mercredi 14 septembre 2011

Une pensée pour José Ensch.

José Ensch : L’aiguille aveugle (1) Giulio-Enrico Pisani
On n’arrive pas encore à vraiment croire qu’elle nous ait quitté, José.  Je me vois encore courir ce début février par les rues de Belair-Neu-Merl après qu’à des milliers de kilomètres d’ici des amis communs m’eussent prévenu, paniqués, ne plus avoir de ses nouvelles.  Son téléphone restait muet et pour cause.  On était début février de cette année 2008.  Et je la vois encore me dédicacer dix ans plus tôt son «Dans les cages du vent» qu’elle m’avait offert avec son bon sourire discret et ses mots sobres, modestes, exquis: «à Giulio, confrère en poésie avec l’amitié de José Ensch».  D’autant plus généreuse qu’à l’époque, en 1998, je commençais à peine à être publié!  
Notez, amis lecteurs, qu’aujourd’hui encore je me demande comment vous présenter avec un minimum de clairvoyance «L’aiguille aveugle», son nouveau recueil de poèmes, quand tant de poètes, d’écrivains et de journalistes de grand renom se penchent pour l’heure – pendant combien de temps encore? – sur elle et sur son oeuvre poétique.  Désarmé au milieu d’un chagrin que je ne parviens pas à nier, je ne peux qu’intégrer les derniers mots de cet autre ami, le poète René Welter, mots qui achèvent sa préface au présent recueil: «Comment évoquer José Ensch? Quand le manque auquel on ne peut consentir, nous maintient, dans son excès, béants, rivés à l’indicible. José Ensch n’est pas morte. Elle sera comme elle aura été.  Dans la parole.  Pleinement.»
Souvenez-vous!  Le 24 mai 2006, discrètement, notre bonne vieille Zeitung publiait déjà mon article sur son recueil «Prédelles pour un tableau à venir» édité, justement, par René Welter dans la collection «99» des nouvelles Éditions Estuaires, ensemble avec des poèmes de Marcel Migozzi.  Étrangement prémonitoire, que ce texte, dans lequel j’annonçais d’un côté la parution prochaine de «L’aiguille aveugle» et de l’autre, sans m’en douter bien sûr, son grand départ.  En voilà le premier paragraphe: «Après une bonne trentaine de coopérations et de participations littéraires luxembourgeoises et internationales, cinq recueils: «L'arbre» en 1984, «Ailleurs ... c'est certain» en 1985, «Le profil et les ombres» en 1995, «Dans les cages du vent» en 1997 et, très prochainement «L’aiguille aveugle», José Ensch vole toujours plus haut.   Au sommet... de l’esthétique, de l’élégance, du dépouillement?»  
Quoique personne au Luxembourg (évidemment) n’ait jamais prétendu l’avoir vue voler, elle n’est pas près d’arrêter son vol, José.  Plus libre encore que le Max d’Hervé Christiani, elle ne nous quitte pas, mieux, remet ça post mortem.  C’est sans doute aussi pour elle que Charles Trenet chanta naguère «Longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues».  Mais les poèmes de José ne se chantent pas, direz-vous.  Et pourquoi pas?  Pourquoi ne chanterait-on pas «Aucune prairie n’a grandi / comme cette eau dans les yeux / ces lettres qui coulent / sur les racines et les lunes... » en passant par «... la femme au lait d’amande amère (...) jusqu’au roi qui s’embrase dans les roses...» Qui ira-t-il relever pour José Ensch le défi de Léo Ferré, le chantre des poètes?  
Et comment ne pas rappeler ici ces quelques belles lignes extraites d’un article que lui consacra récemment Jalel el Gharbi?  «... José Ensch est à l’écoute des bruissements du monde et même de ses vacarmes. Chez elle, la quête du sens s’accompagne d’une vertigineuse conscience du non sens. Mais il y avait toujours le bonheur d’être là, si près d’un café, d’une fleur ou de tout autre mot contenant le son F. Longtemps, j’ai trouvé auprès d’elle le mot qui fait admettre qu’il y a pourtant du sens. Aujourd’hui, je reprends ses mots, un à un, je les décortique et cherche un je-ne-sais-quoi derrière chaque syllabe. Cela tient de Goethe, de Hugo, d’Eluard, d’Aragon et surtout d’Edmond Dune et de José Ensch. Dans ses recueils L’Arbre, Ailleurs…c’est certain, Le Profil et les ombres ou L’Aiguille aveugle, les mots sont comme investis d’une autre signification. Cela va de l’abeille qui n’est plus ni son miel, ni son essaim, ni son désir de fleur mais désir de profondeur au vin qui n’est plus ni sa couleur, ni son ivresse, ni sa bonification mais un autre nom possible de l’écriture en passant par le bleu qui peinturlure son univers et qui n’est ni la couleur du ciel, ni la celle de la campanule ni même celle du bleuet mais celle de l’harmonie sonore.» (2)
Pardonne-moi ce long emprunt, Jalel.  C’est qu’incapable de mieux dire ce que tu dis et que je ressens pourtant comme toi, pourquoi priverais-je mes lecteurs de ton sentiment face à ce «Rond-point des roses / et les sons ouverts telle la bouche de l’enfant / au-dessus de la mer / le temps d’un verre brisé en plein ciel... » qu’est «L’aiguille aveugle»?  Ah oui, j’allais oublier.  José Ensch sera de nouveau parmi nous ce 
jeudi 5 juin à 20 h. au Centre National de Littérature 
Maison Servais, 2, rue E. Servais, L-7565 Mersch.
 Participeront à cette soirée notamment Claude Bommertz, Jean-Luc Fatello, Jalel el Gharbi, Germaine Goetzinger, Cary Greisch, Emile Hemmen, Nic Klecker, Anise Koltz, Colette Mart, Michèle Nosbaum, Marie-Paule Schroeder, Pit Schumacher et Josée Zeimes.  L’un de ces intervenants se souviendra-t-il de ces quelques mots que cette grande poétesse écrivait, prononçait sans doute, dessinait peut-être, mais ne se destinait point: «Son corps n’est pas de terre / mais sa voix interpelle / comme une fleur sans nom...»?  J’ignore donc si ces vers seront dits, mais, en tout cas, je les luis rends... avec ferveur.   

