mardi 28 mai 2013

En relisant Nathalie Sarraute

ah ces romantiques, ah ces rêveurs incorrigibles... ils aiment se perdre dans les nuées... fouler les prairies fleuries... respirer l'air exaltant des cimes... Watteau... voyez-vous ça... que ne vont-ils pas chercher ? Quelles grâces... quelles hauteurs, quelles profondeurs... détresses métaphysiques, désarrois de bon aloi... laissez-nous rire... Ah c'est bien triste, n'est-ce pas, c'est désolant d'être arraché à tout cela, d'être ramené ici en bas, près de nous, dans la mesquine réalité, dans l'humble vérité. Mais que voulez-vous, il faut en prendre son parti : elle est la plus forte. Tôt ou tard, quoi qu'on fasse, il n'y a pas moyen de lui échapper ...
Non. Attendez. Il y a quelque chose là qui ne tient pas. Je ne sais pas très bien ce que c'est... mais je sens qu'il y a là quelque chose de faux...quelque chose de délibérément faussé. On se joue de moi... Mais où suis-je donc tombé ? Parmi quelles gens ? Dans quel tripot ? 

5 commentaires:

christiane a dit…

Vous faites bien de la citer , cher Jalel. J'aime l'écriture de cette femme, si près de l'éclosion de la pensée, du passage à l'écriture. Ainsi relisant "Enfance" j'ai encore éprouvé du bonheur à relire ces lignes :

"... tout fluctue, se transforme, s'échappe... tu avances à tâtons, toujours cherchant, te tendant... vers quoi ? qu'est-ce que c'est ? ça ne ressemble à rien... (...)
... c'est encore tout vacillant, aucun mot écrit, aucune parole ne l'ont encore touché, il me semble que ça palpite faiblement... hors des mots... comme toujours... des petits bouts de quelque chose d'encore vivant... je voudrais, avant qu'ils disparaissent... laisse-moi..."(p. 8-9)

Jawhar a dit…

Magnifique ce livre qui considère qu’il existe, il existera toujours une littérature/critique au-delà de ce que nous pouvons envisager. "Les fruits d’or" malmènent notre conception du jardin. Je ne cesse depuis Sarraute de rêver au "jardin des Hespérides".

Jawhar a dit…

"Les Fruits d’Or" restera, je pense, le livre qui dira infiniment la nouveauté toute innocente, quoique complexe, que chaque roman a le bonheur d’inventer dans ses formes et dans ses sujets.
Et "Tropismes" (en tant que roman et en tant que théorie), à la base de ce roman, est, à mon sens, le premier "fruit d’or" qui donnera (aux cotés du formalisme russe), à travers une fécondation très subtile et toute appropriée aux esprits et aux créations du XXe siècle, tout ce que nous avons dégusté de succulent en matière d’écriture en sciences humaines au moins.

Halagu a dit…

Tout n'est-il pas une question de dosage, un nuage de romantisme dans une rasade de réalité, ou l'inverse? A chacun son choix!
J'ai été frappé par un détail présent aussi bien dans l'extrait que vous avez choisi que dans le passage cité par Christiane. Ce sont les points de suspension utilisés de façon régulière ou même intempestive. Cela donne un style saccadé, parkinsonien, si j'ose dire. Je ne suis pas très fana. Je fais, cependant, appel aux spécialistes de la littérature pour me donner leur avis.

Michèle Pambrun-Paillard a dit…

@ Halagu

http://books.google.fr/books?id=mmBLFmPH7zsC&pg=PA155&lpg=PA155&dq=Les+points+de+suspension+chez+Nathalie+Sarraute&source=bl&ots=GgSB_UlkKl&sig=VSyFcVDtwUJTYzF8ms1rDX1tO3Y&hl=fr&sa=X&ei=VJfDUaWeBueO0AWNgIGwCg&ved=0CDEQ6AEwAA#v=onepage&q=Les%20points%20de%20suspension%20chez%20Nathalie%20Sarraute&f=false