Une page du Masnawi, recueil de Rûmï
Où partir ?
Si tu ne veux pas de moi, moi je te veux de toute mon âme
Si tu ne m'ouvres pas ta porte, j'habiterai ton seuil
Car je suis comme le poisson qu'une vague a jeté hors de l'eau
Je n'ai pas d'autre refuge que le flot
Je ne lui demande rien d'autre que lui-même
Où partir... avec ce coeur ?
Quand mon corps, mon coeur et moi-même ne sommes que l'ombre du seigneur.
Avec toi, je suis séparé de moi-même, même effondré, même ivre
C'est par toi que je suis conscient s'il m'arrive de l'être
Car n'es-tu pas celui qui a charmé mon coeur, si tant est qu'il m'en reste un ?
Traduction Jalel El Gharbi
إن كنت لاتريدني ..فأنا أريدك بالروح،
وإن لم تفتح لي الباب، فأنا مقيم على أعتابك.
فأنا كالسمكة إذ يلقيها الموج خارج البحر،
لا ملجأ لي إلا الماء
ولا مطلب لي من إياه إلاه.
...
وإلى أين أمضي .. ولي قلب !؟
وما أنا و جسدي و قلبي إلا مجرد ظل للمليك.
فأنا بك منفصل عن ذاتي ,إن كنت مهدماً ثملا ،
وبك أيضاً يكون وعيي إن كنت واعياً.
ألست فاتن قلبي.. إن كـان قد بقى لي قلــب؟
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11 commentaires:
Parfois, Jalel, vous mettez un poème en ligne et soudain il nous donne voix et trace dans la nuit son sillage lumineux.
Vous souvenez-vous ?
"Si tu coupes un atome, tu y trouveras un soleil et des planètes tournant alentour."
Et si nous coupons une larme ?
Bien sûr que je m'en souviens, chère Christiane.
Si on coupait une larme, on y trouverait le livre du silence, celui des aspirations et celui de l'absence.
Amitiés
Quelle belle réponse qui me laisse songeuse... Merci, Jalel.
Où partir?
Nulle part car les derviches ne partent jamais.
C'est dans eux-mêmes qu'ils partent et reviennent en une oraison qui inclut l'un et le tout, le prieur et le prié.
L'aimé est au fond de ce questionnement qui le rend présent dans le départ avec lui et le retour à travers lui, en lui.
Quelle évidence, plutôt quelle félicité est cet amour absolu où la négation et l'affirmation sont dissoutes dans une réponse qui fait de l'adoré le point de départ et l'arrivée !
Mais ce discours est étrangement aussi celui qu'un amoureux pourrait adresser à son aimé(e) humain. Et dire qu'entre l'humain et le divin il n ' ya que l'intention qui change ! Les mots eux, ne changent pas.
Heureux celui parmi les humains auquel s'adresserait une prière comme celle-ci !
Ne retrouve-t-on pas ici le sens de la « Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête » ?
@ Mahdia, chère Mahdia c'est au dire que la poésie se destine. Intransitive, elle n'a point d'objectif qu'elle-même
Amicalement
@ Giulio, la « Prière du vieux maître soufi le lendemain de la fête » est sans doute un pâle reflet, une ombre de celle de Rûmî
Amicalement
Oui, Mahdia, ils ne partent jamais, mais pourtant ils partent toujours, ils sont toujours en voyage. Ils partent en eux mêmes, mais aussi dehors et ils vont très loin dans tout l'univers, plus loin des étoiles dans l'amour infini du tournoiement. Derviche signifie le chercheur de la porte, aussi la porte qui est dans notre coeur et nous fait entrer dans le coeur du coeur, dedans et dehors, zahir et batin, dans le paradoxe de l'amour comme quand Hallaj dit : ana'l haqq, je suis la verité!
Il est parti sans partir, pourtant il est parti car une métamorphose incroyable c'est produite.
ciao
Luna, je crois qu'ils partent dans le vertige de la comparaison, de la métaphore. Leur univers emprunte ses canons à celui de la rhétorique qui peut apparier dehors et dedans, visible et invisible.... tout cela que la raison donne pour antinomique
Amitiés
@ Jalel
Oui cher poète!
le poète, tout poète écrit d'abord pour l'écriture elle-même. Tout poète est narcissique, amoureux d'abord de ses mots. Puis, à qui ils les destinent? Ceci est une autre étape de l'intention inscrite dans l'ambition du poète et de son parcours.
Le lecteur, lui est double. Obligé de s'ouvrir à l'autre au poète, au poème et à l'écriture qui dans un sens très particulier lui donne l'impression qu'elle lui est destiné, il valse cependant entre égoïsme et altruisme dans sa réception du mot du poète; c'est pourquoi, toute femme se reconnaît ou voudrait se reconnaître, en lisant Eluard, Aragon et Breton, pour ne citer que ceux-là, dans Nusch et Elsa et moins dans Nadja pourtant.
@Luna
Oui Luna, les derviches partent en eux-mêmes, ils sont plutôt narciciques d'une nouvelle manière car absorbés par eux-mêmes au profit de l'autre, ils sont un mélange d'amour de soi pour /dans l'adoré. Leur prière même diffère de celle de l'homme ordinaire car elle consacre l'adoration à la dissolution dans l'adoré pour n'en faire qu'un.
l'exemple le plus parfait est sans doute celui de Rabi'a al-Adawiyya qu'on tient peut être pour l'un des maîtres fondateurs de la mystique musulmane.
Figure majeure de la spiritualité soufie,bien avant Hallaj et les grands maîtres du soufisme, elle est considérée comme l'un des premiers mystiques de l'islam à avoir dépassé la démarche ascétique traditionnelle pour appeler à l'union parfaite avec Dieu qu'elle célèbre dans des poèmes d'une passion dévorante comme en témoigne ces textes: "Je T'aime de deux amours: l'un, tout entier d'aimer/
L'autre par ce que tu es digne d'être aimé"
"Ô ma joie, mon désir,ô mon appui/
Mon compagnon, ma provision, ô mon but
"Ô médecin du coeur, Toi qui est tout mon désir/Unis-moi à Toi d'un lien qui guérisse mon âme."
Amicalement
Le narcissisme est un moment de la poésie, mais la poésie est aussi autre chose. Il y a un moment ou le poète est Narcisse, c'est une étape de la poésie, puis il se déshabille aussi de cette robe et il oublie toutes les lettres pour se perdre ou se noyer dans l'encre et dans le point...voila l'absence,le Soi divin et le vrai poème visionnarie de l'extase, mais extase c'est réductif, ce n'est pas le bon mot. Au contraire Narcisse est encore présence et poète non accompli et de même le derviche qui ne laisse pas Narcisse, n'es pas encore comme Djalal Rûmî!
ciao!
C'est comme le printemps, une visite sur vos pages, parfois une découverte, mais toujours un enrichissement. C'est aussi aller au delà, avancer pour être tout simplement. Amicalement
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