La question vient de Russie. C’est Tania qui la pose : à quoi sert la Littérature ? L’enjeu est immense : cela induirait donc que Gogol et Dostoïevski pourraient relever de la sphère de l’inutile. Cela voudrait donc dire que Maâri et Darwich pourraient être superflus. Pourtant la question n'est pas sans objet ni sans fondement. Elle est lancinante parce que quasiment métaphysique car elle porte sur le "pourquoi".
Les littéraires se posent souvent la question du « comment » et très peu celle du « pourquoi ». Pourtant, la raison des choses, c'est souvent la raison d'être du sujet. De la question de Tania, je dirais surtout qu’elle demande à ne pas avoir de réponse. Une de ces questions qui exigent d’être sauvegardées. Mais reposons-la tout de même. Pourquoi la littérature ? On sent de prime abord que la question exige une définition de la littérature, ou tout au moins de sa pratique, un réexamen des conditions de son enseignement.
Inutile ? Paraphrasons les propos du sage taoïste pour dire qu'elle sert à montrer « l'utilité de l'inutile » (Zhuangzi IVème siècle avant J.C) Cela ressemble à une boutade, mais imaginons un monde sans littérature…
La littérature : une infinité d'expériences, de textes qui concourent à dire que le monde a une autre doublure faite de significations toujours insoupçonnées, que le monde est moins insensé qu'il n'y paraît, que même s'il est un non- sens, il a du sens et que son sens peut même résider dans ce non sens. Pourtant nous savions très bien nihil novi sub sole et nous n’avons plus rien à apprendre sur l’essentiel : l’amour, la naissance et la mort. Et pourtant, grâce à la littérature nous faisons comme si, nous versons dans la métaphore du comme si et le monde en est plus habitable. En littérature la métaphore est plus réelle que la vérité, plus vraie. Et cela aide à vivre.
La littérature sert à cela : débusquer du sens même là où il n'y en a pas. Cela revient surtout à affirmer la primauté du Beau et donc « l’utilité de l’inutile » où l’ « inutile » n’est pas aussi inutile qu’il n’y paraît. L’« inutile »sert à montrer que l’esprit humain a des universaux que nous devons décrypter et c’est en cela que réside notre tâche. Dit autrement : longtemps nous avons enseigné la grammaire russe (Pour Tania), ou française (pour Anita qui m’a transmis le message de Tania), ou arabe comme si c’était la Grammaire ; longtemps nous avons enseigné la littérature russe, chinoise ou bulgare comme si c’était la Littérature ; longtemps nous avons enseigné le grec, le russe, l’arabe comme si c’était la Langue. Le moment est venu d’enseigner la Grammaire, la Littérature, la Langue dans une perspective comparatiste, une perspective qui fasse Com (cum)-paraître l’autre. Notre enseignement doit insinuer que l’autre n’est pas autre, qu’il revient au même. Aujourd’hui, cela ne constitue pas un luxe de la pensée parce que des hommes ont payé de leur vie et de la vie des autres l’idée que l’autre est irrémédiablement autre. Aucune école n’enseigne que l’identité est un devenir autre. Je ne suis pas ce que je suis mais ce que je cherche à être. Cela est aussi une des leçons, une des justifications de la littérature.
Ce sont des choses qu'on pourrait enseigner en philosophie, oui mais la littérature est la seule à offrir une infinité de voies aboutissant à cette vérité. La littérature est la seule à poser comme postulat la parenté entre distance et parenté. Chaque œuvre insinue que le monde n’est pas analysable en dichotomies nous/les autres. Chaque œuvre insinue que l’autre revient au même.
La littérature sert surtout à dire que chacun peut emprunter sa propre voie pour dire cela. En cela elle est irremplaçable. En cela elle est un humanisme. Elle assène que l'homme qui produit de si belles choses est une valeur.
Les littéraires se posent souvent la question du « comment » et très peu celle du « pourquoi ». Pourtant, la raison des choses, c'est souvent la raison d'être du sujet. De la question de Tania, je dirais surtout qu’elle demande à ne pas avoir de réponse. Une de ces questions qui exigent d’être sauvegardées. Mais reposons-la tout de même. Pourquoi la littérature ? On sent de prime abord que la question exige une définition de la littérature, ou tout au moins de sa pratique, un réexamen des conditions de son enseignement.
