaire,
ou communiste,
ou
libre-penseur,
ou libre
parleur,
ou tout
simplement,
autrement.
Il ne faut pas les
oublier.
Il ne faut pas les
trahir.
Il veille,
souvent
imberbe,
Luger chapardé
Dérisoire
au poing... sans
rides
sans
callosités,
sur le camarade qui
dort
Sur la paille.
Grange
abandonnée.
Veille avec ses
camarades
au sabotage, oeuvre
à
l’effondrement
de l’empire
millénaire.
Ils veillent sur le
sommeil
des citoyens
ordinaires
du troisième
millénaire,
afin que je vive, que
tu
vives, qu’ils vivent,
que nous
vivions
debout.
Il ne faut pas les
oublier.
Il ne faut pas les
trahir.
Arme volée à
l’occupant
et rendue au
ferrailleur,
car
contrairement
aux tiques de la
cité
aux idéologues
Parabellum,
de Berlin à Paris, de
Liège
à Heidelberg, ils
veulent
croire à l’Europe
de la fraternité,
eux,
au Luxembourg
carrefour
de vie, au «vis in
pacem
para pacem», (3) car ils ont
dix-huit à vingt-six
ans,
parfois
trente-cinq,
éternellement.
Il ne faut pas les
oublier.
Il ne faut pas les
trahir.
Six mille
moururent
du petit Grand-duché,
(4)
mais non Madeleine,
Jos,
ou mille autres, ni Charles
Marx, trahi plus
tard
par la paix et la
mémoire
balayées sous le
tapis
pas encore
(vraiment)
d’orient,
justement.
Vingt-et-unième
siècle
Immortels, ceux
du maquis, cependant,
pour nous et
pour
nos gosses
surtout...
Il ne faut pas les
oublier.
Il ne faut pas les
trahir.
1) Ces deux
derniers vers formant refrain tout au long du poème sont bien du docteur Charles
Marx et terminent à l’origine son article «Les maquis, l’Avant-garde de
la Résistance», dans la brochure «Fir d’Freihét,
D’Kommunistesch Partei Letzeburg 1940-1944». En voici un extrait: «... Dans les
rangs des maquisards français et belges, de jeunes luxembourgeois (...) se sont
distingués par leur élan et leur ardeur combative (...) ils se sont battus pour
la liberté de leur pays avec le même courage et la même abnégation que leurs
camarades des armées régulières. Et beaucoup d’entre eux ont payé de leur vie de
n’avoir pas voulu devenir allemands. Il ne faut pas les oublier. Il ne
faut pas les trahir.» Il va sans dire que cet article a tout entier
inspiré mon «poème».
2) Dante Alighieri, Divine
Commédie, l’Enfer : “Questi sciaurati, che mai non fur vivi...” que Louis
Ratisbonne traduisit librement par «Ces lâches, toujours morts, même pendant
leur vie...» sur www.pierdelune.com/dante1.htm
3) «Si tu veux la paix, prépare
la paix». Dans ma phrase le «para pacem» s’oppose au «para bellum» du néfaste
proverbe «Si tu veux la paix prépare la guerre» tiré des «Epitoma rei militaris»
de P. F. Vegetius Renatus (IVe-Ve siècles de notre ère)
4) selon l’article «Luxemburg in
den beiden Weltkriegen» de Georges Hausemer dans son «Luxemburger Lexikon» (Guy
Binsfeld 2006) la 2e guerre mondiale aurait coûté au Grand-duché ~2% de sa
population de l’époque, donc proportionnellement bien plus qu’aux alliés
belligérants occidentaux: Grande Brétagne 0,7%, Belgique 1%, France 1,7%.
Ce poème de Giulio-Enrico
Pisani a été lu par l’écrivaine et peintre Michèle Frank lors de la présentation
de l'essai biographique « Charles Marx, un héros luxembourgeois… » de
Giulio-Enrico Pisani au Centre des Arts Pluriels d'Ettelbruck/Luxembourg, le 12
novembre 2007.
7 commentaires:
Merci, Giulio. herbe vive que ce poème... De eux à nous, de nous à eux, de nous à nous... Oui, il ne faut pas oublier, ni les oublier, ni trahir et aller, debout, tant que nous pouvons... même à cloche-pied sur la marelle de la vie...
Plus tard, un ciel constellé des grandes herbes lumineuses des comètes...
Haut et bas, là-haut et ici-bas, la grande roue tourne mêlant les vivants et les morts puis devient le temps-même, là où toute fin devient origine...
Belle année d'encre, cher Giulio posée, fraternelle, près de celle de Jalel - et n'oublions pas... Marc-aurèle !
Oui, chère Christiane, il y a des pages d'histoire qui, tout comme la poésie, doivent rester sempervirentes. Et il ne faut jamais cesser de le rappeler épisodiquement, toujours et encore, ce qui risque, comme naguère en Europe, puis, après la 2e guerre mondiale, massivement en Amérique latine, d'être bientôt dans certains pays du Maghreb d'une actualité brûlante. L’histoire ne se répète jamais à l’identique, mais elle se répète, car si les causes ne sont jamais les mêmes, elles se ressemblent fort, lorsque les hommes sont, eux, criminellement oublieux. Et Marc Aurèle, justement, de nous le rappeler par les mots «Souviens-toi encore que tout un chacun ne vit qu’au présent, cet infiniment petit !»
Sempervirente... que c'est beau ce mot. Je ne le connaissais pas !
(lat. sempervirens, toujours vert...)... une forêt toujours verte... Comme il va bien cet adjectif avec l'histoire et la poésie et... l'espérance... malgré tout ce qui est la honte de l'humain... "Où est l'humain ?" Toujours l'espérer aux heures les plus noires de l'histoire...
Et belle année à tous les amis d'ici.
Oui, Christiane, Giulio emploie souvent ce mot "sempervirent" par quoi il dit cette synonymie entre verdeur et verdure. J'ai été attentif à cet adjectif parce que j'y ai retrouvé le mot "viride" dont j'ai fait une entrée dans mon glossaire José Ensch. José employait ce mot dans le sens étymologique de vert (le mot en français s'est spécialisé pour désigner ce beau vert que l'on sait). Chez José cet adjectif lui venait sans doute de Rimbaud.
Oui, chers amis, l'adjectif sempervirent vient du semper et du virides latins, toujours et vert, mais moi j'y intègre de plus en mon fort intérieur ce mot, inexistant en français, sempervivant, qui devrait dériver du latin semper vivens, qui vit toujours. Toujours ? Enfin, façon de parler. Disons plutôt « Longtemps, longtemps, longtemps » du moins tant que l’homme n’aura pas disparu. Dans ce sens, les chansons des poètes continueront toujours à courir dans les rues et l’esprit de ceux qui permirent à l’humanité d’être plus humaine devra toujours fréquenter la mémoire des hommes.
Merci pour ces vers, ils sont lourds de sens
Un très beau poème, cher Giulio, qui nous incite déjà à "ne pas oublier et à ne pas trahir" des hommes comme vous, tant vous êtes à l’image de ces Grands hommes qui donnent d’eux-mêmes sans compter.
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