lundi 15 juillet 2013

Doïna de Watazzi par Giulio-Enrico Pisani


Giulio-Enrico Pisani
Luxembourg, 13 juillet 2013  

  1. Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek

Doïna de Watazzi
nouvelle donne : couleur et mouvement


Ce fut comme une vision, une illumination soudaine, ces quelques tableaux à la superbe singularité, qui me fascinèrent, lorsque – simplement curieux – j’entrai dans la Galerie Goerz, à Luxembourg ville, rue des Bains.[1]  Je ne me souviens pas d’avoir vu à ce jour une peinture aussi inspirée et pouvant réunir sur une même toile autant de matérialité et de spiritualité, d’immanence et de transcendance, de sensualité et de géométrie, de passion et de tranquillité.  Cela se passait il y a plus de neuf ans, et j’essayai alors de vous communiquer dans ces colonnes mon enthousiasme pour le travail de cette artiste exceptionnelle par son chatoyant dilettantisme.  Débutant, donc dilettante moi-même, comme correspondant de presse, j’ignore si je parvins à vous communiquer à l’époque un peu de ce feu sacré de l’art pictural que les tableaux de Doïna de Watazzi allumèrent en moi.  Depuis cette année 2004, je vous ai présenté plusieurs centaines d’artistes peintres de tous pays, célèbres ou peu connus, abstraits ou figuratifs, classiques, modernes et, surtout, contemporains.  Je ne me souviens pas de tous leurs noms et, l’âge aidant, j’en oublierai encore bien d’autres, mais certainement pas Doïna de Watazzi, dont le talent naturel autant que les recherches tous azimuts, aboutissent plus qu’à leur tour à des résultats époustouflants de maîtrise technique et de beauté pure.
 
Neuf ans.  Une éternité.  Un long manque.  Comme l’impression – en tant que critique d’art néophyte, même pas véritable amateur – d’avoir été chassé du paradis.  Aussi, quelle ne fut pas ma surprise, puis ma joie, lorsque je reçus il y a quelques jours l’invitation au vernissage de son expo «La couleur et le mouvement».  Fin d’un trop long silence.  C’est en revoyant l’artiste, que je compris comment et pourquoi, prise par les tourbillons de la vie et les obligations familiales, mais, surtout, expérimentant sans trêve, peu consciente de sa propre valeur et, par là, réticente à se faire valoir, elle n’avait pratiquement plus exposé depuis.  Me voilà donc à replonger dans sa biographie, ce parcours de vie passionnant et mouvementé qu’il me faut aussi vous redire, amis lecteurs, tant il est essentiel à la compréhension de son art, placé sous l’étoile de la fée Diversité fécondée par l’Europe et l’Afrique, l’Orient et l’Occident, donc parfait exemple de cet Orcident cher au poète Jalel El Gharbi.[2] 

Née dans les années soixante à Timisoara, en Roumanie, Doïna expose déjà fillette (1970) à l’Ecole des Beaux Arts d’Arad.  En 1972, elle rejoint avec sa soeur et sa mère, son père, médecin ophtalmologiste au Maroc (dans le cadre de la coopération Maroc-Roumanie).  En 1974, Doïna et sa soeur s’établissent en France, où elles poursuivent leurs études.  En 1977 Doïna épouse Alexis de Watazzi à Paris et retourne avec lui en Afrique, au Maroc, où elle expose à l’Espace El Mansour, mais aussi à Conakry, Guinée, au Centre Astaldi et à Nouakchot, Mauritanie, au Centre Culturel Français.  Le tout ponctué de retours en France, où naîtra sa fille.  En 1984 la famille de Watazzi s’établit à Luxembourg, où elle s’agrandit de deux garçons.  C’est en 1988 que la créativité de Doïna semble littéralement exploser.  Est-ce dû à la fin de son errance? à la maternité? à la sécurité et à l’épanouissement familial? à la paix d’un pays dont les turbulences que nous exagérons souvent paraissent bien modestes à cette migrante qui en a vu de toutes les couleurs?  À l’exception de 1989, 1998, 2001 et 2002, elle présentera désormais deux à trois expositions par an, tout en enseignant art et dessin à l’académie d’été, en secondant son mari dans la photographie, la cartographie et l’édition et, last but not least, en élevant ses enfants.