Inutile ? Paraphrasons les propos du sage taoïste pour dire qu'elle sert à montrer « l'utilité de l'inutile » (Zhuangzi IVème siècle avant J.C) Cela ressemble à une boutade, mais imaginons un monde sans littérature…
La littérature : une infinité d'expériences, de textes qui concourent à dire que le monde a une autre doublure faite de significations toujours insoupçonnées, que le monde est moins insensé qu'il n'y paraît, que même s'il est un non- sens, il a du sens et que son sens peut même résider dans ce non sens. Pourtant nous savions très bien nihil novi sub sole et nous n’avons plus rien à apprendre sur l’essentiel : l’amour, la naissance et la mort. Et pourtant, grâce à la littérature nous faisons comme si, nous versons dans la métaphore du comme si et le monde en est plus habitable. En littérature la métaphore est plus réelle que la vérité, plus vraie. Et cela aide à vivre.
La littérature sert à cela : débusquer du sens même là où il n'y en a pas. Cela revient surtout à affirmer la primauté du Beau et donc « l’utilité de l’inutile » où l’ « inutile » n’est pas aussi inutile qu’il n’y paraît. L’« inutile »sert à montrer que l’esprit humain a des universaux que nous devons décrypter et c’est en cela que réside notre tâche. Dit autrement : longtemps nous avons enseigné la grammaire russe (Pour Tania), ou française (pour Anita qui m’a transmis le message de Tania), ou arabe comme si c’était la Grammaire ; longtemps nous avons enseigné la littérature russe, chinoise ou bulgare comme si c’était la Littérature ; longtemps nous avons enseigné le grec, le russe, l’arabe comme si c’était la Langue. Le moment est venu d’enseigner la Grammaire, la Littérature, la Langue dans une perspective comparatiste, une perspective qui fasse Com (cum)-paraître l’autre. Notre enseignement doit insinuer que l’autre n’est pas autre, qu’il revient au même. Aujourd’hui, cela ne constitue pas un luxe de la pensée parce que des hommes ont payé de leur vie et de la vie des autres l’idée que l’autre est irrémédiablement autre. Aucune école n’enseigne que l’identité est un devenir autre. Je ne suis pas ce que je suis mais ce que je cherche à être. Cela est aussi une des leçons, une des justifications de la littérature.
Ce sont des choses qu'on pourrait enseigner en philosophie, oui mais la littérature est la seule à offrir une infinité de voies aboutissant à cette vérité. La littérature est la seule à poser comme postulat la parenté entre distance et parenté. Chaque œuvre insinue que le monde n’est pas analysable en dichotomies nous/les autres. Chaque œuvre insinue que l’autre revient au même.
La littérature sert surtout à dire que chacun peut emprunter sa propre voie pour dire cela. En cela elle est irremplaçable. En cela elle est un humanisme. Elle assène que l'homme qui produit de si belles choses est une valeur.
9 commentaires:
Oui, Jalel, l'inutile de l'inutile...ou l'utile de l'inutile...
Merci,
SD
Bonsoir Jalel El Gharbi, merci d'avoir posé une telle question.
Je voudrais commenter à partir de ma lecture personnelle de J.-P. Sartre qui a affirmé dans Qu'est-ce que la littérature: "Il n'y a d'art que pour et par autrui", ceci dit, personne n'écrit, ne peint, ne sculpte, ne dessine, ne griffonne pour lui-même, de facto, pour rien.
Quand on produit une image quelconque c'est un certain écho qu'on recherche à entendre, une réflexion, une ombre(imago), un revers du réel. Le monologue intérieur par exemple, marque ce dédoublement nécessaire à/dans la création littéraire. Quelle valeur pourrait-on relever des blancs laissés à bon escient aux lecteurs si ce n'est l'expression d'un langage elliptique traduisant plus le besoin de dire, de raconter, de communiquer ses pensées que de les omettre?
L'écrivain a toujours quelque chose à faire passer à travers la littérature, comme si, son devoir consiste à se méta-morphoser, faire subir au monde réel une ana-morphose par le recours à la méta-phore, pour répondre justement à la question méta-physique en question ou "Pourquoi la littérature?". Le don, un objet de création et une conscience à faire appel à celles des lecteurs constituent les outils que doit avoir en main un écrivain. Sa littérature fait preuve de générosité et cette gratuité qui la caractérise est perçue, chez la masse, comme nullement inutile.
