Nic Klecker.
Giulio-Enrico Pisani vient de publier ce texte dans le Zeitung. Il y rend compte d’un ouvrage de Nic Klecker et un autre d’Alain Jégou publiés dans un même coffret.
Collection 99 : nostalgie et effluves marines
Beau coffret, que nous présente cette fois l’équipe des Editions Estuaires ! (1) Je ne parle pas de la présentation sobre, voire sévère, que nous commençons à bien connaître. Mais quels millésimes cette fois, que « L’écoute du Silence » de Nic Klecker et « Une meurtrière dans l’éternité » d’Alain Jégou !
Et aussi quel plaisir je pris à les déguster, puis à écrire cette présentation, à commencer par le joyaux poétique de
Nic Klecker
Jamais je n’ai en effet lu de Nic un recueil de vers aussi élégants, aériens, chaleureux, suggestifs, émouvants, voire bouleversants. De plus, ses poèmes se lisent avec aisance, même au premier degré, car les symboles, allusions, ou métaphores, dont il les ajoure et renforce, ne prennent jamais le pas sur le langage commun. Intelligible sans décryptage laborieux, dédié à Laura comme le Canzoniere de Pétrarque et tout aussi sempervirent, l’amour exprimé dans « L’écoute du Silence » nous fait accéder en filigrane à ce subtil lacis de pensées, sentiments et sensations qui lui font mériter le A majuscule. Grâce à la magie du poète, les couleurs de l’Amour, de son Amour, nous pénètrent et finissent par devenir les nôtres, celles de ses lecteurs.
Tout d’abord, la pensée de l’auteur semble vouloir flâner au loin, dans les vastités où poétisent les Abou Madhi, Chebbi ou Jalel El Gharbi, pour chanter : « Tu es la fleur / lointaine / au milieu du désert // Tu es l’énigme / plantée dans l’espace... ». Mais on se rend bientôt compte, que Nic Klecker n’a jamais vraiment quitté son jardin. Tel une irrésistible force gravitationnelle, sa nostalgie le ramène toujours et encore à ces racines qui sont siennes, mais dont il dit : « ... Tes racines / sont nos années / enfuies dans le sable du temps // L’espoir s’est raréfié / dans l’air de ton absence ». Il se souvient ensuite que « Tes mains se joignent encore / et prennent le sable fin / que tes yeux laisseront glisser / entre tes doigts / Sablier du bonheur / Sablier de ma peine ». Ne vous rappelle-t-il pas un peu Serge Basso et sa prose poétique dans « L’envers du sable », dont Portante disait : « Serait-ce un sablier retourné qui, comme un compte à rebours intérieur, repart vers le début... ? ».
Certes, il y a la parenté du souvenir, de la mémoire des omniprésents absents, et lorsque Nic écrit « ... tu chauffes la paume / de ma main / comme jadis le pain rond / dont la croûte craquait », comment ne pas penser au « C’était le temps des dimanches de farine transfigurés par l’enjeu des mains blanches... » de Serge Basso ? (2) Mais toute comparaison boîte et la mienne n’ira pas plus loin. En effet, à partir de là Nic s’envole, magistral, au-delà et au-dessus du commun des poètes et les paroles qu’il adresse à Laura, son épouse défunte que la Reine des neiges a repris, vibrent à tel point d’émotion contenue, qu’il a du mal à ne pas exploser sa sobriété innée. Je frémis encore d’avoir lu : « Le soleil retient ses rayons / et le vent sa fraîcheur / Tes pas hésitent / à quitter le seuil // Le temps même / est fissuré ». Et, un peu plus loin : « Les fleurs / et les arbres / crient / après ta présence // C’est leur beauté / que je pleure / à travers l’absence de tes yeux ». Puis, après un dernier sursaut de révolte, le poète clôt son élégie sur la résignation et... la vie : « Il reste à regarder / ce qui éclot ».
Avec
Alain Jégou,
cet ancien pêcheur de Lorient, nous abordons un tout autre registre. Encore que... dans « Une meurtrière pour l’éternité » les disparus de la mer n’exigent pas d’être cités nommément. Ils en font tout simplement partie intégrante et se fondent entre les vagues d’une poésie vigoureuse parcourue de grains furieux entrecoupés d’imprévisibles embellies. C’est la houle longue et longanime de l’Atlantique brisée par les plages mouvantes de l’île de Groix et par la Pointe de Gâvres ; c’est les chaluts, les odeurs de cale et c’est « le sourire mouillé salé » du capitaine face aux embruns. Mais c’est également « l’amertume sur la langue / des instants déprimants / poisse des jours tenaces / et mornes addictions », ainsi que la rude existence des pêcheurs et des novices de la mer. Et toujours la mer, même le matin au réveil : « À la dérobée / embuée de foutre et de nacre confuse / murmure dans le ventre des femmes / l’aurore aux doits fouisseurs ».