Mais si Luxembourg a vu son épanouissement, Doïna, n’en renie pas pour autant ses racines roumaines, l’atavisme artistique byzantin traversé d’influences slaves, son enrichissement culturel et poétique africain ou ses liens avec la France.  Cela transparaît non seulement dans sa peinture – surtout huile sur soie ou sur toile et travail à la feuille d’or – mais appert également à travers ses expositions en 1988 à Breistroff la Grande et à Hagondange (1er prix salon d’automne), en 1992 à Metz, en 1996 de nouveau à Nouakchott et en 2003 à Golf de Preisch, encore en France.  Mais c’est bien à Luxembourg que Doïna donne toute sa mesure: expositions au Cercle Munster (2x), au Centre de mode «Poem», au Théâtre d’Esch sur Alzette, aux Centres Culturels de Larochette, de Rumelange et de Steinfort, à l’Espace Couleurs Culturelles, au Konschthaus beim Engel (3x), à la Galerie Goerz et à l’Ambassade de Roumanie.  L’ambassadeur de Roumanie lui a d’ailleurs décerné une distinction pour les icônes réalisées en l’Église St. Mathieu (Pfaffenthal).  Ces icônes sont donc en exposition permanente, tout comme les oeuvres exposées chez Patrim Invest à Metz.

Mais venons-en à sa présente exposition.  Située dans les vastes salles du Centre de Conférences de l’Office Infrastructures et Logistique Luxembourg – OIL,[3] au Kirchberg, elle vous permet d’admirer une splendide collection d’huiles sur toile dont la plupart s’éclate en d’inouïes polychromies.  Aussi m’apparut-il que, autant ses tableaux d’il y a neuf ans privilégiaient une sobriété des teintes, autant Doïna explose aujourd’hui l’espace en gerbes de couleurs chatoyantes.  Cependant pas toujours.  Quelques rémanences – ou retours? Sait-on jamais avec elle? – de ce temps, comme «Le maître d’orchestre», chef d’oeuvre absolu du féerique architectural, ou «Les piliers», d’un style comparable, en plus hiératique, nous rappellent en effet que Doïna de Watazzi peint à l’humeur, au coup de coeur, sans règle de style ou asservissement à un quelconque courant.  Pure coïncidence, si au cours de ses envols créateurs picturaux il lui arrive de frôler Cézanne, van Gogh ou Chagall et de poursuivre sur sa lancée au-delà de ce qu’osèrent ces maîtres, du moins, à ma connaissance.  Je pense à des merveilles comme «L’illuminé» ou «Les anges» qui font la transition vers la «nouvelle?» Doïna et ses incendies chromatiques.  Notamment ses tableaux «Le pan», «Licorne et Amazone» et «Rêve de Venise» en sont de somptueux exemples.

Ne ratez surtout pas cette trop rare occasion d’aller admirer la peinture (en attendant ses sculptures, mais ça, c’est une autre histoire et à chaque jour suffit son plaisir) de l’une des plus talentueuses artistes peintres du pays, amis lecteurs.  Encore peu connue, sans doute, mais – vous pouvez me le croire – elle ne le sera plus longtemps.  Son exposition est ouverte jusqu’au 31 juillet; l’entrée est libre, mais elle ne peut être visitée que sur rendez-vous, en téléphonant à madame Sara Corti (4301.38254 ou 621.311.423), soit à l’artiste elle-même (2625.9803 ou 621.366974).   




[1]  La Galerie Goerz ne se trouve plus Rue des Bans, mais au 48a, rue Michel Rodange.

[2]  Oeuvrant pour une utopie qu’il nomme Orcident ou Occirient, Jalel El Gharbi est un universitaire tunisien fortement engagé dans le dialogue des cultures. Il enseigne à l’université La Manouba-Tunis et est aussi traducteur, poète, essayiste et, accessoirement, correspondant de notre Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek.

[3]  Centre de Conférences de l’Office Infrastructures et Logistique Luxembourg – OIL, Bâtiment Jean Monnet, rue Albert Wehrer, Luxembourg Kirchberg. Exposition Doïna de Watazzi jusqu’au 31 juillet

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