mercredi 26 janvier 2011

Tunisie : dis-moi, l'intellectuel ! C'est quoi une révolution.

Notre ami l'écrivain Giulio-Enrico Pisani pubie dans le Zeitung Vum Lëtzebuerger cet article :
Comment n’aurais-je pas été profondément choqué par l’évidente blessure – une parmi tant d’autres – infligée par certains membres de l’autoproclamée intelligentsia européenne en général et française en particulier, au merveilleux sursaut révolutionnaire en Tunisie : celui de son peuple et, surtout, de sa jeunesse ? Mais quelle blessure ? J’y viens et – une fois n’est pas coutume – je n’en veux même pas plus que ça à la connerie de certains politiciens de bas étage qui encombrent l’avant-scène internationale et dont le silence tonitruant est le plus brillant des diplômes es veulerie. On a l’habitude. Et, de toute façon, ils sont désapprouvés par l’écrasante majorité des citoyens européens et français.(1) Cette fois je tiens surtout à dénoncer la lâcheté de ceux qui se considèrent plus ou moins comme l’élite pensante, le sel de la terre, ces intellectuels au sujet desquels nous interpelle un blogueur tunisien plus attristé qu’outré :
« Peut-on appeler révolution ce qui se passe en Tunisie ? Pourquoi en Europe il y a t-il des intellectuels qui refusent cette appellation et disent que ce n’est pas une révolution, mais une révolte, de simples émeutes...? »
Je vous dirai ma réponse, amis tunisiens, mais permettez-moi d’abord une brève digression sur ces fameux intellectuels ! « Nés » à l’époque du « J’accuse » de Zola, lors de l’affaire Dreyfus, en tant que force de remise en question sinon d’opposition aux pouvoirs établis, ils sombrent peu à peu à leur tour, depuis une quarantaine d’années, dans le convenu et le « convenable », le mainstream et le présentable mondain. Naguère marxistes, trotskistes, libertaires, anarchistes, communistes révolutionnaires, maoïstes et que sais-je encore, tous ces universitaires exaltés auxquels leurs parents bourgeois réactionnaires payaient souvent de confortables prébendes, n’ont pas hésité à jeter le bébé avec l’eau du bain pour retrouver la sécurité bourgeoise et la pensée convenue. C’est-à-dire qu’en même temps que du côté brouillon de leur agitation, ils se sont débarrassés de sa générosité, pour rejoindre le confort de leur classe et le chacun pour soi des bobos(2) bien-pensants.
Effectivement, avant les évènements qui ont bouleversé la Tunisie, sur son ignoble dictature, c’était motus et bouche cousue. Quelques ONG mises à part, quelques journalistes en marge des grands médias, rien qui puisse inquiéter le couple Ben Ali. Et le droit d’ingérence cher à Kouchner ? Oh, pas vis-à-vis de politiciens amis, comme Ben Ali, Bouteflika ou autres Moubarak. Les droits de l’homme en Tunisie ? « Ne brusquons rien ». « Tout cela finira par s’arranger ». « N’imposons pas notre idée d’une démocratie à l’occidentale ». « Il y a pire que Ben Ali ». Et caetera et caetera. Et quand ce n’était pas l’opportunisme, la veulerie, c’était au mieux le silence du grand bleu... blanc rouge et, au pire, une abjecte insulte au peuple tunisien qui a osé suivre la voie chantée par la Marseillaise.
Lorsque ce peuple courageux s’est enfin soulevé contre la dictature, après avoir longtemps inutilement scruté l’horizon démocratique européen et français à la recherche d’appuis politiques, au lieu de l’encourager, les autorités sarkoziennes proposent de l’amener à la raison, grâce à l’expérience de leurs forces de police spéciales. Mais tous connaissent aujourd’hui ces propos infâmes, les ont critiqués et commentés. Ce n’est pas la peine d’y revenir. Par contre, l’indifférence des intellectuels est autrement plus inquiétante pour l’âme de la jeunesse tunisienne. Elle n’a pas besoin d’eux, direz-vous ! C’est vrai qu’elle ne les a pas attendus. Heureusement. Mais il n’y a pas que ça. Je citais tantôt la Marseillaise ; mais c’est en fait tout un héritage culturel révolutionnaire et contestataire européen et français qui a inspiré les étudiants tunisiens et maghrébins.
Il ne s’agit pas que de 1789, 1848, 1871, de la Résistance ou de mai 68. C’est aussi Babeuf, Saint-Simon, Hugo, Vallès, Zola, Jaurès et j’en passe. Les luttes sont celles de chaque peuple particulier, mais les idées sont à tous. Les idées se renouvellent, évoluent ; de nouveaux penseurs les proclament et les transmettent. Mais qu’en est-il aujourd’hui des brillants soixante-huitards, comme le révolutionnaire l’ancien maoïste André Glucksmann, comme l’élève de Derrida et d’Althusser Bernard-Henri Lévy, ou comme l’adhérent de l’Union des étudiants communistes que fut Bernard Kouchner et tant d’autres ? Ne nous reste-t-il plus qu’à nous demander comme naguère Pete Seeger : « Que sont devenus les gars du temps qui passe ? / Que sont devenus les gars du temps passé » ?(3)