S’inspirant pour son titre d’une phrase de Jack Kerouac, chez qui il remplace les « ...nuits brutales, violentes (...) et toutes remplies du gémissement des sirènes... » de « Sur la route », par sa vision façon « meurtrière sur mer » (3), Alain Jégou démarre sur le chapeaux des roues. Son premier coup d’oeil, un poème qui m’évoque « Bourlinguer » de Cendrars, ou autres bateaux ivres à la Rimbaud, invite le lecteur à lâcher du lest bourgeois pour embarquer sur son rafiot ivre, lui, de souvenance : « À chaque partance sa part d’insouciance (...) se libérer de la routine et du confort (...) inspiré par l’impérieux besoin / d’errances, de quêtes et découvertes / la passion dévorante qui fait pousser des ailes / sourire l’univers et reculer la mort ».
Le recueil d’Alain Jégou ne s’arrête en effet pas aux vagues, aux marées, aux goélands ou aux embruns. Aux deux tiers du parcours, après vous avoir fait traverser des pages 28 jusqu’à 33 un fameux coup de tabac, le voilà qui passe ex abrupto de la lyrique marine à la satire sociale. Ce sera le tour de la rumeur, des racontars, des calomnies et autres conneries, dont on peut se préserver grâce à « ... tous ces grains empreints / d’un beau brin de folie ». Quant à la gerbe d’allusions satiriques tournées en poésie somptueuse dont notre poète couronne son recueil, c’est un régal. Et c’est brillamment qu’il parvient, grâce à la richesse inouïe d’un langage dont on négligera les quelques rugosités et qui nous bouscule au rythme de ses fureurs souvent (mais pas toujours) marines, qu’il parvient donc, à nous interpeller « contre vents et marées / pour juste découper / une meurtrière dans l’éternité ».
***
1) Les 2 livres en 1 coffret bibliophile à offrir, s’offrir ou se faire offrir, est disponible dans les bonnes librairies ou à commander aux Éditions Estuaires, moyennant 45,- Euro à verser au CCPL IBAN LU90 1111 0047 4589 0000 de René Welter, L-3447 Dudelange.
2) v. mon article sur « L’envers du sable » de Serge Basso dans la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek du 27.03.09.
3) « meurtrière » n’a ici bien entendu rien à voir avec « assassine », mais signifie plutôt archère, lucarne, petite fenêtre étroite. Encore que chez Jégou le double sens ne soit pas exclu, je m’en suis tenu à cet signification, même en faisant un petit clin d’oeil à Hitchcock (Fenêtre sur cour).
Giulio-Enrico Pisani
jeudi 23 juillet 2009
Beau coffret, que nous présente cette fois l’équipe des Editions Estuaires ! (1) Je ne parle pas de la présentation sobre, voire sévère, que nous commençons à bien connaître. Mais quels millésimes cette fois, que « L’écoute du Silence » de Nic Klecker et « Une meurtrière dans l’éternité » d’Alain Jégou !
Et aussi quel plaisir je pris à les déguster, puis à écrire cette présentation, à commencer par le joyaux poétique de
Nic Klecker
Jamais je n’ai en effet lu de Nic un recueil de vers aussi élégants, aériens, chaleureux, suggestifs, émouvants, voire bouleversants. De plus, ses poèmes se lisent avec aisance, même au premier degré, car les symboles, allusions, ou métaphores, dont il les ajoure et renforce, ne prennent jamais le pas sur le langage commun. Intelligible sans décryptage laborieux, dédié à Laura comme le Canzoniere de Pétrarque et tout aussi sempervirent, l’amour exprimé dans « L’écoute du Silence » nous fait accéder en filigrane à ce subtil lacis de pensées, sentiments et sensations qui lui font mériter le A majuscule. Grâce à la magie du poète, les couleurs de l’Amour, de son Amour, nous pénètrent et finissent par devenir les nôtres, celles de ses lecteurs.
