samedi 5 juin 2010

Notre colère...

A la frontière du ghetto de Gaza
Notre colère et ses différentes expressions embrassent le monde"

par François Nicolas, compositeur, initiateur de l’appel Musiciens avec Gaza

Qu’est-ce que la raison politique invite à penser du crime d’État commis par Israël  ?La colère, et même la rage  : voilà le premier sentiment qui monte face à cet acte criminel de pure et simple piraterie  : attaquer des bateaux civils, en eaux internationales, et argumenter le meurtre en soutenant que les passagers auraient dû se laisser arraisonner  !Cette colère et cette rage qui ont jeté deux à trois milliers de Parisiens dans les rues le soir même, une dizaine de milliers sur toute la France, et qui, pour la première fois depuis bien longtemps, a fait reculer les rangs des policiers sur une centaine de mètres au cœur institutionnel de la capitale, en pleine rue Matignon  ; une manifestation qui déborde de son lit officiel, occupe les Champs-Élysées que la police voulait lui interdire, repousse les Robocop de Sarkozy  : la chose est inhabituelle. Que présage-t-elle  ? Et, par-delà les sentiments précédents, légitimes (l’impunité de l’État voyou d’Israël insupporte cette partie du monde qui ne se reconnaît pas en ce porte-avions colonial de l’Occident fiché en plein Proche-Orient), qu’est-ce que la raison politique nous invite à penser de ce nouveau crime d’État  ?D’abord, cet acte (prémédité ou bavure, on ne le saura une fois encore que bien plus tard) est une preuve de faiblesse de l’État d’Israël, non de force  : cet État est de plus en plus acculé dans une fuite en avant (suicidaire  ? C’est en tout cas ce que pensent ceux de ses amis qui ont lancé l’appel JCall) dont il maîtrise de plus en plus mal le calendrier. À preuve par exemple que la pierre qu’il avait levée contre l’Iran en matière d’armement nucléaire lui retombe déjà sur les pieds puisque les 189 pays signataires du traité de non-prolifération viennent de signer un appel à un Moyen-Orient libre de toute arme nucléaire et, ce faisant, à une dénucléarisation d’Israël. Ainsi Israël appelait la foudre contre l’Iran pour voir celle-ci lui revenir tel un boomerang.Concernant Gaza, ce nouveau ghetto qui suscite chez sa population les mêmes réactions que dans tout autre ghetto (à commencer par ces tunnels qui servaient déjà à Marek Edelman de voie de communication), Israël pratique le pire avec l’arrogance sans nom de qui se croit impunissable. Et l’idée même que des gens courageux puissent entrer à Gaza, les bras pleins de vivres et de médicaments, est prise par Israël comme une menace pour la sécurité de son État  ! Un État qui vacille et se met à baver pour la simple raison que la punition qu’il veut infliger à un peuple résistant risque d’être adoucie par quelque nouvelle Croix-Rouge est un État dont les bases s’effritent, un État qui ne sait plus trop sur quoi il repose.Ensuite, il faut remarquer la complicité éhontée non seulement de Sarkozy, ce grand corrupteur des esprits qui appelle chacun à normer sa vie sur l’appât du gain aux dépens de son voisin, mais de la grande majorité des médias français  : l’aventure de la flottille de la liberté était connue de longue date. Aucun journaliste français n’a semble-t-il jugé bon d’en être, chacun préférant s’installer à Ashdod en Israël pour couvrir la réception israélienne des bateaux  ! Et tous aujourd’hui de prôner le méprisable équilibre du juste milieu qui associe la « tristesse » devant ces morts « inutiles » (êtes-vous si sûrs qu’ils le soient  ? Il est pourtant des morts qui pèsent lourds, et ceux-ci à l’évidence en sont) à l’insinuation qu’il ne faudrait pas s’étonner d’être assassiné si l’on n’a pas peur des brigands  !
Il faut également saluer le grand courage de la Turquie et de ses ressortissants. Ce sont apparemment eux qui ont payé le plus lourd tribut à l’assaut israélien. Ce sont eux qui n’ont pas déguerpi devant les commandos israéliens et les ont affrontés avec les moyens du bord. Apparemment, l’armée israélienne n’avait pas prévu cela  : croyant pouvoir miser sur la peur de la peur, elle a dû faire face à une résistance pour elle inattendue, cette résistance qui, comme le clament les manifestations pro-palestiniennes, est « la voie de l’existence ». Quel contraste entre la grandeur de la Turquie et l’abaissement de la France  ! N’est-ce pas là d’ailleurs la vraie raison pour laquelle Sarkozy refuse que la Turquie entre dans l’Europe institutionnelle  ? La Turquie, sans doute, n’est pas assez convaincue des bienfaits de la servitude volontaire et risquerait de réactiver en Europe le ferment de l’émancipation politique. D’où a contrario que la rue ait crié ce lundi soir  : « Vive la Turquie aux côtés du peuple palestinien  ! »La fuite en avant d’Israël fait courir au monde un grand danger. Il nous faut surmonter la peur que ce comportement veut inspirer, rester sur le qui-vive, attentifs aux recompositions politiques en cours chez les Palestiniens et les Israéliens non sionistes, et assumer notre tâche propre  : soutenir qu’une France et une Europe politiquement émancipées constituent le meilleur contrepoids à la guerre qui vient. Il nous faut pour cela descendre dans la rue autant de fois qu’il le faudra. Écoutons ainsi les rues des grandes villes du monde entier ce lundi soir  : elles étaient animées des mêmes rages et résonnaient des mêmes slogans  ! Ainsi, le courage des militants embarqués sur la flottille nous procure la chance d’éprouver qu’il n’y a bien qu’un seul monde et que, partout, des gens se lèvent à nouveau ensemble. Notre colère et ses différentes expressions embrassent ce monde.
Le texte d'appel de François Nicolas, compositeur, initiateur de l'appel "Musiciens avec Gaza", a été publié dans Tribunes & Idées de L'Humanité :
www.entretemps.asso.fr/Nicolas;
http://www.egalite68.fr/