Jacques Dion non plus (4) n’est pas tendre dans Marianne pour ces intellectuels, que le PCF et la plupart des ouvriers avaient déjà démasqués en 1968. « Il y a des gens qui font profession d’indignation permanente, », écrit-il ; « des acharnés de la pétition, prêts à se mobiliser pour la moindre cause ; des professeurs de morale sans frontières ; des esthètes intransigeants de la cause humanitaire, surtout quand l’objet de leur courroux est géographiquement éloigné de l’hexagone. Or personne ne les entend à propos de ce pays très proche qu’est la Tunisie, ce pays francophone où un dictateur sénile agonise sous nos yeux, emporté par un peuple qui refuse de se coucher ».
Mais il y a eu heureusement quelques exceptions. En 2009, Daniel Cohn-Bendit fut de ceux qui dénoncèrent l’indifférence du gouvernement français face aux violations des droits de l’homme en Tunisie. Et, toujours en 2009, Nicolas Beau et Catherine Graciet publiaient aux Editions La Découverte « La régente de Carthage », où (je cite l’éditeur) « dans une atmosphère de fin de règne, la Tunisie du général président Zine el-Abidine Ben Ali a vu son épouse, Leila Trabelsi, jouer depuis plusieurs années un rôle déterminant dans la gestion du pays. Main basse sur la Tunisie : telle semble être l’obsession du clan familial de la « présidente », comme le relatent en détail les auteurs de ce livre, informés aux meilleures sources et peu avares en révélations. Du yacht volé à un grand banquier français par le neveu de Leila à la tentative de mainmise sur les secteurs clés de l’économie, les affaires de la famille Trabelsi se multiplient sur fond de corruption, de pillage et de médiocrité intellectuelle ».
Que le livre ait été interdit en Tunisie n’étonne personne ; qu’il ait révélé la surdité (pardon, malentendance) et la cécité (pardon, malvoyance) de la plupart des politiques est intéressant, mais qu’il ait été passé sous silence par les principaux intellectuels et par les médias autoproclamés « libres », est un comble. Décidemment, ni l’Europe ni la France, ces grandes donneuses de leçon urbi et orbi en « droits de l’homme », ne sortiront grandies de cette page d’histoire, même si elle est encore loin d’avoir été tournée. Car le peuple tunisien n’est pas dupe et comprend suffisamment qu’une révolution aboutissant à un cocktail Ghannouchi façon Kerenski n’en est pas une.
Alors, voilà ce que je réponds au blogueur choqué cité plus haut : « Ceux qui traitent ces remarquables semaines d’histoire tunisienne et humaine de simples émeutes, soulèvements ou révoltes populaires, sont des imbéciles. Mais il faut aussi considérer qu’une vraie révolution constitue par définition même un changement sociétal complet. Vous n’en êtes hélas pas encore là, amis tunisiens. Ce n’est qu’après coup, que l’on pourra juger s’il s’agit d’une révolution ou d’une tentative de révolution, pouvant avoir été étouffée dans le sang, soit implosée dans ses contradictions, soit récupérée par les forces réactionnaires moyennant quelques concessions. N’oubliez jamais que, si la démocratie peut vous paraître le nec plus ultra après 22 ans de dictature, elle n’est pas une fin en soi. Elle ne doit être qu’un moyen de garantir les libertés fondamentales et la justice sociale. Atteindre la démocratie est remarquable, mais ce n’est encore que la moitié du chemin ».
Et ce chemin est très long, plein d’embûches, de remises en cause rechutes. Voyez donc l’histoire de cette pauvre Europe depuis la révolution française. Rien n’est jamais acquis. Après avoir su éviter les récupérations pourries genre Directoire, il faut encore éviter de plonger dans les bras de nouveaux Napoléons, lorsque d’autre part, une radicalisation de la « révolution de jasmin » vers une véritable justice sociale risque d’appeler sur scène l’OTAN et les USA. Les États-Unis auraient en effet déjà fait pression pour que les communistes ne soient pas invités à participer au gouvernement provisoire et verraient d’un mauvais oeil un gouvernement trop progressiste remplacer la clique précédente.

