lundi 20 avril 2015

Giulio-Enrico Pisani découvre Antonella Botticelli, grande artiste de Caserte



Giulio-Enrico Pisani
 Luxembourg, 18 avril 2015
Zeitung  Vum Lëtzberuger  Vollek
Antonella Botticelli : Proserpine 2015, ou l’abstrait tellurique



Pourquoi Proserpine[1]?  Repérai-je Antonella Botticelli[2], cette géniale peintre italienne lors d’une exposition?  Lors d’un des vernissages auxquels je suis régulièrement invité?  Mais non.  Ce fut tout simplement le fruit du hasard; hasard de mes recherches sur l’art abstrait – je ne sais plus à quelle occasion ou sujet – sur Internet.  Et ce fut le coup de foudre.  Pas d’emblée le grand amour, non, plutôt la surprise, la question du possible... du comment pouvait exister quelque chose d’aussi unique.  Pas évident non plus que de vous faire partager l’émerveillement ressenti la première fois que l’un de ses tableaux s’étala plein écran sur le moniteur de mon PC.  Car cette peinture n’avait rien en commun avec ce que j’avais pu voir jusqu’alors dans le domaine de l’art abstrait.  Et pourtant, j’en connais quelques-uns, de maîtres contemporains de l’abstraction.  Et me voilà occupé à creuser, chercher plus loin, me documenter, tenter de découvrir l’artiste capable de cette indicible expression picturale.  Cela devint pour moi un must, une obsession, une gageure.  Mais mon acharnement paya.  Quoiqu’elle fût à peine connue hors Campanie (un scandale!), je trouvai nombre de ses oeuvres sur divers sites, puis je la découvris elle-même sur Face-book, fis sa connaissance en juin 2014, vins à faire partie de ses amis et me promis de vous la faire connaître.  
L’enchantement devant la profondeur et le subtil agencement des formes et couleurs rejaillissant sur la toile, le papier ou autres supports depuis son âme inquiète cachée sous un visage amène, épanoui, serein, mon enchantement donc, ne faisait que croître au fur et à mesure que je découvrais son travail.  Certes, personne n’est toujours égal à lui-même; et qui peut prétendre ne créer que des chefs-d’oeuvre?  Mais tel ce Vésuve dont elle ne vit pas loin[3], Antonella génère par ses propres éruptions des fruits plutoniens toujours aussi uniques qu’inattendus.  Comment s’en lasser?  Aussi, récompensé au-delà de toute espérance dans mon rôle de découvreur, je n’ai aucun problème à vous parler aujourd’hui de cette perle rare découverte sur Internet.  Notez, rien de bien nouveau à cela!  J’en fis de même pour ces sculpteurs, peintres et poètes, parfois quasi-inconnus du grand public, tels René Iché[4], Philippe Trouvé[5], Patricia Guenot[6], Salah al Hamdani[7], Mohammed Al-Maghout[8] ou autres Tawfiq Zayyad[9].  Je ne me souviens plus de tous leurs noms, mais de toute façon, aujourd’hui, c’est le tour d’Antonella Botticelli et son abstrait tellurique.
Certes, comme la plupart des peintres, Antonella est passée par une première phase figurative plus pâle, disons académique.  Quelques jolis tableaux, certes, mais grâce à Pluton dont elle est la Proserpine contemporaine, cette période appartient au passé et ne connaît que de rares résurgences.  Oublions-les donc, ainsi que j’oublierai un pauvre autoportrait qu’elle mit un jour en ligne sous les applaudissements de ses «amis» prodigues de «bravissima», «bellissimo» et autres tartufferies.  Par chance, quelqu’un de sensé – galeriste? critique sérieux?  – vint peu après confirmer mon opinion et la détourner du gnangnan qui la guette dans cette région d’Italie où le très grand art côtoie souvent le pire kitsch.  Elle-même m’annonça d’ailleurs avoir décidé de désormais se lâcher et de peindre sans réserve l’expression bouillonnante et incandescente – lave, cendres et autres scories – jaillie de son subconscient tourmenté de Proserpine entre deux mondes.
Car, contrairement à Proserpine, dont l’action se limite aux belles saisons, les autre six mois la voyant hanter le monde souterrain, Antonella obtint de sa muse le privilège des Grünewald, Bosch, Ensor ou Kalmakoff de pouvoir peindre l’interaction entre conscient et subconscient, surface et abîmes, sérénité et souffrance.  Dépassant même son rôle de Proserpine pour devenir tout à la fois Dante et Virgile, elle permet aux forces sous-jacentes de se libérer en une imagerie et des scénographies tellement inouïes dans leur énigmatique beauté qu’elles s’élèvent, comme dirait Nietzsche, par-delà le bien et le mal.  Fi des bienséances sociétales, des images convenues et des joliesses dominicales!  Grâce à l’abstraction, Antonella expose et explose tous les tourments d’une âme qui ne peut plus les contenir et refuse le pare-feu de son pendant sociable.  Elle peut s’y lâcher sans risque de troubler ou choquer ceux qui n’y comprennent rien.  Tel chambre magmatique saturée vomissant son trop plein, elle rejette l’indicible sur ses toiles ou cartons en techniques mixtes d’une beauté à dominante camaïeu et pastel aussi vraie que fascinante.
