vendredi 6 novembre 2009

حول محمود المسعدىEn relisant Messadi


En relisant Mahmoud Messadi

En pensant à Messadi, s’impose à moi l’incipit de son Sindbad ou la pureté[1] et surtout la première phrase.
كانت الليلة مأساة قلقا قلبا دويا يتصارخ فيها الدمار و الكيان وينبو كل شيء عن القرار كأن عدما يجهد إلى الوجود أو كأن حياة تجهد إلى فناء
Phrase d’une haute teneur poétique où les mots grondent. J'en tente ici une traduction approximative :
« La nuit était de drame, d’angoisse, de trouble et de vacarme ; l’être et l’anéantissement y criaient ; tout rebiffait à l’apaisement, comme si un néant s’employait à être, comme si une vie s’employait à disparaître » Cette phrase qui a comme écho toute la thématique de l’orage structurant La Naissance de l’oubli a toujours constitué pour le lecteur de Messadi que je suis le meilleur seuil pour entrer dans une œuvre à la langue admirable car Messadi est avant tout sa langue soutenue, raffinée et lumineuse. Ma phrase développe une allitération en [q] qui, à elle seule, dit l’orage dont il s’agit. Mais l’orage de Messadi est un prétexte pour l’allitération. Ce que dit la phrase, c’est la proximité entre son et sens. L’orage chez Messadi est un archétype de la naissance ou de l’extinction, envers et endroit d’une même réalité car chez l’auteur du Barrage, la parenté entre la chose et son contraire est érigée en étymon spirituel, pour reprendre ce vieux motif de la stylistique de Spitzer. Tout vient sans doute de cette proximité entre avènement et extinction, de cette proximité entre distance et proximité. Je décline ce thème de la parenté en une proximité entre Orient et Occident. Cette proximité se voit dans la culture de l’écrivain, une culture bilingue qui donne à ses œuvres des veines se rattachant aussi bien à Tawhidi qu’à Claudel. En cela, il ne faut pas se fier à ce que dit Messadi dans sa réponse à la lecture de Taha Hussein. Comme il le dit lui-même au début de sa réponse[2], une fois publiée, l’œuvre vit du souffle qu’elle insuffle au lecteur et qu’elle lui inspire. C’est pourquoi il ne faut pas se fier totalement à ce que dit Messadi de Messadi : il y a souvent un écart entre l’auteur, l’œuvre et la lecture que l’auteur fait de son œuvre. Il n’est pas malaisé de montrer qu’il y a moins de Céline dans l’œuvre de Messadi que de Camus (oui, bien que Messadi ait affirmé que Camus n’était pas l’auteur qu’il lisait le plus) et surtout qu’il y a moins d’Ibsen que de Claudel, surtout celui des Souliers de Satin. Je cherche à dire que si Taha Hussein avait lu Le Barrage en français il l’aurait compris dès la première lecture. Une étude comparative attend d’être faite qui montrerait que As Sod cache mal Le Barrage dans la première version, en français, que Messadi a écrite du As Sod. Malheureusement, d’aucuns ont estimé que cette version était inutile. Je ne ferai pas de leçon sur la critique génétique mais je dis tout simplement ceci : je ne suis pas sûr que les textes qu’on écarte d’un auteur ne présentent aucun intérêt.. D’autres rapprochements sont à oser : avec Ahmed Faris Alshidyaq, par exemple. Je parle du Alshidyaq réactualisant les maqamat[3]. Le propre des maqamat est d’accorder la toute première importance à la langue même. Tout est prétexte au dire. C’est au dire que le dire se destine. Si de nouvelles lectures de Messadi sont à espérer, c’est parce que ce que nous ressentons comme le signe même de la modernité est ressenti par la critique traditionnelle comme signe de décadence, cette prose assonnée (Messadi a soutenu une thèse sur ce thème, thèse rédigée en français).
L’œuvre de Messadi revoit la typologie des genres. Son théâtre n’est pas théâtral, son roman n’est pas romanesque. En cela, Messadi prolonge l’œuvre de Faris Alshidyaq et annonce le roman actuel où la part de la diégèse rétrécit comme peau de chagrin pour laisser pour laisser place à l’évocation autobiographique, à la note de lecture, au journal de voyage éclaté, à l’anecdote et à l’aphorisme. Il est heureux que la modernité rejoigne un type d’écriture que nous connaissons et dont Messadi est l’une des figures les plus illustres.
Aujourd’hui la question est de savoir comment le lire. La première tentation serait celle d’une critique « isolationniste » : Messadi est à nous (ou à moi dirait le critique attitré) et cela présente l’avantage de ne pas trahir notre ignorance. Ou alors ceci : Messadi n’était pas que Tunisien. Et son œuvre est traversée d’échos. Bien entendu mon propos ne s’adresse pas à qui croit que l’intertexte est honteux. Une telle approche montrerait que Sod a d’abord été Le Barrage et surtout que le texte écrit en français demandait à être réécrit en arabe.
J.E.G
[1] Œuvre complète, Tome I, p.329 Sud Editions
[2] Œuvre complète, Tome III, p. 51 Sud Editions
[3] Ahmed Faris Alshidyaq : Al Saq ala al saq... Dar Maktabat al-Hayat. Beyrouth d’après l’édition parisienne de 1855.