Tout d’abord, la pensée de l’auteur semble vouloir flâner au loin, dans les vastités où poétisent les Abou Madhi, Chebbi ou Jalel El Gharbi, pour chanter : « Tu es la fleur / lointaine / au milieu du désert // Tu es l’énigme / plantée dans l’espace... ». Mais on se rend bientôt compte, que Nic Klecker n’a jamais vraiment quitté son jardin. Tel une irrésistible force gravitationnelle, sa nostalgie le ramène toujours et encore à ces racines qui sont siennes, mais dont il dit : « ... Tes racines / sont nos années / enfuies dans le sable du temps // L’espoir s’est raréfié / dans l’air de ton absence ». Il se souvient ensuite que « Tes mains se joignent encore / et prennent le sable fin / que tes yeux laisseront glisser / entre tes doigts / Sablier du bonheur / Sablier de ma peine ». Ne vous rappelle-t-il pas un peu Serge Basso et sa prose poétique dans « L’envers du sable », dont Portante disait : « Serait-ce un sablier retourné qui, comme un compte à rebours intérieur, repart vers le début... ? ».
Certes, il y a la parenté du souvenir, de la mémoire des omniprésents absents, et lorsque Nic écrit « ... tu chauffes la paume / de ma main / comme jadis le pain rond / dont la croûte craquait », comment ne pas penser au « C’était le temps des dimanches de farine transfigurés par l’enjeu des mains blanches... » de Serge Basso ? (2) Mais toute comparaison boîte et la mienne n’ira pas plus loin. En effet, à partir de là Nic s’envole, magistral, au-delà et au-dessus du commun des poètes et les paroles qu’il adresse à Laura, son épouse défunte que la Reine des neiges a repris, vibrent à tel point d’émotion contenue, qu’il a du mal à ne pas exploser sa sobriété innée. Je frémis encore d’avoir lu : « Le soleil retient ses rayons / et le vent sa fraîcheur / Tes pas hésitent / à quitter le seuil // Le temps même / est fissuré ». Et, un peu plus loin : « Les fleurs / et les arbres / crient / après ta présence // C’est leur beauté / que je pleure / à travers l’absence de tes yeux ». Puis, après un dernier sursaut de révolte, le poète clôt son élégie sur la résignation et... la vie : « Il reste à regarder / ce qui éclot ».
Avec
Alain Jégou,
cet ancien pêcheur de Lorient, nous abordons un tout autre registre. Encore que... dans « Une meurtrière pour l’éternité » les disparus de la mer n’exigent pas d’être cités nommément. Ils en font tout simplement partie intégrante et se fondent entre les vagues d’une poésie vigoureuse parcourue de grains furieux entrecoupés d’imprévisibles embellies. C’est la houle longue et longanime de l’Atlantique brisée par les plages mouvantes de l’île de Groix et par la Pointe de Gâvres ; c’est les chaluts, les odeurs de cale et c’est « le sourire mouillé salé » du capitaine face aux embruns. Mais c’est également « l’amertume sur la langue / des instants déprimants / poisse des jours tenaces / et mornes addictions », ainsi que la rude existence des pêcheurs et des novices de la mer. Et toujours la mer, même le matin au réveil : « À la dérobée / embuée de foutre et de nacre confuse / murmure dans le ventre des femmes / l’aurore aux doits fouisseurs ».
S’inspirant pour son titre d’une phrase de Jack Kerouac, chez qui il remplace les « ...nuits brutales, violentes (...) et toutes remplies du gémissement des sirènes... » de « Sur la route », par sa vision façon « meurtrière sur mer » (3), Alain Jégou démarre sur le chapeaux des roues. Son premier coup d’oeil, un poème qui m’évoque « Bourlinguer » de Cendrars, ou autres bateaux ivres à la Rimbaud, invite le lecteur à lâcher du lest bourgeois pour embarquer sur son rafiot ivre, lui, de souvenance : « À chaque partance sa part d’insouciance (...) se libérer de la routine et du confort (...) inspiré par l’impérieux besoin / d’errances, de quêtes et découvertes / la passion dévorante qui fait pousser des ailes / sourire l’univers et reculer la mort ».