1)                  Recueil de poèmes aux Éditions Phi, collection GRAPHITI 72, 175 pages, préfacé par René Welter et illustré par Susy Thyx-Prüm, 15 EUR.
2)                  Poète, poétologue, professeur à l’Université de Tunis La Manouba et plus proche de José Ensch que beaucoup d’entre nous, malgré les milliers de Km qui le séparaient d’elle, Jalel el Gharbi est un grand connaisseur de sa poésie, qu’il a souvent analysée, commentée et présentée.  Lire notamment ses articles sur www.lapresse.tn/index.php?opt=15&categ=15&news=26373  et www.land.lu/html/dossiers/dossier_luxemburgensia/ensch_150601.html

20 commentaires:

Mahdia a dit…

Giulio, je ne sais pas si la lecture que je suis entrain de faire sur José Ensch va vous épater, mais c’est quelque chose de nouveau, un nouveau sens du regard que je suis entrain de poser sur quelques poèmes de cette grande dame.
Ce que vous écrivez sur elle me donne la conviction que quoique je dise, je n’entrerai jamais dans le secret de cette étonnante poésie, mais qui dit que le lecteur a besoin de percer le secret de l’écrivain pour bien dire?
Le critique n’est pas détective mais artiste. Il dit plus ce qu’il aime dire pour s’émerveiller lui-même de et devant telle écriture ou telle poésie que ce qu’il lui incombe de dire comme vérité. Et Quelle vérité a-t-il besoin de révéler sinon celle de son propre génie aiguisé ou révélé à travers le génie de l’écrivain qu’il a aimé lire. Mais, autrement, on ne lit souvent que ce qui nous ressemble. "Nous ne sommes faits que de ceux que nous aimons et de rien d'autre", écrit bellement Christian Bobin dans " L'inespérée".

