Son engagement politique au sein du groupe Perspectives, vaut au militant Gilbert Naccache d’être arrêté en mars 1968 pour n’être libéré que onze ans plus tard. En prison, il écrit clandestinement « Cristal » (ainsi intitulé à cause du papier des paquets de cigarettes Cristal sur lequel il écrit).
Il a également publié « Le ciel est par-dessus le toit » (éditions du Cerf Paris) et « Dis qu’as-tu fait de ta jeunesse. Itinéraire d’un opposant au régime de Bourguiba. Suivi de récits de prison » (éditions du Cerf-Paris/Mots passants-Tunis)
Voici une page de son premier roman « Cristal » que je suis en train de relire avec la même émotion :
Lorsqu’en mars 1968, l’Université se met en grève pour demander la libération de l’étudiant Ben Jennet, la contestation s’étend très vite et dépasse le seul cas de notre camarade, la seule revendication des libertés publiques, la seule dénonciation de l’impérialisme… Dans le gigantesque (pour l’époque) coup de filet qui suit, la police découvre, en recourant systématiquement à la torture, l’existence d’organisations politiques, et surtout la nôtre, le Groupe d’Etudes et d’Action Socialiste Tunisien.
Dans le pays la main mise de l’Etat sur l’économie, la transformation autoritaire de l’agriculture au moyen de coopératives, la présence d’un parti unique s’accompagnaient d’une répression larvée, du refus de toute forme de contestation ou même de critique. A côté de cela, l’Université était restée un lieu de relative démocratie, comme une enclave libre au milieu d’un territoire occupé. Et cette université était par nature sensible aux courants d’idées qui traversaient alors le monde : la contestation des Universités américaines, les oppositions radicales en Hollande et en Allemagne, les débuts de remise en cause de l’état de fait en Europe de l’Est, et surtout, de manière plus consciente la Révolution Culturelle Chinoise, dont la littérature commençait à se répandre, par les soins de l’Ambassade de Chine, et par ceux de notre groupe.
Ce groupe, nous le dirigions en sentant que nous n’étions pas maîtres du rythme que nous imposait l’impatience des étudiants, leur refus de se laisser mettre au pas, de devenir des machines à applaudir, de cautionner la répression contre les couches populaires. Nous ne doutions pas que nous étions les véhicules d’un courant général qui allait continuer, après le Mai français, à entraîner la jeunesse dans le monde. Nous pensions tout simplement être porteurs d’idées révolutionnaires que avions mission de transmettre au peuple, mais, surtout à la classe ouvrière, qui déciderait de les appliquer, une fois convaincue.
C’est pourquoi, comme beaucoup de gens, nous avions été surpris par la violence de la réaction du pouvoir. Après une campagne de presse qui nous a paru folle, où certains n’avaient pas hésité à réclamer la peine de mort contre nous, nous sommes passés devant une Cour de Sûreté de l’Etat spécialement créée à notre intention. Et, à notre stupéfaction, on nous infligea des peines qui ,totalisées, car il y avait de nombreux chefs d’inculpation, atteignaient seize ans de prison pour Nourredine et pour moi, les autres n’étaient pas mal servis non plus. Cinq ans, sur ce total, pour avoir rappelé la théorie marxiste de l’Etat, et de la dictature du prolétariat, « complot contre la sûreté de l’Etat », alors que les classiques marxistes se vendaient librement en librairie !
Il a également publié « Le ciel est par-dessus le toit » (éditions du Cerf Paris) et « Dis qu’as-tu fait de ta jeunesse. Itinéraire d’un opposant au régime de Bourguiba. Suivi de récits de prison » (éditions du Cerf-Paris/Mots passants-Tunis)
Voici une page de son premier roman « Cristal » que je suis en train de relire avec la même émotion :
Lorsqu’en mars 1968, l’Université se met en grève pour demander la libération de l’étudiant Ben Jennet, la contestation s’étend très vite et dépasse le seul cas de notre camarade, la seule revendication des libertés publiques, la seule dénonciation de l’impérialisme… Dans le gigantesque (pour l’époque) coup de filet qui suit, la police découvre, en recourant systématiquement à la torture, l’existence d’organisations politiques, et surtout la nôtre, le Groupe d’Etudes et d’Action Socialiste Tunisien.