Mais attention!  Ces mises-en-scène seront sans doute moins abstraites à vos yeux, si vous prenez la peine d’y pénétrer peu à peu jusqu’à ces profondeurs dévoilées sans être préalablement ordonnées, structurées et rendues joliment présentables.  Pourtant... à y regarder de plus près, Antonella laisse derrière elle, tel Ariane, un fil tout vibrant d’une musicalité silencieuse qui vous guide à travers les méandres de son âme, pour peu que vous le saisissiez sans préconçu et restiez ouvert à l’expression de sa poésie.  Elle nous confie en effet que «Chaque artiste raconte quelque chose... les souffrances, l’amour... L’art parle et met à nu son âme à travers les couleurs, les signes, les formes. Rien n’échappe à qui sait l’observer et se perdre en de poignantes émotions qui traversent la peau et touchent le coeur, tout devenant poésie. Je n’écris pas ma vie dans un livre; la parole n’est pas mon fort.  Je l’écris sur des toiles avec force matière et jeux de couleurs. La rage plein les mains j’y ai creusé de profonds sillons où, tel des blessures, s’écoule lentement le sang de mes souvenirs...»[10]
Vous restez toutefois, comme toujours devant la peinture abstraite, amis lecteurs, maîtres de votre interprétation, elle-même fruit de vos goûts et perceptions; patience, pénétration et empathie s’y ajoutant ave bonheur.  Cette liberté, Antonella vous la laisse d’ailleurs en n’intitulant que rarement ses tableaux.  Il y a des exceptions, mais ces titres ne vous lieront point.  Prenez, par exemple, «Sociétà contemporanea», une technique mixte sur toile 80x100 cm!  Les bistres y pourchassant les derniers feux me firent tout d’abord apparaître un monstrueux requin édenté ne parvenant qu’à s’envoler à grand-peine après avoir dévoré le buste d’un homme accroupi lui servant de tremplin ; le lendemain j’y vis Python se dressant au-dessus du chaos.  Quel hiatus entre ma première impression, ma seconde lecture et le titre!  Mais je creusai plus loin et, de fait, après m’être saisi du fil d’Ariane cité plus haut, le jeu et l’interaction tout à la fois sobres et poétiques des formes et couleurs me firent apparaître l’immense tension entre un passé amorti, couleurs pastel et un présent aux exigences parfois brutales.  Mais vous, qu’y verrez-vous?
Autre exemple: «Mémento», l’un des chefs-d’oeuvre de cette visionnaire du subliminal.  Ce titre signifiant «souviens-toi» me donne à penser qu’il ne s’adresse pas particulièrement au spectateur, ni d’ailleurs par réflexion à l’artiste elle-même, mais représenterait une plongée dans la mémoire collective italo-hellénique dont elle serait le héraut.  Mais Antonella a peint ce tableau au printemps 2014 et ne peut se résoudre à suivre le philosophe orphique Empédocle[11] dans sa chute vers cet enfer que Proserpine vient juste de quitter.  L’heure n’est donc plus ni à Pluton ni à son neveu Vulcain.  L’Antiquité cède aux prémices de la Renaissance, bien plus proche des passions qui traversent alors l’artiste.  Dès lors, son tableau s’arrête au vestibule souterrain où, tout au fond, la porte (ou bouche) des enfers dit, rageuse, les mots de Dante Alighieri: «Par moi on va vers la cité dolente / Par moi on va vers l'éternelle souffrance / Par moi on va chez les âmes errantes...», etc. et conclut: «Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance».  Mais contrairement à Dante et Virgile, Antonella et sa muse Proserpine, dont les tourments sont ceux de la vie et non de la mort, ne vous feront pas franchir cette porte, ne permettant à une abstraction cette fois toute relative que d’en explorer la tortueuse antichambre.
J’aurais encore désiré vous présenter la biographie d’Antonella Botticelli, mais j’ai déjà largement dépassé mon espace rédactionnel écrit et ne désire pas empiéter sur des illustrations souvent bien plus parlantes que mon discours.  Aussi, en attendant qu’elle vienne exposer au Luxembourg et nous permette d’admirer son travail dans toute la force de sa matérialité, je vous suggère de faire sa connaissance aussi bien sur plusieurs sites Internet que sur Linkedin ou Face-book.  Vous pourrez l’y contacter directement et admirer nombre de ses oeuvres qu’elle y présente régulièrement[12]. 


