dimanche 20 décembre 2009

المجاز قنطرة الحقيقة

تاج العروس
المجاز قنطرة الحقيقة
Al Majaz Qantarat al Haqiqa
La métaphore est le pont de la vérité.
Al majaz :
On traduit abusivement Majaz مجاز par métaphore. La métaphore est un cas de Majaz. Ainsi donc la traduction de Majaz par métaphore est de type synecdotique puisqu’elle traduit le tout par la partie. Le mot qui convient le mieux pour dire Majaz c’est trope. C’est-à-dire cas de figure où un mot change de sens. Selon Tabatiba’i الطباطبائي, il n’y a pas de frontière étanche entre majaz et sens propre, entre trope et sens propre puisque dans leur évolution sémantique les mots changent de catégorie. Et l’on passe quasi imperceptiblement du sens figuré au sens propre. On pourrait rendre Majaz par métaphore mais il convient alors de préciser qu’il s’agit d’une métonymie et d’avoir à l’esprit que métaphore vient de μεταφορά : transport. Aujourd’hui encore à Athènes on prend la métaphora (le bus). Comme le mot arabe « majaz » signifie « passage », « distance parcourue »…(en plus de « licence » dans toutes les acceptions du mot, y compris même la licence poétique).
Ainsi donc d’une rive à l’autre la figure semble promise à la distance, au chemin, au parcours.
Juste ceci encore : on peut dire en arabe « majaz an nahr » مجاز النهر: pont. Ainsi donc les mots de notre formule donnent l’un sur l’autre, s’égrènent, s’appellent. (Je pense à Mozart cherchant « les notes qui s’aiment »)
Qantara : pont.
On pourrait se demander ici pourquoi notre formule emploie Qantara et non pas Jisr. La réponse est que Qantara signifie exactement « pont en dur » alors que Jisr désigne toute forme de pont, de passerelle. Selon le lexicographe Morthadha Zoubaidi مرتضى الزبيدي (Belgram Inde 1732- Le Caire 1790), la formule est elle-même figure. C’est ce que l’on peut lire dans le Taj al Arous تاج العروس , article Majaz. Le mystère de cette métaphore de la métaphore, figure de la figure, trope au second degré s’explique par la référence à ce propos de Abdallah Ibn Ibrahim Ibn Hassan Al Housseini عبد الله ين ابراهيم بن حسن الحسيني affirmant que « la vérité est métaphore de la métaphore ». Zoubeidi procède donc de manière quasiment ludique pour dire que notre formule est juste. Zoubaidi
Haqiqa :
Vérité.
Sens propre par opposition à majaz. J’aimerais voir dans ce mot son volet « inconnu » voire « inconnaissable ». En tout cas cela qu’on cherche. Par tous les moyens, surtout par ceux qui ne sont pas ceux de la haqiqa.
La théologie musulmane s’est longuement penché sur cette opposition « majaz » / « haqiqa » c’est-à-dire l’opposition sens propre/ sens figuré qui recouvre une autre opposition : sens explicite/sens implicite. Et les exégètes musulmans sont obligés de reconnaître que l’opposition majaz / haqiqa ne recouvre pas l’opposition vrai/faux. Ainsi donc toutes les affirmations figurées du Coran sont vraies, toutes ses figures sont vraies, de la vérité de la métaphore. Plus encore : la métaphore est le pont de la vérité. La formule mystique est vite devenue formule théologique. Tout se passe comme si elle avait été lue de gauche à droite de sorte que c’est la vérité qui est devenue le pont de la métaphore الحقيقة قنطرة المجاز

4 commentaires:

christiane a dit…

Métaphore...métaphore... "Est-ce que j'ai une gueule..." de métaphore ? aurait dit Arletty à Louis Jouvet dans Hôtel du Nord !
Mon cher Jalel, je suis comme un poisson... pas dans l'eau... dans vos expertes métaphores ! Si la coexistance oxymorique et synecdotiqie vous enchante, cher poète, elle me plonge dans le paroxysme de la perplexité ! Je m'émerveille des poésies, c'est mon véritable voyage. De "comme" en "comme", je fais des ricochets sur les mots pour entendre le silence. Je lis et le bonheur sourit sur les escales innocentes de l'imagination. Mais je cale sur cet inaccessible ! Pour résumer : je n'ai pas compris grand chose à cette savante exploration de la langue... mais je sens que c'est très important !

giulio a dit…

Christiane a raison, cher Jalel. J'ai dû te relire deux fois pour comprendre ta pensée, réellement lumineuse, mais qui me rappelle un peu ces abstractions borgésiennes que décrit si bien la peintre bulgare (de Paris) Tana Chaney:

"En lisant les nouvelles de Borges, j’ai l’impression de traverser des ponts. Au début je me trouve sur un bord et à la fin je suis de l’autre côté. Je traverse des temps anciens, des temps futurs, des temps historiques, mythiques, des temps - fictions. Je traverse des vies et des instants de vérité et de révélation. Je traverse aussi des ponts irréels. Parfois, il faut passer sur un tel pont pour arriver dans un espace réel, un espace où nous sommes réels. Il vaut mieux ne jamais s’arrêter sur un pont irréel, car rien n’y existe vraiment, mais le pont existe pour être traversé"...

... Oui, mais par une élite. Mon problème, c'est que je ne parviens pas aller au bout des ponts de Borgès qui, réellement irréels, ne mènent au mieux qu'à leur propre fin, donc nulle part. Science pour la science, élégance pour l'légance, bauté pour la beauté, leur sublime légèreté d'être reste, je crains, fort éloignée de tout devenir.

P.S. C'est fou ce qu'il y a de toponymes, noms communs et noms propres (Alkantara, Alcantara...) dérivant de Qantara (un nouveau complément d'objet à ton "occirientiser"?)
.

Jalel El Gharbi a dit…

@ Christiane : Vous savez si bien approcher l'indicible/l'inconnaissable. Maintenez-vous à cette cime de la perplexité. C'est celle de l'émerveillement, celle de la vérité poétique, chère amie.
@ Giulio : Emparons-nous de ces toponymes dérivant de Qantara pour notre projet.
Amicalement

christiane a dit…

merci , Jalel.