samedi 23 août 2014

Le romantisme néerlandais par Giulio-Enrico Pisani

Voyage romantique au Marché-aux-Poissons

Zeitung vum d'Lëtzebuerger Vollek 

 OEuvre de Petrus Van Schendel

L’année passée, nos musées avaient su faire la part belle au romantisme neerlandais avec le paysagiste Barend Cornelis Koekkoek au MNHA (1) et flamand avec ce génial héritier du Caravage que fut Petrus van Schendel à la Villa Vauban (2). Eh bien, le millésime 2014 n’aura pas été en reste. Et c’est encore notre bon vieux Musée National d’Histoire et d’Art (3), dernière étape en date du voyage de la collection Rademakers (4), qui élargit aujourd’hui encore davantage notre vue sur cette fenêtre si particulière du romantisme, en nous entrainant à notre tour dans un voyage exceptionnel à travers l’une des plus riches périodes artistiques du Plat-pays. Après les amateurs des Gemeentemuseum La Haie, M-Museum Louvain, Koekkoek-Haus Kleef, Kurhaus Kleef, Hermitage Saint-Pétersbourg, Galerie Tretyakov Moscou, Galerie nationale Prague et Sinebrychoffs kons­tmuseum Helsinki, c’est à notre tour d’en être gâtés.
À nous donc de savoir en profiter, car nous nous n’aurons pas souvent l’occasion d’admirer un aussi riche et brillant florilège de peintures romantiques des Flandres et Pays-Bas. Les paysages estivaux et hivernaux, les marines, les vedute urbaines, les natures mortes, les vues nocturnes, les portraits et les scènes de la vie quotidienne enchantent les visiteurs aussi bien grâce à leur incroyable profondeur, vivacité et intimité, que par la force de leur rayonnement intérieur, en fait beauté pure. Me rendre au Fëschmaart (Marché aux poissons) et parcourir au MNHA les salles du quatrième étage, m’aura rarement procuré autant de plaisir et un tel éventail de découvertes. Et je n’aurai certainement pas été le seul. Aucun éblouissement au départ pourtant, aucun coup de foudre! C’est plutôt pas à pas que, une fois pénétré dans le premier espace d’expo, on se sent imperceptiblement entraîné dans un univers tout à la fois proche et passé, féerique et matérialiste, magique et terre-à-terre. Même le visiteur pressé au départ, finira par tomber sous son charme et ralentira le pas. Peut-être tendra-t-il à y oublier l’impatience, les secondes qui fuient, saura-t-il être l’amateur qui prend son temps et qui, le temps de son parcours, pourrait bien en être touché au plus profond de lui-même, en devenir partie prenante et, en deux mots, s’y sentir bien.