Comme j’aurais aimé avoir un jour le privilège de rencontrer José Ensch et lui dire que je l’ai lue et aimée à travers vous et ceux qui l'ont racontée avec émerveillement , à travers l’abondance des mots que vous créez pour elle et qui pourtant ne suffisent, ne suffiront jamais à la dire ! Il n’ya que les poètes comme ceux que nous aimons passionnément qui nous empêchent de nous suffire car en nous, ils sont parfaits !

giulio a dit…

Ce que vous dites, Mahdia, est très pertinent. En effet, si en prose il est, non aisé, mais parfaitement possible, de faire la part des choses *, de la lire, l’analyser, la comprendre objectivement, en poésie cela est irréalisable. La poésie, usinée, polie, retravaillée, rendue lisible par la raison, n’en relève pourtant point. Les sentiments, les sensations, les évocations et les visions du poète, même occasionnel, y parlent aux sentiments, aux sensations, à la résurgence et au regard interne du lecteur, même superficiel. Je reste en tout cas plus qu’impatient de lire les mini-essais que vous nous annoncez, d’autant plus que vous abordez l’étude de ces poètes de l’espace luxembourgeois pour eux-mêmes et non comme moi de manière journalistique avec les romanciers, les peintres, les sculpteurs et tutti quanti.


* je me délecte pour l’heure des essais d’un penseur anarchonietzscheen à me faire dresser les cheveux sur la tête, mais dont la langue inventive, les analyses pointues, la verve super-brillante et les catilinaires ravageuses m’amènent à y prendre un grand plaisir, malgré ses conclusions aberrantes. Je ne le recommanderais bien sûr à personne de tant soi peu fragile ou influençable.

Mahdia a dit…

Oui, cher Giulio, dans l’attente de vous faire lire ce qui me fait devenir au grand galop une lectrice ( dans les deux sens) passionnée de la littérature luxembourgeoise, je vous remercie, vous et Jalel, de me donner tant de joie à vous lire et à aimer ce que vous lisez.

Avec cette pensée à José Ensch, je me permets de penser dans ce bel espace à une autre grande dame luxembourgeoise, Anise Koltz dont la poésie m’aère les poumons.
Contrairement pourtant à celle de Ensch qui me perturbe jusqu’à la moelle par un je ne sais quel absolu tragique qui réveille en moi d’elle , à chaque fois que je la lis, un héritage féminin qui sans cesse m’interpelle et me pousse à aller la déterrer et lui dire pour toutes les femmes qui ne l’ont pas lue, n’ont pas eu le privilège de la lire, ne savent pas qu’elle les porte, qu’elle les a portées en elle, toutes ces femmes vulnérables ( pendant l'enfance, dans leur âge adulte et jusquà leur mort) qu’elle seule à su représenter… que j’ai compris pourquoi "Nul arrêt dans le chant que conduit la tristesse des abeilles" ? Et pourquoi : "Que volent en éclats ces nuits/qui montent en eux/et cherchent le parchemin de la peau/son innocence trouée de bleu/vaste comme des continents inconnus " !
J’ai peur que le bleu de Ensch ne serve pas uniquement à dire la beauté du monde !

Combien dans cette poésie tout blesse !
Contrairement à un homme peut-être, je ne sais pas, en tant que femme, vivre paisiblement en lisant Ensch. L’absolu pour une femme n’est pas ce qui est représenté dans l’esprit de l’homme. Il y a un absolu féminin que seuls les plus privilégiés des hommes peuvent sentir ou vivre. Seuls ceux qui comprennent "Ma déshérence, mon héritage, mon partage du rien /mon territoire désolé sous l’éternelle bruine/mon château fort qui claudique vers la nuit/une nuit de taille moyenne parfois/sinon insupportable" peuvent se vanter d’aller dans cet absolu, et encore faudrait-il qu'ils ne le prennent pas pour un absolu commun (entre l'homme et la femme)!