*** 1) Démonstration dans « Mots Croisés » sur Télé France 2, où Henri Guaino, (conseiller spécial de Nicolas Sarkozy) a été durement pris à parti par Laurent Fabius, Cécile Duflot (Verts), François Lenglet (La Tribune), Radhia Nasraoui (Avocate, militante des Droits de l’Homme tunisienne) et même Laurence Parisot (Présidente du MEDEF).
2) bobos : contraction de « bourgeois bohèmes », proche du concept de « gauche caviar ».
3) tiré de la version française de « Where have all the flowers gone ? » de 1956 reprise plus tard par plusieurs chanteurs français sous le titre « Que sont devenues les fleurs ? ».
4) www. marianne2. fr/ Tuni sie-les-intellectuels-ne-pipent-mot_a201655.html

Giulio-Enrico Pisani

21 commentaires:

Anonyme a dit…

Tunisiens, où est l’islamisme ?
Par DANIEL SCHNEIDERMANN

On les aime bien, les Tunisiens, on les adore, plus que jamais, on ne les a jamais tant aimés, mais franchement, ils ont exagéré. Imaginez ! D’abord, ils ont osé surprendre dans son confort la classe politique française. La droite (qui la veille encore proposait aimablement ses canons à eau à Ben Ali) aussi bien que la gauche (qui a découvert, quelle surprise, que le parti de Ben Ali était encore membre de l’Internationale socialiste). Et ce n’est pas tout.

Dans la même foulée, ils ont pris à contre-pied les télés, et leurs envoyés spéciaux, qui ont majestueusement attendu une bonne dizaine de jours, avant de s’aviser que peut-être, quelque chose était en train de se passer en Tunisie. Le pire, c’est le bon tour joué aux experts en poussées islamistes. Amis Tunisiens, où avez-vous donc rangé l’islamisme ? Tout de même, ils auraient pu aligner, en tête des manifs, quelques barbus photogéniques, pour faire plaisir à Sarkozy et Pujadas qui, d’une seule voix, avaient classé Ben Ali à l’inventaire mondial des «remparts contre l’islamisme». On n’en demandait pas beaucoup, deux ou trois, même avec barbe fine, mais si possible en costume typique, pour la photo.

Elle fait peine à voir, la déception à peine dissimulée des présentateurs, depuis le début des «événements». Car voilà : ce que viennent de faire les Tunisiens, c’est ni plus ni moins chambouler d’immémoriales représentations du JT, et donc aussi un peu les nôtres, Français. Au JT, la «rue arabe» est forcément fanatisée, Et soudain, d’une révolution arabe, émergent des mots d’ordre tout droit surgis des révolutions européennes et des Lumières, avec, croyait-on, copyright occidental exclusif : liberté, dignité, justice, débat pluraliste, et démocratie.