OEuvre de Cornelis Koekkoek
Après m’être longuement documenté sur cette prestigieuse collection et l’avoir visitée à deux reprises, il me faut féliciter les curateurs du MNHA d’avoir su la présenter plus intelligemment que maints autres musées, c’est-à-dire de manière concise et, surtout, sans prétendre orienter ou conditionner le regard du visiteur. Celui-ci reste libre d’aborder et de ressentir à sa manière et sans préconçu cette fabuleuse revue du naguère vécu à travers la perception tout à la fois idéalisée et profondément charnelle des artistes. Dans le dépliant de l’exposition et sur le site du MNHA on se contente en effet de nous plonger dans le bain du temps. Indispensable? Non. Utile, certainement! Je cite: «Le Romantisme était un mouvement européen du XIXe siècle s’exprimant non seulement à travers les arts visuels, la littérature et la musique mais également à travers la science et la philosophie. En réaction à la Révolution industrielle et en révolte contre les normes politiques et sociales des Lumières, il s’est opposé à la prépondérance de la raison (5) (...) Des émotions intenses telles que l’appréhension, l’horreur, la terreur et la crainte étaient considérées comme d’authentiques sources d’inspiration menant à de nouvelles catégories esthétiques telles que le sublime et le pittoresque. Pour la première fois, l’inconscient était reconnu comme ressort principal du comportement humain...»
Reconnu par ces artistes, sans doute, mais non par bonne part de leurs contemporains. Le plus étonnant, c’est que, encore de nos jours, la luminosité éblouissante de cette peinture semble confondre certains esprits superficiels. Dans certaines présentations de presse on qualifie cette peinture de réactionnaire, conservatrice, nostalgique, auprès de l’agitation du XIXe siècle, qui la vit fleurir en pleine ère industrielle. Est-ce le regard de certains critiques trop accoutumés à ne voir en l’art que reflet d’une époque? Cela équivaudrait à vouloir enfermer l’art – naturellement libre et souvent intemporel – dans un carcan bien étroit, dont il n’a que faire. Le peintre tend certes à s’inspirer de la vie, des choses et des coutumes du jour. Mais rien ne l’y oblige. Claude Monet pouvait bien chanter son époque de frénésie industrielle et de progrès technique avec sa Gare St.-Lazare; cela ne l’empêchait pas de s’abandonner tout entier au sempiternel et quasi-imperceptible vibrato des nymphéas.
D’autres commentaires sur la collection Rademakers, surtout provenant du milieu muséal français, peuvent paraître plus discutables encore. Voici – simple curiosité – un extrait de ce que nous pouvons lire à ce sujet sur le par-ailleurs très sérieux site http://www.boutiquesdemusees.fr «... le romantisme pictural se résume actuellement à quelques noms, comme William Turner, John Constable, Théodore Géricault ou Eugène Delacroix. La peinture romantique des Pays-Bas s’est peu à peu effacée de la mémoire collective...». Hmm... Ils eussent pu au moins préciser «mémoire collective française», car si la mémoire de maîtres comme Koekkoek et van Schendel s’était perdue, ce ne pût être que dans l’Hexagone... Tant s’en faut qu’on ne l’y ait jamais possédée. Le fait est, que parmi les peintres exposés, quasiment aucun ne démérite à coté des célébrités l’âge d’or de la peinture flamande et néerlandaise, comme les trois Breughel et les deux Teniers. (6)
Mais revenons au Fëschmaart. Outre Barend Cornelis Koekkoek, et Petrus van Schendel précédemment cités, les inoubliables paysages de l’un et les poignants clairs-obscurs de l’autre, nous découvrirons l’immense talent des Jacob Abels, Jules Victor Genisson, Chr. Kannemans, Petrus Kiers, Johan Klombeck, Pieter Kluyver, Pieter Lodewijk Kühnen, Fredrik Marinus Kruseman, Egidius Linnig, Basile de Loose, David de Noter, Andreas Schelfhout, Hubertus (Huib) van Hove, Bartholomeus Johannes van Hove (père de Huib), Eugène Joseph Verboeckhoven, ou Adriaan Wulffaert. (7) Courez donc vite vous rincer y l’oeil, y réchauffer le coeur et enrichir l’esprit amis lecteurs, de l’exceptionnel spectacle constitué par cette exposition qui offre une alternative chaleureuse à la trop fréquente froideur de l’art contemporain. Elle a déjà enchanté des millions de spectateurs à travers l’Europe et vous attend.
Giulio-Enrico Pisani
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1) Présentation dans Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek www.zlv.lu/spip/spip.php?article9344
2) Présentation dans Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek www.zlv.lu/spip/spip.php?article9253
3) Musée national d’histoire et d’art, Marché-aux-Poissons, Luxembourg ville. Visites mardi à dimanche 10–18 h, mais jeudi 10–20 h (17-20 h gratuit), jusqu’au 14 septembre
4) Jef Rademakers (Roosendaal, 1949) est un régisseur, producteur, scénariste et critique de télévision néerlandais. Passionné d’art, il a rassemblé cette collection de plus d’une centaine de tableaux de peintres romantiques belges et néerlandais de la période 1806-1870
5) C’est-à-dire la raison (à l’époque quasiment une déesse) trop souvent réductrice, dont on pensait encore, Freud et Jung n’étant pas encore passés par là, qu’elle pourrait tout expliquer et tout résoudre.
6) Quoique déjà commencé au XVIe, notamment avec Breughel l’ancien, c’est surtout le XVIIe siècle qui est considéré comme étant l’âge d’or de la peinture néerlandaise et flamande.
7) Un beau livre sur l’expo, Un voyage romantique, est disponible au musée, ou peut être commandé sur le MNHA-shop en ligne: www.mnha-shop.lu/fr/home.html?page=2
 Dienstag 19. August 2014

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