Il a plus que raison, Jalel El Gharbi de dire que "Dans ses recueils L’Arbre, Ailleurs…c’est certain, Le Profil et les ombres ou L’Aiguille aveugle, les mots sont comme investis d’une autre signification. Cela va de l’abeille qui n’est plus ni son miel, ni son essaim, ni son désir de fleur mais désir de profondeur ". Une profondeur cher poète qui, si on venait à la découvrir, on se ferait cogner la tête au mur plusieurs fois pour se la faire saigner et remarquer à la fin que ceci n’est rien devant la détresse , j’allais dire "La tristesse des abeilles".

" C’est en te lisant que j’ai eu la révélation de la proximité entre distance et proximité. Tu insinues que la distance n’est rien ". Un autre mot tiré du glossaire infini du poète qui me fait comprendre que je peux me vanter d’être chez José Ensch, dans son univers, dans sa poésie si je me sens souffler et respirer dans ses mots. La mort n’est nullement une barrière, puisque on peut être transporté dans un mot ; c’est la vie, en dehors des mots, qui nous diminue et nous donne la terrible infinitude de la distance.

Mahdia a dit…

Giulio,
En me disant :"mon lectorat est constitué majoritairement, comme moi, de gens très simples", vous vouliez ironiser, n’est-ce pas ?
Si votre lectorat est simple, c’est parc qu’il est grandement intellectuel. Et comme je souhaite en faire partie !
Avec un cocktail invraisemblable de livres dans tous les genres de l’écriture littéraire et jusqu’à la satire, vous faites envie à la majorité de grands écrivains de votre âge et ceux plus vieux encore.

Vous essayez sans doute de me dire que vos écrits sont simples et abordables ! Mais qui vous dit que c’est l’ambigüité des propos qui fait la beauté ou l’intelligence de l’écrit ? Vos textes m’ont toujours épatée en me révélant constamment une profondeur dans le regard et une spontanéité d’une fraicheur inouïe dans le fait de relater l’évènement artistique que très peu de journalistes –écrivains en possèdent. Vous êtes un écrivain accompli et combien Jalel est fier, il n’ya pas de doute, que vous représentiez constamment sa page !
Vous êtes simple cher Giulio, et c’est par intelligence et par noblesse que vous l’êtes car vous savez comme dit A. Rivarol - vous en faites certainement votre devise quotidienne- : "Il y a quelque chose de plus haut que l’orgueil, et de plus noble que la vanité, c’est la modestie, et quelque chose de plus rare que la modestie, c’est la simplicité."

christiane a dit…

José Ensch... Je n'ose à peine poser les mots... rencontrer sa poésie c'est entrer dans la fragilité du dire, se laisser guider jusqu'au seuil où son écriture a touché l'indicible.
Souvent sous les yeux, aussi, des fragments d'elle dans ce si précieux glossaire : "De l'amande... au vin", entre les méditations de Jalel El Gharbi et les fluides aquarelles d'Iva Mràzkovà.
J'aime , Giulio, ce qui vous monte au coeur dans ce dire d'aile à tire d'elle.
Et Mahdia, ardente et fidèle.
"Rappelle-toi : avant que tu ne viennes
le respect déjà pour ton absence
Les arbres avaient pris feu des pieds à la tête
avec le rebec du vent dans leur brasier"
(Ailleurs.. c'est certain)

giulio a dit…

Chère Mahdia, « cher Giulio » j’aime, mais « cher poète » est franchement de trop. Car mon caractère n’a rien de poétique et si je suis ouvert aux muses de Sappho, Ronsard, Baudelaire, Lorca et Darwish, ce n’est qu’en admirateur, naguère aspirant, mais généralement absolument prosaïque. J’ai connu certes des éruptions, des geysers, des surgissements poétiques, mais ce fut ou c’est toujours fonction de tourments, déséquilibres, de souffrances sporadiques que leur poétisation me permet justement de surmonter. Chez les vrais poètes ces tourments, ces souffrances ne s’apaisent pas, créent un déséquilibre permanent et produisent la poésie comme un hurlement de peine sans fin. Je pense qu’il n’y a point de poésie hors souffrance et qu’il n’y a pas d’authentique poète qui ne soit en quelque façon « maudit ».

