jeudi 1 octobre 2009

Profil d'un poète 2 René Guy Cadou


Cadou par lui-même.

René Guy Cadou et l'école de Rochefort.
René Guy Cadou naît à Sainte-Reine-de-Bretagne (Loire Atlantique) le 15-2-1920. A l'âge de 16 ans, il rencontre Michel Manoll, libraire et poète, avec qui il nouera une amitié indéfectible. Un autre libraire, Michel Laumonier, poète lui aussi, contribuera à incliner les goûts littéraires de Cadou vers Lautréamont, Rimbaud et les contemporains : Jean Follain, Jean Rousselot, Louis Guillaume aux dépens de Sully Prudhomme et François Coppée dont son père, qui rimait volontiers, lui conseillait la lecture. Dès 1936, Cadou entre en correspondance avec Max Jacob et publie les primeurs de sa poésie aux éditions Les Feuillets de l'îlot de Jean Digot. En 1941 il participa à l'avènement de L'Ecole de Rochefort qui fut selon l'expression du poète " une cour de récréation" beaucoup plus qu'une école littéraire à proprement parler. Elle regroupa de jeunes poètes qui sous l'occupation étaient décidés à écrire pour exprimer un attachement viscéral à la terre, au pays. Ces jeunes partageaient les mêmes valeurs, le même culte de l'amitié érigée en valeur suprême, le même attachement à une nature où se reflètent les passions du poète et la même quête d'une fusion avec cette nature vénérée. Tel est -me semble-t-il- le sens qu'il convient d'attribuer à ce que Cadou appelle le "surromantisme".
* * * *
Aux bords de la Loire, Marcel Béalu, Luc Bérimond, Jean Bouhier, René Guy Cadou , Maurice Fombeure, Jean Rousselot –à l'époque le plus connu de tous- signent en octobre 1941 un programme qui peut être résumé en une phrase : dire la vie, toute la vie. D'autres poètes rejoindront le groupe qui n'impose aucune contrainte à ses membres contrairement au groupe surréaliste dont les membres auront à subir l'autorité papale d'André Breton.
Evoquant l'esprit qui régnait dans le groupe, Jean Rousselot écrit : " pairs nous fûmes, chacun avec ses propres humeurs, ses propres certitudes, ses propres ambitions et sa propre espérance, et non point écoliers, encore moins professeurs"
René Guy Cadou, jeune instituteur suppléant, s'investit profondément dans le groupe et s'épanouit dans cette fraternité qu'il lui offre.
La poésie de Cadou cultive le culte de la nature ressentie comme le vivier du poète enraciné. Il y a chez lui une fascination pour le végétal. Le poète est à l'image d'Antée reprenant force à chaque contact avec Gaia, la terre.
Ce qui ne fut d'abord qu'une métaphore devient une vision du monde. Tout devient végétal chez Cadou : Hélène, la passion de sa vie qu'il épouse en 46, est "l'algue marine et la plante sauvage", le ciel "est une grande pelouse". Le végétal semble être le levain de cette poésie.
La flore, parce que terrienne par son enracinement, aérienne par sa poussée, hydrique par sa sève et ignée par son besoin de soleil, réalise l'unité des éléments. On comprend dès lors qu'elle prolifère dans l'oeuvre d'un poète soucieux de fusion avec les éléments naturels. La profusion se mue en fusion avec le végétal. Le poète devient littéralement boisé: "Je ne porte sur moi que les forêts d'automne". Cette confusion de l'humain et du végétal confère aux textes de Cadou l'essentiel de sa sève, une fraîcheur certaine et cette verdeur naïve qui la caractérisent.
La verdeur du poète se devine surtout aux "emprunts" qu"il fait aux autres poètes ( Supervielle, Apollinaire...) et aux prosaïsmes qui entachent une oeuvre qui n'a certainement pas eu le temps de s'enraciner, de pousser et de mûrir. Une poésie qui n'a pas réussi à se délester de ce qui l'alourdit.
La poésie de Cadou fait prévaloir la nostalgie sur l'aspiration. En elle, l'enracinement qui découle de l'identification à la flore occulte toute dynamique d'un élan vers l'ailleurs. La fixation sur le végétal dit bien cette primauté de l'enracinement sur l'envol. Profondément enraciné, Cadou se meut dans un univers ancré, statique qu'aucune mutation n'est à même d'affecter : rien ne bouleverse l'univers du poète pas mˆme la passion amoureuse : quand Hélène entre dans l'univers du poète, elle y trouve une place toute prête. Hélène n'est pas pour Cadou ce que Elsa est pour Aragon. Hélène est l'eau
qui coule dans une rivière dont le lit est déjà creusé :
Comme un fleuve s'est mis
A aimer son voyage
Un jour tu t'es trouvée
Dévêtue dans mes bras
........
Et je n'ai plus songé
Qu'à te couvrir de feuilles
En 1950, Cadou subit une intervention chirurgicale. Malade, il le sera jusqu'à la date fatidique du 20 mars 1951.Pour avoir longtemps méprisé son corps, Cadou s'éteint à 31 ans.
A la mort du plus jeune des poètes de Rochefort, ses amis multipliant les hommages le mettent littéralement au premier plan tant et si bien que Cadou finit par devenir le plus connu des poètes de Rochefort et sa notoriété aura vite fait d'éclipser tous les autres à commencer par Hélène dont la poésie est d'une verve exquise. Des ouvrages aussi sérieux que le Petit Larousse notent qu'il est " le principal représentant de l'Ecole de Rochefort" , le Robert fait de lui le " fondateur" de cette école. Ce qui était un hommage s'est transformé en erreur consacrée. Il faudra attendre de longues années avant que la « supercherie » ne devienne insupportable. La vérité fut rétablie par Jean-Yves Debreuille dont le travail(1) reste le maître ouvrage pour l’étude cette période de la poésie française. En 1991, à l'occasion du cinquantenaire de l'Ecole de Rochefort, se tient à Agen le colloque : Rochefort et ses marges. Des universitaires dont J.Y.Debreuille et des anciens de Rochefort (Rousselot et Bouhier) y prennent part et nonobstant l'hommage que tous s'accordent à rendre à Cadou, ce qui avait pris la tournure d'une mystification est définitivement levée . Ceux qui ont contribué à la création du mythe réussissent à rétablir la vérité : Cadou n'est pas le fondateur de L'Ecole de Rochefort pas plus qu'il n'en est le poète principal. Notons aussi la part que prit Jean-Louis Depierris dans la dissipation du malentendu : il montre avec rigueur(2) et vigueur que Bouhier fut le véritable fondateur de l'Ecole.
Je relis Hélène ou le Règne végétal, je relis Hélène Cadou : celle qui ne fut qu'une muse a des tonalités poétiques que je ne trouve pas à la lecture de R.G. Cadou