Et que voit-on ? Pendant que les présentateurs français tremblent encore de voir «des islamistes» entrer au gouvernement tunisien, c’est… un blogueur, qui y déboule, un blogueur facétieux et plein d’humour, Slim404 (ainsi baptisé en raison de la phrase «erreur 404» qui s’affichait, sous Ben Ali, à la place des sites censurés par le pouvoir). Slim404, donc, alias Slim Amamou, secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, twitta, minute par minute, le premier Conseil des ministres.

Ce fut une après-midi sans précédent. On était autour de la table du Conseil avec les ministres du gouvernement provisoire, les nouveaux et les autres. «C’est jouissif d’entendre le ministre de la Justice lire le mandat d’arrêt commençant par le nom de Ben Ali», twittait la petite souris Slim404. Ou encore cet aveu déchirant : «Les fonctionnaires du ministère ne veulent pas du gouvernement, y compris moi.» Ou cette adresse à ses anciens copains de manifs : «Si j’ai bien compris le ministre de l’Economie, jusqu’à maintenant nous avons perdu 3 % du PIB à cause de vos conneries.» Et notre préféré, dans sa sobriété solennelle : «Le ministre de la Défense nous assure que les frontières sont bien gardées.»

En quelques heures et quelques twits, Slim404 avait dédramatisé la révolution, rendu ses droits à la légèreté au cœur d’un moment d’histoire, esquissé ce que pourrait être un contrôle citoyen sur un gouvernement, et tranquillement réinventé la fonction de porte- parole du gouvernement. Excusez du peu ! Sans doute - peut-être - ses collègues ministres vont-ils lui confisquer son jouet lors des prochaines réunions. On souhaite vivement qu’il résiste à la pression. Ce sera un test.

N’empêche. L’espace de quelques heures, c’est non seulement l’ancien régime Ben Ali, mais toute la solennité française, les comptes rendus de Conseil des ministres coincés dans les dorures, la langue de bois des communiqués, le benalisme courtisan qui gangrène les âmes, qui prennent mille ans d’un coup. C’est beaucoup. Ah non, Tunisiens, la France éternelle ne vous dit pas merci.

giulio a dit…

Cher Anonyme ou Daniel Schneidermann, merci de m'avoir fait découvrir l'auteur de "Préface de Crise au Sarkozistan" et merci de nous faire découvrir cet intéressant personnage qu'est Slim Amamou, alias Slim404, mais aussi de me confirmer q'un combat intellligent ne se mène pas seulement dans la rue, les campus, la presse ou les élections, mais aussi dans l'action clandestine. Tout au plus peut-on regretter que cette géniale taupe n'ait pas attendu la fin de la révolution avant de sortir son museau de la clandestinité et qu'il ne se méfie pas assez de cette maladie collatérale des révolutions qu'est la directoirokerenskite.

Anonyme a dit…

Il s'agit d'un article écrit dans "Arrêt sur images" par D.S,je l'ai trouvé susceptible d'intéresser les lecteurs de ce blog qui, parfois comme moi, ne laissent pas de commentaires précis, mais sont fort intéressés par ce ( et ceux!...) qui s'y exprime ( expriment...)

Mahdia a dit…

Dis-moi peuple tunisien! Dites-moi cités glorieuses de Tunisie dont le sang des martyrs d'hier et d'aujourd'hui a majestueusement empreint vos murs et vos pas!
Quel Kaftan dois-je mettre pour célébrer votre grandeur : le rouge frappé de l'étoile, ou le vert des cœurs de vos enfants, ou le blanc de l'innocence de votre élan révolutionnaire?
Quel Taj dois-je porter pour m'enorgueillir de votre gloire : celui en or de votre bravoure, ou celui en perles de vos valeurs, ou celui incrusté d'amour pour votre patrie?
Dis-moi la Tunisie! C'est quoi un homme libre ? Apprends-moi La TUNISIE Comment Devenir Libre !