4 commentaires:

giulio a dit…

Oui, le fruit est pourri, comme l'était le Royaume de Jerusalem au XIIIe siècle. Sauf que la Rome washingtonienne et ses valets le tiennent à bout de bras et bien plus efficacement que la Rome papale et ses valets de l'époque.

Si tous les pays arabes envoyaient à Washington un ultimatum collectif: "rompons toute relation diplomatique et interrompons toute livraison de pétrole si vous ne faites pas de suite libérer totalement et sans reserves la Cisjordanie et Gaza", ils ne pourraient qu'obtempérer. Et le pétrole? Une réduction temporaire de la production ne ferait de mal à personne, et la Chine ne demanderait sans doute pas mieux que d'en prendre le surplus.
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Jalel El Gharbi a dit…

Cher Giulio,
Peut-être que la chance de la question palestinienne serait de cesser d'être une question arabe. On le voit avec l'entrée des Turcs sur la scène du Moyen-Orient.
Je continue à penser qu'il n'y a rien de bon à attendre des régimes non démocratiques. La force de la Turquie est d'être une démocratie.

amel a dit…

Oui, chers Jalel et Giulio : il est vain d'attendre quoi que ce soit des dictatures de toutes sortes. C'est patent. De plus une réfore constitutionnelle s'impose en Israël, car mes amis juifs pensent que "le pays est devenu ingouvernable". L'entrée en scène de la Turquie est sans doute la meilleure chose qui soit depuis longtemps.
Amitiés à tous deux.

Jalel El Gharbi a dit…

Chère Amel, l'entrée de la Turquie est une bénédiction. Je crois que nous le ressentons bien en Tunisie (parce que la présence des Turcs en Tunisie -surtout- n'a jamais ressemblé à une occupation. Il n'y a jamais eu de problème ethnique avec eux)
Oui, il y a des justes parmi les Juifs qui ne peuvent pas admettre le sort fait aux Palestiniens. Il faut qu'il y ait un changement en Israel. C'est pour le bien de tous.
Amicalement