1 Jean-Yves Debreuille : L'Ecole de Rochefort Théories et pratiques de la poésie 1941-1961. Presses Universitaires de Lyon; 1987.
2- Jean-Louis Depierris : Tradition et insoumission dans la poésie française Presses universitaires de Nancy.
Bibliographie : Oeuvres poétiques Complètes Seghers
Hélène ou le règne végétal Seghers

14 commentaires:

giulio a dit…

Aussi instructif que fascinant, ce texte, cher Jalel, mais ce qui m'y intrigue le plus, c'est ta toute dernière phrase: "... je relis Hélène Cadou : celle qui ne fut qu'une muse a des tonalités poétiques que je ne trouve pas à la lecture de R.G. Cadou."

Hélène Cadou pourrait-elle faire l'objet de ton "Profil d'un poète 3"?

Jalel El Gharbi a dit…

Oui, cher Giulio, les textes que j'ai pu lire d'Hélène Cadou sont parfois autrement plus poétiques que ceux de René-Guy Cadou.
Je note ta suggestion d'un profil d'Hélène. Je vois à l'université si on a des références biblio sur elle.
Amicalement

giulio a dit…

D’entrée de jeu
L’été
Une campagne
Survoltée

Comme un clairon
Bleu

Si belle
La vie en gloire

Jamais plus
Le temps refermé

Ce que tu es Demeure.

Hélène Cadou :« Le Prince des lisières », ROUGERIE Éditions

LE MAMI a dit…

Votre Widgeo.net, ça fait pas un peu aérogare dans un livre de poésies écrites avec un calame?
Pourquoi pas?
Fidèlement,
Baltha

Jalel El Gharbi a dit…

@ Baltha : Je ne vous cache pas que j'adore les aéroports. J'arrive à y lire et les retards d'avion ne me dérangent pas, bien au contraire.
Amicalement