gmc a dit…

madhia,
un homme libre, selon les critères contemporains, croit en la liberté, boit du coca et mange des mcdo, pax americana rules^^

http://www.youtube.com/watch?v=RYd4b3du3_g

"..Wir bilden einen lieben Reigen,
die Freiheit spielt auf allen Geigen.."

gmc a dit…

une chanson de la lucidité^^

http://www.youtube.com/watch?v=Da5iA0_MriQ

Jalel El Gharbi a dit…

Cher GMC : Nous savons que les USA nous ont soutenu comme ils l'ont fait pendant la colonisation.
Nous n'avons jamais eu de contentieux avec les USA.
Dommage que la France de Sarkozy ait choisi le camp de Ben Ali jusqu'à la dernière minute

chenot a dit…

vous savez, jalel, ça fait déjà un bail que la france est un faubourg des usa, tout comme l'allemagne et autres.
les états-nations, c'est un peu dépassé maintenant, tout comme un jour ont disparu les cités-états. c'est l'heure des conglomérats et des cartels.
c'est un peu le monde de "brazil" (terry gillam, 1985) qui est en train de naître, si vous connaissez ce film; en tout cas, c'est à celà qu'il faut s'attendre dans un futur quasi immédiat.

gmc a dit…

lol, c'est amusant comme le clavier a sauté^^, dsl

Mahdia a dit…

GMC,
Croire en la liberté est une chose, et être "véritablement" libre en est une autre.

Un homme libre , selon les maîtres à penser dans l'art de la liberté - ceux-là mêmes qui après avoir affranchi les leurs des oppressions les plus diverses, sont venus à fabriquer du coca et, par abus de liberté pourtant, ceux qui l'ont goûté en sont devenus dépendants - Liberté! Liberté! quand tu viens à opprimer avec ton coca !-, est un homme libre dans une communauté libre.

"La démocratie", écrit cet excellent défenseur de la liberté qui a payé de sa vie l'abolition de l'esclavage, Abraham Lincoln,"c'est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple"; et, c'est ce que les tunisiens ont bien compris, je pense, en se soulevant le 14 janvier 2011 contre le pouvoir de Ben Ali.

Si, comme l'a si bien dit MR. El Gharbi dans un article publié dans L'Orient-Le Jour: "Les tunisiens ont incarné (avec leur Révolution) le "Yes We Can" d'Obama", c'est parce qu'ils ont aussi embrassé, depuis un quart de siècle au moins, le "I Have A Dream" de l'ancêtre d'Obama, Martin Luther King (que le 13e amendement de la constitution signé par lincoln, et qui devait le libérer, a fait encore du chemin avant de se réaliser pleinement au profit de tout le peuple américain).

Et un peuple qui a rendu vivant le souffle d'un sage par-delà tous les outrages, tous les abus d'un gouverneur sans vergogne, est un peuple qui mérite qu'on lui demande de nous enseigner la liberté.

Qu'il est merveilleux que tous le enfants d'un peuple puissent apprendre à jouer du piano, sans que certains se sentent amoindris ou humiliés par rapport à d'autres parce qu'ils n'ont pas de souliers pour se rendre au conservatoire ou de tenues convenables pour y paraître présentables.

Anonyme a dit…

Liberté de Paul Eluard
Liberté

Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J'écris ton nom

Sur les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J'écris ton nom

Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom

Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom

Sur chaque bouffée d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J'écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J'écris ton nom

Sur la lampe qui s'allume
Sur la lampe qui s'éteint
Sur mes maisons réunies
J'écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J'écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J'écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J'écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J'écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom

Sur l'absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom

Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.
Paul Eluard
in Poésies et vérités 1942
Ed. de Minuit, 1942

giulio a dit…

@ Mahdia : Oui, et on ne peut que ressentir une grande admiration pour l'élan du peuple tunisien vers la liberté, vers cettte révolution si bellement entamée et qui servira d'exemple à bien d'autres peuples.
Mais il faut rester vigilants, et surtout durant cette période transitoire. N'oubliez pas en effet que la liberté est aussi celle du renard libre dans un poulailler libre et que les capitalistes rapaces s'y sentent encore bien plus à l'aise que sous une dictature. Plus malins, rusés, habiles et réactifs que la masse du peuple, ils savent aussi mieux en profiter. Tu t'es réveillé, Tunis; eh bien, n'oublie de rester en éveil!

