jeudi 23 avril 2009

Julio Pomar : portrait d'un peintre.


Sérigraphie de Julio Pomar

Pomar

Depuis qu’il est entré en peinture, Julio Pomar, peintre portugais né en 1926, n’a eu de cesse de relever ce défi d’être tout à la fois fidèle à lui-même et en perpétuel changement. Sa peinture, une mutation permanente qui, à aucun moment, n’induit un déni de soi, s’inscrit dans la perspective mallarméenne de l’être se muant en lui-même. Pomar sera toujours resté un puissant coloriste. Je pense surtout à la force du rouge en quoi je vois comme un écho d’un de La Tour ou d’un Rembrandt ou encore à son traitement de l’ombre. D’où viennent ces couleurs ? Ils sont moins souvenirs d’autres palettes qu’expression d’une propension à donner à voir les couleurs sous une forme immaculée, comme ce bleu des portraits qu’il a fait de Frida Kalho. Pomar la dévêtit pour la mettre dans un bleu paradis (pour penser au « vert paradis » baudelairien). Pour parler de ce peintre, il convient d’évoquer les poètes au moins tout autant que les peintres.
Pomar s’inscrit dans une filiation qui se veut non datée. C’est sans doute pourquoi l’horloge qu’il représente dans « Le temps de cuisson » (1992) affiche une heure illisible. Si l’on postule que l’horloge est figure d’une mise en abyme de l’oeuvre, cela signifie que Pomar ne se rattache à aucune lignée ou tout au moins pas à une lignée autre que celle de ses modèles. Ce sont les modèles qui font le peintre. Dans son ouvrage, Les Mots de la peinture, Pomar se dit la « proie » de ses modèles, « les beaux rapaces ». Une précision : ils le font ou le défont, ce qui dans les deux cas signifie qu’ils le refont.
Dans la galerie de figures à quoi il donne vie, figurent surtout les poètes : Fernando Pessoa, l’homme aux mille noms, Stéphane Mallarmé, Charles Baudelaire et, plus près de nous, Claude Michel Cluny. C’est en portraitiste que Pomar ressemble le plus à lui-même. Dans tous ces portraits, le trait est abstrait, le détail vient d’un je-ne-sais-où d’inquiétant mais le tout est réaliste et a un je-ne-sais-quoi de rassurant. Chacun des modèles demeure reconnaissable. Baudelaire par Pomar demeure Baudelaire ; Cluny par Pomar demeure Cluny, surtout celui qui rend hommage au peintre du Portugal et d’ailleurs dans un poème qui s’ouvre ainsi : «Agacer la gueule rose du tigre / d’une simple mouche fauve / Et clore la cage des barreaux de sa robe : / solitude fauve. »

A lire : Julio Pomar : Fables et portraits, texte de Claude Michel Cluny. Editions Ramsay, 1994. A lire également : Claude Michel Cluny Le Livre des Quatre corbeaux. Illustrations de Julio Pomar.
Voir le portrait qui fait la couverture de mon livre Claude Michel Cluny : des figures et des masques. Editions de la Différence.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

"La chouette dont les yeux de nuit sont aveuglés le jour ne peut dévoiler de la lumière." écrivait Khalil Gibran.
Ainsi en est-il parfois du désir d'obscurité. La peinture brouille et dévoile ce moi malléable par effacement des mots et d'une signature. Le "je" se disperse, se fragmente, se métamorphose , insaisissable. Les couleurs sont une écriture en abyme et l'écriture devient opacité.( Votre note du 14 septembre 2008 sur Claude Michel Cluny... le livre...le colloque à la sorbonne en 2005)... la réalité doit être liquidée, n'est-ce pas ? Pourquoi ? Quoi de ces choses disparues émerge dans cette peinture abstraite, cette inquiétude des couleurs ? La vérité est traquée, le portrait devient une histoire silencieuse, mutation identitaire, dignité et intime solitude, anonymat... Indiscernable, le "je" dit qui il est, dans cette auto-invention mystérieuse comme une ascèse. Quel défi !Quelle envoûtante méditation.... Indéchiffrable sauf pour certain poète...
anonymement vôtre.

giulio a dit…

Magique, cet artiste qui déambule entre cubisme, fauves, expressionnisme, cubisme, abstrait et figuratif. Il lui arrive de flirter avec la laideur selon Francis Bacon, mais l'impression que me laisse un voyage sur Internet à la recherche de Pomar, c'est que chez lui, la quête du beau domine, en tout cas dans le sens où tu l'exprimes p. 70 dans "CM Cluny, des figures et des masques": "Le beau : ce qui dans sa constitution se fait écho d'autre chose. C'est l'altérité et l'ipséité se croisant. Et le tout se heurtant à l'impossibilité... etc." Connaissais-tu déjà Pomar à l'époque? Je veux dire, avant que la Différence n'illustre et sorte ton livre, donc, lors de la rédaction? Sinon, quel à-propos!

Jalel El Gharbi a dit…

@ Giulio : J'ai découvert l'univers de Pomar en travaillant sur Cluny.
Sur internet tu peux voir ses portraits de Pessoa (dont un minimaliste, une pure merveille).
Souvenir ému de son exposition en 2004 à Tunis
Amitiés

Meriem a dit…

Découverte pour moi !
Merci. Notamment aux auteurs des enrichissants commentaires.

Jalel El Gharbi a dit…

@ Meriem : merci d'être passé chère Meriem

Philip Seelen a dit…

Cher Jalel, je réapparais et refais mon retard de lectures et de découvertes ici chez vous. Julio Pomar et son oeuvre sont très attachants. Une vie de résistant à la dictature salazariste une vie de combattant poète consacrée à cette oeuvre si contemporaine par son style, ses contenus et son évolution. Julio pomar un frère d'art si j'ose dire.

Lampes et amitiés planisphériques. Philip Seelen