10 commentaires:

ART.ticuler a dit…

شكرا على هذه الالتفاتة لمن فتح لي يوما باب "الوجود" ..وأرجو أن عصا أعداء الوجود لم تنل منك حين اعتدوا على حرمة كلية الآداب بمنوبة وتطاولوا حتى على عميدها حسب وكالات الأخبار..
لقد تعلمت عن المسعدي وحدة الوجود ..ووحدة الذات ..

Anonyme a dit…

Bonjour,
Je cherche des livres, romans, essais qui traitent de la fraternité entre juifs et musulmans. Ceci pour illustrer un film documentaire "Le Blues de l'Orient" en effet je tiens une table de livres au cinéma de ma ville, j'ai pas mal de bouquins sur Israel et la Palestine, j'ai d'ailleurs le livre d'entretiens avec Marmourd Darwich que vous m'avez conseillé. Pourriez-vous me donner une ou deux pistes si vous avez le temps ?
Cordialement
Myriam

Jalel El Gharbi a dit…

@ ART.ticuler : merci de votre passage. Je me porte plutôt bien. Merci
@ Myriam : Difficile de répondre à brûle-pourpoint , mais je pense d'abord à La vie devant soi d'Emile Ajar, je pense à Albert Memmi, je pense à Gaspar Hons mais il y a tant d'autres.

Brigitte giraud a dit…

En décalé, Jalel, je rentre d'Alger, ville superbe, superbe !
j'ai acheté un livre de Djamal Amrani, au senti, et je trouve sa poésie très très intéressante, surtout dans ses écrits d'engagement. Qu'en pensez-vous ?
Bonne journée à vous, pour moi, le vent magnifique d'Alger m'a fait le cadeau d'une belle bronchite, ou bien est-ce la perspective du retour qui m'a fragilisée...

Jalel El Gharbi a dit…

@ Brigitte Giraud : Amrani est un grand poète. Ravi qu'Alger vous ait plu. Inscrivez d'autres villes maghrébines sur votre agenda maintenant.
Amicalement

christiane a dit…

Jalel, je connais plus la vie de ce grand homme et son action au service de la culture et de la liberté que son oeuvre. Toutefois je trouve en Pessoa (Le livre de l'intranquillité - 125), une prose habitée du même tourment. Comme vous aimez - et Messadi les aimait aussi - les liens entre orient et occident, voici une rumeur de mots très proche de son orage annonceur de l'oubli.
" Vos Argonautes, Seigneur, ont affronté monstres et terreurs. J'ai dû, moi aussi, au cours de ce voyage de ma pensée, affronter monstres et terreurs. Sur la route conduisant à l'abîme abstrait qui se trouve au fond des choses, il faut subir des horreurs que les profanes n'imaginent même pas, éprouver des peurs que l'expérience humaine ignore ; le cap suivi vers le lieu imprécis de l'océan commun est plus humain, peut-être, que le chemin abstrait qui mène jusqu'au néant du monde.
[...]
A mon tour, loin des chemins de moi-même, aveugle privé de la vision de la vie que j'aime, je suis parvenu enfin, moi aussi, au vide extrême des choses, au bord impondérable de la limite des êtres, à la porte sans lieu précis de l'abîme abstrait du Monde.
J'ai franchi, Seigneur, cette porte. J'ai erré, Seigneur, sur ces mers. J'ai contemplé, Seigneur, cet invisible abîme.
Je place cette oeuvre de Découverte suprême sous l'invocation de votre nom portugais, vous notre créateur d'Argonautes."
(Seigneur - argonautes : allusion à l'infant dom Henrique, dit "Henri le Navigateur", prince de la dynastie d'Avis, qui inaugura au XVe siècle les voyages devant aboutir aux "Grandes Découvertes". Ce parallèle symbolique entre les découvertes maritimes du Portugal et "l'odyssée" intellectuelle de Pessoa évoque son poème messianique "Message", publié en 1934, ou, peut-être la fin des "Aventures de Gordon Pym", de Poe, auteur que Pessoa connaissait fort bien.)
Dites-moi, cher Jalel, vous qui connaissait si bien son oeuvre si je fais un contresens.

christiane a dit…

connaissez, serait plus approprié !

Jalel El Gharbi a dit…

@ Chrisitiane : Je n'ai jamais envisagé de rapprocher Messadi et Pessoa mais l'extrait que vous proposez autorise un tel rappochement. Merci pour ce bel extrait.

Brigitte giraud a dit…

Jalel, je te décerne le AWESOME BLOGGER que j'ai reçu hier !!! tu vas sur mon blog et tu sauras comment faire si tu joues le jeu !
belle journée à toi§

Brigitte giraud a dit…

Jalel, je te décerne le AWESOME BLOGGER que j'ai reçu hier !!! tu vas sur mon blog et tu sauras comment faire si tu joues le jeu !
belle journée à toi§