Depuis la fin/chute du socialisme réel en URSSautour de 1990, de ses incontestables abus et de ses dictatures, a également disparu l'épouvantail des capitalistes, ce frein qui leur faisait craindre une contamination des masses populaires occidentales. Aujourd'hui le train capitaliste privé de freins roule de plus en plus vite, prend le mors aux dents et s'emballe. Les masses travailleuses occidentales se paupérisent chaque année en moyenne de quelques pourcents et il est facile de prévoir que, sauf changement pofond, la pauvreté en Europe occidentale sera dans 30-50 ans pire qu'au Maghreb (c'est déjà le cas dans dans certaines regions). Le modèle européen ? Celui des trernte glorieuses, OK, mais aujourd'hui ?

Gardez les yeux ouverts, Tunisiens!

gmc a dit…

@mahdia

depuis une cinquantaine d'années, les usa sont l'état qui a l'activité terroriste la plus développée de la planète, allez donc demander en amérique latine par exemple.
au cas où vous souhaiteriez y voir clair dans la politique américaine, les conférences du linguiste noam chomsky sont d'un intérêt non négligeable.
aujourd'hui, en occident, depuis la fin du communisme, l'ennemi - inventé de toutes pièces -, c'est l'arabe - quoi que ce terme puisse recouvrir.

Feuilly a dit…

C'est toujours le peuple qui fait la révolution et les bourgeois fortunés qui en profitent. Les USA ont compris avant Sarkozy qu'on avait affaire, en Tunisie,à une révolution. Ils ont donc rapidement "lâché" Ben Ali dans l'espoir que quelques concessions suffiront à calmer le peuple (et donc que la Tunisie continuera à être pro-occidentale). Mais ont-ils compris que cette révolte est plus profonde? Certes Ben Ali focalise sur sa tête tout le mécontentement, mais c'est tout le système de l'exploitation de l'homme par l'homme qui est ici remis en cause. Je salue la jeunesse tunisienne qui vient d'ouvrir une ouverture dont nous pourrions bien nous inspirer nous-mêmes demain en Occident. Car le fossé entre les riches et les pauvres y devient tout simplement scandaleux.

Mahdia a dit…

@Giulio et GMC,
Le monde est en pleine mutation.
C'est l'ère des changements rapides et dans tous les sens.
L'Europe est certes aujourd'hui en panne d'élans, mais ceci ne doit point contaminer les peuples qu'on a trop longtemps amortis mais qui n'ont jamais cessé d'attendre le moment propice pour raviver le feu de leur amour pour la liberté.
Il est d'ailleurs vivement recommandé aux peuples encore frais de réveiller leurs élans et de redresser l'échine du monde.

Ce n'est pas le progrès technologique qui fait le bonheur de six milliards de bonshommes mais plutôt la culture de la terre et le goût du pain apprécié dans la bouche quand il est partagé équitablement entre les hommes.
Ce n'est pas dans les bureaux fermés qu'on œuvre plus efficacement pour l'émancipation de l'être humain mais dans la rue, le torse nu et la voix levée.

Admettons alors avec force que le changement rapide et efficace qu'a opéré le peuple tunisien sur lui-même, et son effet sur le monde, est magique.
Je pense aussi que si le peuple tunisien a réussi formidablement cet ébranlement positif, c'est parce qu'il avait depuis longtemps déjà mûri cette Révolution (n'oublions pas de l'écrire avec un "R" majuscule, s'il vous plaît). El Bouazizi en était l'étincelle; le vase a débordé avec son offense, et l'éclatement déjà prévu depuis très longtemps devait survenir.
Toutes les grandes Révolutions ont commencé ainsi.
Je fais pleinement confiance au peuple tunisien pour se redresser et aller de l'avant comme il l'a toujours montré en silence et dans la dignité la plus absolue.