christiane a dit…

Jalel,
excusez-moi, je pose ma valise quelques secondes. Pétard, que c'est beau ce livre, beau et dur! "Nous sommes tous des migrants". Quelle idée-sillon que ces échanges de lettres. Je découvre Afaf Zourgani. Ah, son écriture c'est quelque chose ! (comme dirait mon ami du village de là-bas). Peu à peu, j'oublie de quoi vous parlez tant est passionnante cette recherche de transparence à l'autre. Chaque mot est décortiqué comme une amande. Les écorces sont enlevées et c'est déjà une sacrée migration vers l'autre. J'aime l'auscultation du rien après celle du silence. Vous dites que vous ne savez où ce dialogue, esquif à deux rameurs (et plus) sans pilote, vous mènera. C'est un beau risque d'écriture.
J'aime aussi l'idée des frontières intérieures, celles qui précèdent les autres... Ce sont des lettres d'errants portant dans leurs mots des barques cruelles et des camions bondés d'autres errants. Les mots s'y cognent comme ceux des voyageurs quand le train passe sur des aiguillages. Je n'ai pas fini. Curieusement, pour Paul (Edel), j'entrais ce matin dans un autre voyage au bout d'une autre nuit celui de LF Céline. Dites Jalel, sommes-nous des migrants vivant dans cette nuit des origines et des fins. Ah, c'est un bien beau livre, j'y retourne !

Jalel El Gharbi a dit…

@ Christiane : "Nous sommes tous des migrants" fut une belle traversée. Et je suis ravi de l'avoir entrepris avec Giulio et les autres bien entendu.
A propos de Giulio, je vous invite à lire son article dans la "vieille Zeitung" comme il dit
http://www.zlv.lu/, puis cliquez sur la rubrique "internationale Politik"
Amicalement

giulio a dit…

Jalel a raison, chère Christiane. Ce fut une aussi une rencontre et une aventure. Puissent toutes les traversées mobiliser et rencontrer autant d'amitié!

michèle pambrun a dit…

Je souscris à ce que dit Giulio, Jalel ; votre texte sur Cadou est aussi instructif que fascinant et un profil de poète à propos d'Hélène Cadou serait bienvenu. Merci Giulio du poème que vous nous offrez.

Quant au prénom de Cadou, voici ce qu'en écrit Jean Rouaud dans son "Cadou Loire Intérieure" publié chez joca seria en 1999 :

Le secret de son identité tient dans son double prénom. Si Cadou insistait tant pour qu'on ne mette pas de trait d'union entre René et Guy, c'est que les deux prénoms n'en font pas qu'un. René Guy c'est deux frères en une seule personne : Guy, l'aîné, mort à dix-huit mois d'une méningite, René, de huit ans son cadet, son remplaçant, ce qu'indique son préfixe avec cette valeur de répétition, ce re-né comme une redite, comme un bégaiement de la naissance. Ainsi ce nouveau-né n'est pas nouveau. René Guy si ce n'est lui c'est donc ton frère. Comment vit-on avec ce corps mort accroché à son nom ? Mal et pas longtemps.

Jalel El Gharbi a dit…

@ Michèle Pambrun : Merci pour cette citation. Je rectifie bien que le trait d'union soit d'usage pour le nom de ce poète.
Merci de votre passage.

giulio a dit…

Un autre remarquable poète bréton, chers amis:

Alain Jégou.

À découvrir sur Wikipedia et sur le blog de ce "vieux" loup de mer: alainjegou.blogspot.com/, ainsi que dans la 2e partie de mon article "Collection 99 : nostalgie et effluves marines" sur www.zlv.lu/spip/spip.php?article986.

Jalel El Gharbi a dit…

@ Giulio,Superbe le blog de Jégou ainsi que ton article sur le volume Klecker Jégou dans la collection 99.
Tu sais combien j'aime le travail de Klecker.
Je suis très flatté que tu me mettes entre Chebbi et Abou Madhi.
Merci
Amicalement

michèle pambrun a dit…

Cher Jalel, je ne faisais pas autre chose en citant Rouaud, que dire la place qu'avait gardée en moi, ce petit livre sur Cadou.
Ce dire sur le prénom n'est peut-être qu'invention d'écrivain.

Et puis j'aime les précisions de la langue jusque dans les traits d'union. Par exemple j'aime savoir que lorsqu'on vous nomme on écrit Jalel El Gharbi ; mais si l'on nommait une Faculté ou une bibliothèque portant votre nom, on dirait la Faculté Jalel-El-Gharbi.
De la même façon que pour désigner un saint l'on écrit saint Vincent et pour désigner l'église on écrit église Saint-Vincent.

Bien à vous.
Michèle

je signe de mon prénom auquel j'aimerais ramener mon inscription sur votre blogue, mais il semble que je sois définitivement inscrite sous mon patronyme complet, qui s'affiche dès que je me connecte ; je craindrais, en le modifiant, de me retrouver anonyme, :-)

Jalel El Gharbi a dit…

@ Michèle : J'ai changé la graphie. Peu importe si Rouaud invente ou non, ce qu'il dit se défend.
Je ne peux que souscrire à vos exigences orthographiques.
Amicalement