Dans une société où le pouvoir conservateur prend le dessus, l'activité de l'écrivain est inutile voire nuisible puisqu'elle remet en question toutes les valeurs qui fixent les fondements du système, or les forces conservatrices se nourrissent de la hiérarchie des classes sociales, celles-là doivent donc démolir toute forme de révolte qu'elle soit rebelle, autocritique, contestataire, progressiste, anarchiste... à l'instar de la littérature négative. Par ailleurs, la censure incarne cette réalité: c'est lorsqu'elle devient visible et même promulguée que les tares d'une société faible en matière de liberté, de citoyenneté et de démocratie se démasquent. C'est ainsi qu'au fond d'une image psychologique représentée par l'écrivain français du XVIIème siècle qu'il existe une valeur libératrice, celle de rendre cette image insupportable au lecteur censeur.
En définitive et toujours citant Sartre, "écrire, confirme-t-il, c'est recourir à la conscience d'autrui pour se faire reconnaitre comme essentiel à la totalité de l'être", dire alors que c'est inutile d'écrire ou se convaincre de l'inutilité de la littérature incite à croire en une idée impensable, voire inhumaine car elle impose indéniablement le refus de l'autre, par conséquent, le dénigrement catégorique de soi par le fait de tuer la communication, ou, ce que nomme le penseur et poète syrien Adonis " le grand silence". Je rejoins finalement, Jalel, votre idée sur la littéraire en tant que domaine d'exercice sine qua non de liberté dont la valeur capitale demeure l'Humain.
@ SD: merci de votre passage.
@ Yasmenina: Sartre ne concevait pas de littérature en dehors de l'engagement. Ce qui me semble essentiel chez lui, c'est cette jonction entre l'ontologique et le politique que permet la notion de responsabilité.
Cette jonction est le point fort de la pensée sartrienne en l'occurrence, et elle est aussi son point faible : pensant la littérature Sartre ne répondait pas à la question de la Littérarité en venant à confondre écrivain et écrits pourtant "qu'est-ce que la littérature ?" est une question sartrienne. Après Sartre, c'est la question de la littérarité qui occupa les esprits. La question fût longuement débattue.
Dans les sociétés répressives, on dénie à la littérature, à l'art d'une manière générale son statut de VALEUR. Nous vivons dans un monde où l'ETRE est de moins en moins la valeur suprême. Vous me diriez qu'il en a toujours été ainsi. Peut-être mais jamais de manière aussi arrogante. (je parle de l'être mais vous pouvez entendre "sujet " dans tous les sens du mot)
A quoi bon la littérature ? On peut se poser la question, on doit se poser la question d'abord parce que toutes les questions doivent être posées et enfin pour affirmer que la littérature est une VALEUR.
A quoi bon la littérature ? Elle sert la littérature et affirme l'humanité de l'homme
Merci de votre commentaire
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@ YasMenina : Tout à fait d’accord avec Jalel et aussi avec vous sur l’utilité de la littérature, moins cependant pour ce qui est d’invoquer en exemple l’esprit de Sartre qui a affirmé dans Qu'est-ce que la littérature: "Il n'y a d'art que pour et par autrui" et "Écrire, c'est recourir à la conscience d'autrui pour se faire reconnaître comme essentiel à la totalité de l'être", mais qui a aussi écrit, en élargissant le «Famille je vous hais» de cet autre grand écrivain que fut Gide, «L’enfer, c’est les autres».
Il est vrai que la plupart de écrivains écrivent pour autrui, mais ceci non par altruisme, – d’accord, ça arrive – mais souvent par pur égocentrisme, c'est-à-dire qu’ils ne tolèrent les autres qu’en tant que faire-valoir sans lesquels ils savent ne pas exister. À par ça "noli me tangere" ou "vade retro Satana".
Je pense que, hélas, la majorité des écrivains sont des « autogobistes » imbus d’eux-mêmes et qu’il ne faut confondre dans la valeur spirituelle écrivain et littérature. La littérature est une valeur en soi, valeur éminemment collective à laquelle participent sans doute tous ceux qui la forgent, mais aussi ceux qui l’étudient, l’analysent, aident à la transmettre, ainsi que ceux qui, tout simplement, s’en abreuvent, la lisent, s’en réjouissent en toute simplicité ou la transforment en réflexion. Ainsi que je l’ai souvent dit, et bien d’autres sans doute avant moi qui n’ai jamais rien inventé mais inconsciemment beaucoup capté, le poète c’est tout autant celui qui lit que celui qui a écrit le poème. En fait, je pense que la littérature, comme l’art, les mathématiques ou les sciences, transcende ses adeptes, apôtres et disciples, les individus donc qui se réclament d’elle.