Pourquoi lorsqu'il s'agit d'Arabe, on doute de sa capacité à enchanter le monde? Est-ce parce qu'il appartient au tiers monde ( je ne veux pas croire autre chose)? Mais la chine en fait partie !
La civilisation Arabe n'a jamais manqué d'enseigner au monde comment être, devenir digne et le rester !

Anonyme a dit…

choukrane
merci aux peuples arabes qui par leurs soulèvements donnent au monde une leçon de liberté, de démocratie et d'espoir.
il démontre aussi qu'une partie de la politique menée par leurs dirigeants ne représente pas la volonté du peuple, ni l'opinion que l'on s'en fait, et ce, malgrés le soutien à peine voilée des soi-disantes démocratie occidentale, exemptes de tout reproches...
Lundi 31 janvier à 00h36

Feuilly a dit…

La preuve que les "démocraties" occidentales n'ont de démocraties que le nom, c'est qu'elle ont toujours soutenu les régimes politiques arabes autoritaires, préférant bien entendu faire passer leurs intérêts économiques et politiques avant toute autre considération.

Ces peuples qui se soulèvent vont faire réfléchir plus d'un dirigeant de par le monde.

giulio a dit…

@ Mahdia : chère Mahdia, je suis tout à fait d'accord avec vous, tant sémantiquement que éthimologiquement (d'accord = de coeur). Mais il ne faut jamais oublier combien l'histoire a tendance à se répéter... jamais à l'identique, bien sûr, encore faut-il savoir tirer les enseignements de ce qui pourrait être répétitif et, sans établir de rapprochement hatif ou quelque identification aventureuse, savoir éviter le pièges récurrents.

Tenez, il y a plus d'un siècle et demi, en 1848, l'Europe a connu en ce qu'on allait appeler le Printemps des Peuples et qui, en fin de compte aboutit à un renforcement des bourgeoisies indfustrielles et libérales.

À Paris, en février 1848, les «3 glorieuses» entraînent la chute de Louis Philippe et de sa monarchie de juillet; le même mois, Karl Marx et Friedrich Engels publient le Manifeste du Parti communiste. Mais – c'est là mon avertissement au peuple tunisien (je cite www.herodote.net) "déroutée par la facilité de sa victoire, l'opposition parlementaire ne sait que faire de sa République. Subrepticement, à Paris, les revendications sociales ont pris le pas sur les idéaux politiques. C’est la Seconde République; elle échouera sur la question sociale et ouvrira la voie au Second Empire". Vous trouverez davantage de détails dans l'un de mes prochains articles.

@ Anonyme, Gilles Marie, Feuilly: je ne peux qu'être d'accord avec vous, les amis. C'est quoi, notre nouveau club ?

@ Jalel : les américains ont toujours combattu le colonialisme européen même chez leurs plus proches alliés comme l'Angleterre.
C'est eux, par exemple, qui ont favorisé la débâcle des Français en Indochine afin de s'y engouffrer; encore eux qui ont soutenu leur futur épouvantail Nasser et rappelé les anglofrançais à l'ordre à Suez. Idem Abdel Karim Kassem puis Saddam Hussein. Mais cela n'a jamais été qu'affaire d'influence et de gros sous, c'est à dure de néocolonialisme. Vois aujourd'hui avec Moubarak, c'est beaucoup moins clair. Aussi, me vois je obligé de confirmer et signer que "timeo USA et dona ferentes".
On en reparlera lorsque Cocacola aura monopolisé la majorité des gisements aquifères tunisiens (je pense au scandale indien bien connu) où moyennant une centaine d'emplois chez Cocacola, des milliers de paysans ont vu leurs terres dessêchées et ruinées.

giulio a dit…

Pour une confirmation (pro)tunisienne de mes dires inscrivez dans google "Une source d'inspiration pour la Méditerranée [Collectif - 2011 ..."