Dans le pays la main mise de l’Etat sur l’économie, la transformation autoritaire de l’agriculture au moyen de coopératives, la présence d’un parti unique s’accompagnaient d’une répression larvée, du refus de toute forme de contestation ou même de critique. A côté de cela, l’Université était restée un lieu de relative démocratie, comme une enclave libre au milieu d’un territoire occupé. Et cette université était par nature sensible aux courants d’idées qui traversaient alors le monde : la contestation des Universités américaines, les oppositions radicales en Hollande et en Allemagne, les débuts de remise en cause de l’état de fait en Europe de l’Est, et surtout, de manière plus consciente la Révolution Culturelle Chinoise, dont la littérature commençait à se répandre, par les soins de l’Ambassade de Chine, et par ceux de notre groupe.
Ce groupe, nous le dirigions en sentant que nous n’étions pas maîtres du rythme que nous imposait l’impatience des étudiants, leur refus de se laisser mettre au pas, de devenir des machines à applaudir, de cautionner la répression contre les couches populaires. Nous ne doutions pas que nous étions les véhicules d’un courant général qui allait continuer, après le Mai français, à entraîner la jeunesse dans le monde. Nous pensions tout simplement être porteurs d’idées révolutionnaires que avions mission de transmettre au peuple, mais, surtout à la classe ouvrière, qui déciderait de les appliquer, une fois convaincue.
C’est pourquoi, comme beaucoup de gens, nous avions été surpris par la violence de la réaction du pouvoir. Après une campagne de presse qui nous a paru folle, où certains n’avaient pas hésité à réclamer la peine de mort contre nous, nous sommes passés devant une Cour de Sûreté de l’Etat spécialement créée à notre intention. Et, à notre stupéfaction, on nous infligea des peines qui ,totalisées, car il y avait de nombreux chefs d’inculpation, atteignaient seize ans de prison pour Nourredine et pour moi, les autres n’étaient pas mal servis non plus. Cinq ans, sur ce total, pour avoir rappelé la théorie marxiste de l’Etat, et de la dictature du prolétariat, « complot contre la sûreté de l’Etat », alors que les classiques marxistes se vendaient librement en librairie !
4 commentaires:
Encore un écrivain de prison, cher Jalel! Après Abu Firas et Salah al Hamdani, François Villon, Théophile de Viau, Clément Marot, André Chénier, Apollinaire, Silvio Pellico, Mohamed Salah Fliss, Mohammed Al-Maghout, Abdellatif Laâbi, Gramsci, Taoufik Ben Brik, Diderot, Nazim Hikmet et les milliers d’autres! Pourquoi ne les réunirais-tu pas – enfin, au moins les poètes – en une anthologie universelle de la poésie carcérale? De la poésie qui emporte et élève l’esprit à travers et au-delà des murs et des barreaux, de la résignation à la subversion, de l’amour à la haine, de la soumission à la révolte, de la fraternité au mépris, de l’évasion à la patience… Et ne peut-elle être tout ça à la fois, la poésie carcérale ?
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Cher Giulio,
Voici un beau sujet de littérature comparée : Abu Firas, Villon et le Tasse (comment as-tu pu oublier ce grand poète).
Il y a des points communs à tous ces écrits : d'abord l'absence de ressentiment, d'argumentation (contrairement au "poème" que tu m'as envoyé par mail)
Autre poète à ajouter à cette liste Darwich (dont le poème le plus connu "Ma mère" a été écrit en prison")
Pourquoi ne ferais-tu pas cette anthologie ?
Amicalement
Darwich, Torquato Tasso et des milliers d'autres, oubliés? Certainement pas, cher Jalel. Mais comment les citer tous sur le pouce?
C'est vrai, je me suis trompé; il n'y a presque jamais de haine dans la littérature de prison et rarement de la revolte. Sommes-nous en présence des prémisses du syndrôme de Stockholm? Le comble fut atteint avc l'amitié du dramaturge Kotzebue pour le Tsar qui le fit déporter.
Une anthologie de la poésie carcérale, y inclus les synopsis qui s'en dégageraient serait une tâche monumentale que seul pourrait mener à bien un poétologue comme toi avec une équipe restant à former...
Quant à la faire, moi... il est vrai qu'une dose d'humour ne gâche rien.
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beaucoup appris
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