[1] Déesse romaine des saisons, Proserpine est fille de Cérès (déesse des moissons) et Jupiter (respectivement Perséphone, Déméter et Zeus dans la mythologie grecque). Elle aurait été enlevée par Pluton, dieu des Enfers, qui l’aurait épousée. Cérès s’en étant plainte chez Jupiter, celui-ci obtint de Pluton qu'elle puisse retourner au grand air 6 mois de l’année. Elle passera six mois aux enfers (automne et hiver), puis six mois avec sa mère (printemps et été).
[2] Le nom de famille d’Antonella Botticelli n’a rien à voir avec Sandro Botticelli, pseudonyme du célèbre peintre florentin, qui s’appelait en réalité Alessandro Filipepi.
[3] Elle vit et travaille à Maddaloni, près de Caserta et à une trentaine de Km de Naples et du Vésuve.
[4] www.zlv.lu/spip/spip.php?article1298
[5] www.zlv.lu/spip/spip.php?article3583 et www.zlv.lu/spip/spip.php?article5435
[6] www.zlv.lu/spip/spip.php?article3600
[7] www.zlv.lu/spip/spip.php?article2852
[8] www.zlv.lu/spip/spip.php?article2395
[9] www.zlv.lu/spip/spip.php?article2178
[10] Légèrement abrégé et librement traduit de l’italien
[11] Empédocle (Ve siècle a.C.) mit fin à ses jours en se jetant dans le Vésuve.
[12] En voici quelques-uns: www.equilibriarte.net/profile/antonellabotticelli ; www.premioceleste.it/artista-ita/idu:54716/ ; http://arteantonellabotticelli.altervista.org/ ; https://www.facebook.com/antonella.botticelli/. 

4 commentaires:

Mokhtar El Amraoui a dit…

Bravo et merci pour cette si belle présentation, Giulio le grand découvreur de talent. Antonella le mérite d'après ce que j'ai pu voir de ses réalisations.

giulio a dit…

Oui, elle le mérite, cher Mokhtar. Et il est particulièrement injuste qu'un talent pareil reste cantonné à une région italienne, lorsque d'invraisemblables clowns prétendument artistes se pavant dans toutes les capitales, font la une dans toute l'Europe, sinon dans le monde, envahissant même des musées, et reçoivent pour chacune de leurs horreurs ou farces des dizaines de milliers d'Euros. Et personne - surtout pas parmi les grands critiques multi-diplômés en histoire de l'art - ait le courage de dire que "le roi est nu".

Cléanthe a dit…

Je trouve également que le roi est souvent nu, par les temps qui courent on ne sait où. Magnifique peinture d'une artiste que je ne connaissais pas.

giulio a dit…

Merci, Cléanthe. Pour peu qu'on regarde autour de soi on en découvre tout le temps (au passé comme au présent et dans tous les domaines) des négligés par la notoriété.