Et même lorsqu’il/elle semble atteindre, parfois grâce à la poésie et en se mentant à soi-même, une certaine sérénité, parfois même du genre pseudobucolique ou marine ou alpine ou religieuse ou que sais-je, même alors et peut-être plus profondément encore, le poète reste un creuset de souffrance sous-jacente. Rien à voir avec les sporadiques douleurs qui m’arrachent quelques vers, un recueil, ou deux imprécations. Rien avoir, comme vous l’avez si bien (et moi comme homme si – et seulement – superficiellement) compris avec le volcan ravageant le cœur et l’esprit de José Ensch qui, elle, en dépit d’une production très réduite, est une véritable grande poétesse, de celles dont presque tous les vers sont immortels.

Alors quand je parle de simplicité, de gens simples, vous pouvez me croire. Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek est lu essentiellement pas des ouvriers, même si un petit nombre d’instits profs de lycée et quelque chargé de communication de quelque institut culturel de s’y aventurent. Moi-même n’ai que le bac, ai expédie, vendu, exporté (oui, même en Tunisie) de l’acier luxembourgeois et suis donc un pur autodidacte qui a vu accepter ses premiers contes il y a 20 ans et dont le premier roman a été édité en 1994 (à 51 ans), après 30 ans de "primum vivere deinde filosofari". La preuve, si besoin était : de véritables approches poéticiennes comme celles de Jalel dans ses livres dont je ne puis qu’entrevoir l’esprit après m’être cassé les dents sur ses mots et ses raisonnements, ou même les vôtres au sujet de José Ensch, ou celles de notre amie Christiane, quand elle s’y met, ces approches donc, me dépassent parfois complètement. Je ne peux que les frôler, en saisir quelques lucioles, l’une ou l’autre idée maîtresse, travailler à l’intuition. Ah l’intuition, si je ne l’avais pas ! J’adore pourtant vous lire, mais ne croyez surtout pas que je comprenne tout sur tout, surtout lorsque vous enfourchez tous vos tapis magiques de la poésie.

Chère Christiane : José Ensch, c'est Jalel, c'est vous et maintenant Mahdia, qui m'avez aidé à en comprendre certains mots, certaines facettes, son tout restant pour moi aussi inabordable et mystérieux que la grande pyramide et le sphinx associés.

christiane a dit…

oui, Giulio, ce souffle-là est rauque et brûlant, né du noir frisson de la chrysalide aveugle avant d'être cette grâce libérée de l'éphémère qui enfin a pu voler dans la lumière... et s'y dissoudre dans le silence.
Vous êtes une présence patiente et délicate ouvrant la paume pour que s'y posent en un dernier clignotement, les lucioles, avant de s'éteindre.
La nuit est noire, Giulio, et il faut monter si haut pour ne pas croire en la mort des étoiles.
Un jour ancien, Ouvrant "Marches romanes", j'ai rencontré un poète cueilleur d'étoiles...

giulio a dit…

Et voilà, chère Christiane. Suffit que vous ouvriez la bouche, pardon, tripotiez votre clavier, que le langage poétique sourd, spontané.

Marches romanes ? Je ne connais pas ce livre. Parlez-vous de celui de Paolo Favole chez Zodiac ? De quoi traite-t-il ?

christiane a dit…

C'est le blog de Feuilly que j'aimais habiter il y a si longtemps...

giulio a dit…

Eh oui, Christiane, moi aussi parfois, il y a d'ailleurs pas si longtemps. Le nom me disait quelque chose, mais je n'arrivais pas à trouver. Tempus irreparabile fugit (et pas seulement le temps).

