"Ecrire comme on part " de
Béatrice Libert
Il y a chez Béatrice Libert un art de mêler
anodin et tragique tel que l’un et l’autre en deviennent méconnaissables. La
réussite technique transcende ces deux catégories. Ici, tout se dit sous le
mode de l’euphémisme, comme le suggère le titre même du recueil. A la
réflexion, c’est vivre qui est art de surmonter le tragique et de le subsumer en en faisant un des versants de la
vie, une de ses saisons. Le jardin est
le lieu tout indiqué pour penser le monde, pour penser – intransitivement. Béatrice
Libert décline le jardin à l’envi. C’est tantôt un parc, tantôt un verger,
tantôt jardin fleuri, tantôt jardin pris par toutes les gelées. On l’aura
compris, ces gelées signifient l’enneigement final : Et c’est le temps qui passe / En syllabes de neige. Le jardin est
assujetti au temps, il semble même le parangon de tout ce qui y est soumis. Et
c’est pourtant une neige qu’il convient de préserver sans doute pour la
ressemblance qu’elle peut avoir avec la page blanche. Il y a dans le spectacle
de la neige tel qu’il se donne à lire ici, quelque envoûtement qui lui vient
peut-être de celui qui regarde. La neige, i.e. une somme de signes possibles,
suscite l’empathie – ou mieux encore, cela que Jules Supervielle appelait
pansympathie. Relisons : « Nous aimerions voler / Pour que nos pas/
N’entachent pas la neige// Je sens la neige prise/ En son sommeil de neige/ En
son tourment de neige / Hésitant à laisser choir / Sur le sol plein d’embûches/
La laine vierge de sa joie. » Le monde tel qu’il est évoqué dans la
poésie de Béatrice Libert est impair ; il n’est pas manichéen. La neige a
ses euphories. Et, si le monde est par trop enclin à la mélancolie, l’art le
corrige en tempérant toute propension à la tristesse. C’est ainsi que le
spectacle d’un jardin périclitant peut devenir source d’enchantement, comme
ici : « juin jaunissait les
jardins ». Dans ce vers tous les mots commencent par le même son.
Cette rime senée (comme on dit en versification) ne déplaît pas à la poétesse
qui en use dans un autre poème : « Fatras ferrailles et fadaises / trop lourdes à porter sur mes épaules. »
Ce qui se lit dans ces deux vers est bien plus qu’un jeu de mots. C’est de la
définition même de la poésie qu’il s’agit : art d’alléger le poids de
l’insoutenable. Ainsi donc, ce qui motive la poétesse, c’est cette réflexion
sur l’essence du poète. Une réflexion qui demeure implicite. Quasi silencieuse,
cette réflexion est ce qui s’offre à la lecture : « Et le poème
éteint, sous ce peu, se rallume, / Conscient d’être à lui seul la lampe et le
chemin. » Sans être symboliste, ce passage dit la pronominalité du
poétique : la poésie est cela qui éclaire la poésie, elle s’éclaire. Elle
ne mène pas vers une autre lumière que la sienne. La poésie : douce
réflexion sur la poésie, douceur de la réflexion sur la poésie, poésie de la
douceur. C’est sans doute pourquoi elle a besoin de cet adjuvant qu’est l’ Hortus delicirium qui, nonobstant toutes les apparences,
est empreint de tragique, ce tragique signifié par le titre.
Jalel El Gharbi
Prix du Terroir-Santenay en Bourgogne
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