Le recueil d’Alain Jégou ne s’arrête en effet pas aux vagues, aux marées, aux goélands ou aux embruns. Aux deux tiers du parcours, après vous avoir fait traverser des pages 28 jusqu’à 33 un fameux coup de tabac, le voilà qui passe ex abrupto de la lyrique marine à la satire sociale. Ce sera le tour de la rumeur, des racontars, des calomnies et autres conneries, dont on peut se préserver grâce à « ... tous ces grains empreints / d’un beau brin de folie ». Quant à la gerbe d’allusions satiriques tournées en poésie somptueuse dont notre poète couronne son recueil, c’est un régal. Et c’est brillamment qu’il parvient, grâce à la richesse inouïe d’un langage dont on négligera les quelques rugosités et qui nous bouscule au rythme de ses fureurs souvent (mais pas toujours) marines, qu’il parvient donc, à nous interpeller « contre vents et marées / pour juste découper / une meurtrière dans l’éternité ».
***
1) Les 2 livres en 1 coffret bibliophile à offrir, s’offrir ou se faire offrir, est disponible dans les bonnes librairies ou à commander aux Éditions Estuaires, moyennant 45,- Euro à verser au CCPL IBAN LU90 1111 0047 4589 0000 de René Welter, L-3447 Dudelange.
2) v. mon article sur « L’envers du sable » de Serge Basso dans la Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek du 27.03.09.
3) « meurtrière » n’a ici bien entendu rien à voir avec « assassine », mais signifie plutôt archère, lucarne, petite fenêtre étroite. Encore que chez Jégou le double sens ne soit pas exclu, je m’en suis tenu à cet signification, même en faisant un petit clin d’oeil à Hitchcock (Fenêtre sur cour).
Giulio-Enrico Pisani
jeudi 23 juillet 2009
9 commentaires:
Je suis étonnée, sidérée même par cette faculté que vous avez, Giulio, d'être de plusieurs regards et toujours denses. Je sors à peine de votre livre qui interroge ce concept de migration, de votre article sur la guerre au moyen Orient et sur le paysage qu'elle laisse à Gaza et vous voici dans cette parole de poète(s) aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau (de l'océan)). Et chaque fois je pense que là est votre domaine mais non, je sais que votre plume a enfanté quelques polars à la langue savoureuse et des poèmes. Qui êtes-vous ?
Qui est vous? Voilà une question, Christiane, que je me pose depuis l'âge de raison sur tous mes amis, parents, collègues, correspondants et sur moi-même, sans jamais y trouver que des fragments de réponse. Chaque article que j'écris sur un écrivain (même le double sur Amin Maalouf, ou un livre entier, ma biographie de Charles Marx) que fait-il de plus qu'effleurer un infime fragment de ce qu'il est? Que savons-nous aujourd'hui d'Alain Jégou et de Nic Klecker? Ou de notre ami Jalel?
Nous ignorons presque tout les uns des autres et pourtant nous parvenons à nous comprendre ou à nous ignorer, à nous battre ou à nous entendre, à nous écarter les uns des autres ou à nous être proches... Merci, Christiane, de votre proximité.
cher Giulio, une fois de plus vous faites disparaître les frontières !
mais il est bon de se poser cette question comme face un paysage qui se transforme avec le temps. Qui sommes nous ? de mue en mue, on se croise, s'offre lumières et ombres, solitude et solidarité et attendons l'éblouissement éphémère et final du papillon.
ô cette fois c'est moi l'anonyme !
Nous lirons L'ECOUTE DU SILENCE de Nic Klecker et UNE MEURTRIERE DANS L'ETERNITE d'Alain Jégou.
Giulio-Enrico Pisani nous y guide magnifiquement et laissés là, sur le seuil, nous n'avons plus qu'à. Que Giulio en soit remercié.
Je dirai aussi que si Jalel El Gharbi "poétise dans les vastités", il "ne quitte pas (vraiment non plus) son jardin". Qui est partout et de partout.
Michèle
@ Michèle : Merci pour votre délicatesse.
Merci à vous, Michèle! C'est toujours un plaisir de voir un de mes articles faire mieux qu'emballer une laitue au marché d'Esch/Alzette ou de Luxembourg.
jE NE CONNAIS PAS NIC KLECKLER MAIS SA POESIE SEMBLE BIEN TOUCHANTE BIEN INTERESSANTE ET DONNE ENVIE D ALLER A LA DECOUVERTE. MERCI DE CETTE RENCONTRE;
@ Brigitte : Nic Klecker est aussi un excellent écrivain qui a consacré l'essentiel de son oeuvre à la célabration de son village natal Brandenbourg (Ardennes luxembourgeoises). Je vous conseillerais Les Crénaux du souvenir , Les Fissures du temps (que j'ai eu l'honneur de postfacer)publiés au Luxembourg
Bien à vous
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