mardi 2 avril 2013

Texte de Mohammed Choukri (inédit en français)


Voici une traduction de l'avant-propos écrit par Mohammed Choukri à son autobiographie Le Pain nu. Le texte ci-dessous est inédit en français. Il a été traduit en classe avec les étudiants préparant l'agrégation.


Avant-propos
Bonjour, vous qui êtes de la nuit.
Bonjour, vous qui êtes du jour.
Bonjour Tanger, toi qui es enraciné dans une temporalité évanescente.
 Me revoici à errer, tel un somnambule, à travers les ruelles et les souvenirs ; à travers les plans que j’avais faits pour ma vie passée, présente…Des mots, des fantasmes, des cicatrices qu’aucune parole ne peut refermer.
Où situer ma vie dans ce tissu de mots ?
Mais les effluves des soirées et des nuits regorgeant d’appréhensions et de propensions pour l’aventure s’insinuent en moi afin de transformer les cendres de la braise en gazes séduisantes…
Il y a deux ans qu’il est mort Abdoun Forso, le véritable héros qui a éveillé mon imagination et m’a aidé à supporter l’injustice, la frustration et la violence du corps-à-corps… Il est mort avant que je ne publie La Tente, inspiré de sa présence, de sa ferveur et de sa passion pour la vie.
J’attends l’affranchissement de la littérature qui ne rumine, ni ne feint. J’ai écrit ces pages de mon autobiographie, il y a dix ans et publié leur traduction en anglais, en français et en espagnol avant qu’elles ne parviennent au lecteur dans leur version originelle.
La vie m’a bien appris à patienter, à prendre la mesure du temps sans pour autant renoncer à la profondeur de ce que j’avais engrangé.
Avant de mourir, dis ce que tu as à dire, cela finira inévitablement par se frayer son chemin. Peu importe ce qu’il en adviendra. Ce qui prime, c’est que cela déclenche une flamme, une peine, qui désir qui sommeillent [en nous] et que cela embrase des endroits déserts, enterrés.
Ô vous qui êtes de la nuit ou du jour, pessimistes ou optimistes, vous les rebelles, les adolescents, les « sages »… n’oubliez pas que le jeu du temps est plus fort que nous. C’est un jeu fatal auquel on ne peut faire face qu’à la condition de vivre la mort qui nous sera infligée, de faire le funambule par amour pour la vie.
Je soutiens ceci : il « fai[t] sortir le vivant du mort », il fait sortir le vivant de la puanteur, du putride et du sang de ceux-là qui se nourrissent de pain nu. 

4 commentaires:

Halagu a dit…

L'adaptation cinématographique du live ''Le pain nu'' est sur ce lien:
http://www.youtube.com/watch?v=qb6hfLw5ieo.
Un peu sombre et gothique, à mon sens, mais c'est à voir.

Jalel El Gharbi a dit…

Merci Halagu, j'ai beaucoup aimé. C'est à voir absolument
Amitiés

Halagu a dit…

Je trouve la traduction anglaise du titre du livre (For Bread alone), plus proche du titre arabe (Al khobz al hafi). Le sens du mot arabe ''hafi'' varie suivant la phrase, il exprime en effet la nudité quand on parle des pieds, et l'absence de garniture quand il est accolé au mot pain (pain seul, pain sec). Ben Jelloun a peut-être succombé à l’esthétique, ce qui est souvent légitime dans la traduction. ''Le pain nu'' c'est plus magique!

Jalel El Gharbi a dit…

Oui, Halagu, on pourrait penser à "pain sec" (ce qui est, me semble-t-il un des sens de hafi dans le dialecte marocain)