Mahdia a dit…

Cher Giulio,
Je vous remercie de vouloir éviter au peuple tunisien les erreurs de l'Occident. C'est très honnête de votre part. Vous êtes un intellectuel intègre et l’article que vous nous proposez ici en fait foi.

Je suis d'accord (= cœur aussi) avec vous en ce qui concerne ce que vous appelez le « répétitif »de l'histoire. Il est impératif de bien reconsidérer ses priorités et essayer ingénieusement de prémunir ce bel élan, cette belle voie pour la démocratie que le peuple tunisien s’est ouverte devant lui, contre toute tentative de détournement malintentionnée, pour lui éviter les dommages qu’ont subis les révolutions que vous donnez en exemple.

C’est pourquoi je dis que je fais entièrement confiance en ce peuple.
Après avoir vécu ensemble et la tyrannie du pouvoir destitué et le silence meurtrier de la majorité de ses intellectuels - et là, votre article enfonce le doigt dans la plaie et la rend , franchement, incurable - ( même si en Tunisie la plupart des intellectuels se sont le plus souvent efforcés d’observer le silence de peur d’ être persécutés avec leurs familles ; mais c’est surtout ces dernières qu’ils essayaient de protéger ), il doit obligatoirement avoir forgé une âme récalcitrante. Point de retour en arrière ! Ni mettre sa confiance dans ceux qui l’ont déjà manipulé ou dérouté ou trahi. Il ne faut surtout pas, mais jamais négocier ce qui a été remporté par la peine et le sang !

Il est impératif que cette fantastique Révolution du peuple tunisien ne lui soit pas volée ou réacheminée au profit de bourgeoisies de quelques sortes qu’elles soient. Il faut surtout œuvrer pour que le peuple garde un œil vigilant sur ses acquis car nous savons depuis la Grèce ancienne que les tyrannies (quoi que ce terme a évolué avec le temps) viennent souvent, au départ, s’installer avec le consentement des peuples pour lutter contre les excès de l’aristocratie et de l’oligarchie et souvent aussi à la suite de crises économiques.

Après quoi, même une démocratie à l’européenne sera la bienvenue! Et qui dit que les peuples arabes rêvent de plus que ça ? C’est pour ce genre de démocratie qu’ils se soulèvent d’ailleurs et d’abord. Mais, le « d’abord » ici c’est vous qui le proposerait, cher monsieur Giulio, car, ayant vécu depuis votre naissance dans un Etat de droit, vous souhaitez en avoir plus, en proposer plus, en partager plus. Mais une démocratie sans failles existe-elle vraiment ?
Les peuples Arabes rêvent de démocraties telles les vôtres aujourd’hui , où leurs gouverneurs ne les volent pas, ne les trompent pas, ne les vendent pas. Et si de temps en temps il y a quelques dérives, ils parviendront comme chez vous à y remédier.
Laissons donc au temps le temps de régler les choses des hommes de bonnes foi, et souhaitons au peuple tunisien de sortir gagnant de ce pénible examen que l’Histoire lui fait passer !

giulio a dit…

OK, chère Madhia, car je suppose que vous êtes une femme, autrement, politiquement qu'importe dans une vraie démocratie (encore à venir - pas encore demain en Europe), Vamos a ver! Donnons donc pour commencer une chance à une démocratie de type européen, mais, j'espère, pas une imitation.

Si vous le désirez, je peux vous "mailer" des articles analytiques sur la démocratie occidentale publiés dans "mon" journal lorsqu'il n'était pas encore en ligne. Vous pouvez me contacter à cet effet sur giulio.pisani@pt.lu et, en attendant, déjà lire mes articles sub http://paradisbancale.over-blog.com/article-giulio-enrico-pisani-nous-ecrit-57140684.html et sur www.zlv.lu/spip/spip.php?article269