Tout comme dans une équipe de football (à l’exception de celle de France 2008-2010 bien sûr) l’ensemble de ses joueurs vaut bien plus que la simple addition de leurs talents, dans un laboratoire l’équipe produit davantage que ne le peut chacun de ses chercheurs isolés, la famille, l’association, la nation, même raisonnement, la littérature est bien plus que la somme de tous les écrivains qui la produisent. Elle corrige et bonifie, peut pardonner, justifier et réhabiliter en replaçant dans leur contexte historique les médiocrités, les contradictions, les fautes, les violences, comme les aberrations de ses compositeurs, adeptes et interprètes.
Bien sûr, cruelle est souveraine, elle peut aussi les perdre en chemin, les oublier, comme tels auteurs des temps passés dont certains mots, certains raisonnements, parfois des œuvres entières font tout naturellement partie du patrimoine littéraire humain, mais dont ne subsiste des auteurs que le nom « Anonyme ». Ici plus encore qu’ailleurs faudrait-il appliquer la devise de la Fédération internationale des échecs : «Gens una sumus» et ce, malgré tout ce qui nous divise et sépare, malgré nos egos surdimensionnés, malgré nos illusions altruistes, car, seuls, nous ne sommes pratiquement rien, lorsque partie du monde littéraire, nous pouvons peut-être faire bouger quelque chose et que, quitte à entrer dans l’anonymat, il restera toujours quelque chose de nous, du moins tant que l’humanité vivra. Contester l’utilité de la littérature reviendrait à douter de la nécessité de l’humanité. Il est vrai que mesurée à l’univers tout entier notre minusculité peut paraître elle-même superflue, mais à l’aune humaine la littérature, la philosophie et les arts sont non seulement utiles, mais indispensables pour nous comprendre et comprendre, comme dit Jalel, «que l’autre n’est pas autre, qu’il revient au même».(*)
(*) splendide proposition, que Jalel m’a d’ailleurs glissé il y a une bonne semaine dans un texte de concours. S’en est-il seulement rendu compte lui-même ? Et pour ceci comme pour bien d’autres inspirations par le passé, je tiens à lui en témoigner publiquement ma reconnaissance : hommage rendu à la source par le passant qu’elle désaltère.
Cher Giulio,
Moi aussi j'ai souvent fait mon miel de tes réflexions. Et aijourd'hui, je continue : "la littérature est bien plus que la somme de tous les écrivains qui la produisent.", elle est bien plus que la somme des littératures du monde ce qui veut dire qu'il y a en littérature quelque chose qui transcende la littérature.
Amicalement
La philosophie ne verse-t-elle pas aussi dans la métaphore pour nous aider à vivre ? Et les religions n’excellent-t-elles pas dans la métaphore pour rendre notre monde plus habitable ou nous donner l’illusion que…? Mais ni l’une ni l’autre ne nous fait rêver, du moins pour la plupart d’entre nous. En tout cas, je remarque que Dieu ne dicte plus rien depuis des siècles. La littérature, elle, nous fait encore rêver ! Un autre monde habillé de lumière se superpose à notre monde austère dés que les mots sont alignés et, par le miracle du style,deviennent des lucioles. .. « Et la métaphore est plus réelle que la vérité, plus vraie. Et cela aide à vivre ». Dans dix millions d’années il y aura encore la littérature pour instruire les hommes et les entrainer au-delà d’eux même.Sa fonction la rend indispensable. Quand au reste, Dieu seul le sait !
@ Jalel : sorry de venir ici hors propos. J'ai des problèmes avec ma mailbox.
Mauro Rea est un peintre exceptionnel et ses tableaux montrés sur http://activitaly.it/mauro_rea/ extraordinaires.
Mais ce n'est pas toujours le cas. certains de ses tableaux (dans opere sur son site perso) sont très moyens, au point que j'ai dû vérifier sa bio pour m'assurer qu'il s'agissait du même artiste.
Quoiqu'il en soit, si tu remontes (ou descends) un jour ton cher Liri, l'atelier doit valoir le détour.
@ Halagu : c'est justement parce qu'elle n'est pas métaphorique que la philosophie ne nous fait pas rêver. Pourquoi ne l'est-elle pas ? Tout simplement parce que poésie et philosophie n'attribuent pas la même signification à "comme". "comme" signifie "en tant que" en philosophie et en poésie "tel". la philosophie pense le monde ; et la poésie pense au monde.
Pour la religion, peut-être que tous nos malheurs viennent de ce que "nous" entendons les textes littéralement et non pas métaphoriquement.
Pour le reste, entièrement d'accord avec vous
@ Giulio : Merci infiniment. Mauro Rea s'est montré très amical et je ne manquerai pas d'aller le saluer dans son atelier à Sora, sur les rives de ce cher Liri.
Amicalement
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