christiane a dit…

Enfin, quand je dis "habiter" c'est un très beau souvenir. c'était un été. Il partait en vacances, laissant son blog ouvert aux visiteurs. Je venais de le découvrir. J'aimais beaucoup. Pendant tout un été j'ai ouvert les portes et lu et c'était beau. Parfois je laissais un confetti... Puis il y a eu une pluie de météorites et nous avons perdu le contact. Maintenant, il écrit des nouvelles, très longues en multiples épisodes successifs. Ce n'est plus pareil. Avant, il y avait ces petits billets imprévisibles qui nous lançaient en quête d'ailleurs. C'était sidérant de beauté...
J'ai toujours aimé les fragments, les intermittences, les esquisses, l'inachevé, les vies qui s'éteignent quand on voudrait qu'elles éclairent encore. Mais chacun a son heure. Chacun fait ce qu'il peut pour faire la route...
Vous me faites penser à un de ces coquillages en spirale des mers du sud. On pose son oreille, on écoute, on croit entendre la mer mais ce n'est que le bruit de son propre silence qui bat comme une vague, comme une rumeur d'océane bleue.
Ce poète, José Ensch, comme j'aurais aimé la rencontrer pour regarder son visage. La photo que vous nous offrez est énigmatique. Tous les mots d'un poète habitent son regard...

Mahdia a dit…

Christiane, faites comme moi : je rencontre et je prends en photo qui je veux dans ses mots. Je n’ai pas besoin de véritables visages, et encore moins de photos réelles car qu’est-ce qu’une photo sinon un instant parmi des milliards de l’existence de l’homme , pris le plus souvent sans le consentement de la personne et figé dans un papier pour la memoria , semble-t-il . Tant mieux lorsque la photo est réussie mais beaucoup de photos tordent l’aspect réel de la personne plutôt qu’ils ne l’embellissent. La photo virtuelle se travaille aujourd’hui pour rivaliser avec un idéal de l’être humain.
Mais c’est dans leurs mots que ceux que nous aimons nous montrent leurs vrais visages.
José Ensch , depuis que je la lis, je l’imagine et je la vois et je lui dessine dans chacun de ses mots un vrai visage qui peine pour vivre ou pour être heureux ; chaque mot m’en dit un air, une intention, un sens du vivre, un souffle, long, léger, coupé, revivifié, un souffle apaisé et un autre qui prépare un départ… Le "Son corps n’est pas de terre / mais sa voix interpelle / comme une fleur sans nom... " n’était –il pas conçu dans cette respiration que dit le mot et qui préparait amèrement le dernier départ même si comme le pressentait Giulio, elle ne le se destinait pas ? elle ne devait pas se le destiner par peur, mais le mot a déjà soufflé sa vérité comme une sentence.

Chez les peuples primitifs ou qui ont tendance à baser leur vécu sur un parallèle avec une autre vie comme chez les anciens égyptiens, le mot avait une telle importance qu’ils croyaient qu’ en prononçant le mot serpent, il le devient réellement , et ceci leur a donné à éviter la prononciation de mots terribles devant ceux qu’ils aimaient, mais qu’ils prédestinaient pourtant pour leur ennemis.

C’est dans le mot qu’est la véritable vie intérieure de l’écrivain. Ca ferait envie à Jalel, mais je discute avec Ensch aujourd’hui comme je veux parce qu’elle habite chez moi par ses mots. Je peux m’entretenir avec elle quand je veux et où je veux. Elle fait partie de mes préoccupations et elle m’habite ou « elle m’habille », (en arabe ca se dit quand quelqu’un est hanté par quelque chose ou quelqu’un, c’est plutôt dans le sens négatif qu’on l’emploie) , et c’est génial !

Mais quel miracle que l’écriture car comment ca se fait qu’on aime des gens qui nous sont distants par des dizaines de siècles, et on ne s’épanche nullement dans le cœur d’un aïeul qu’on n’a pas connu. J’ai toujours aimé Sophocle, el Maari, John Milton, Garcia Marquez, Cervantès, Cummings, May Ziyadé, Derek Walcott, etc. uniquement à travers leurs écrits et quelles belles images je leur dresse dans mon esprit à travers leurs mots!

Vous et Giulio, par exemple, j’ai appris à vous aimer et à vous attendre sur cette page grâce à vos mots uniquement. Vous ne pouvez pas le prévoir, mais je vous prends en photo dans vos mots chaque fois que vous veniez déposez vos paniers pleins de belles choses dans cet éden de Jalel et c’est surtout des roses partout jonchant le sol que je visualise après votre départ, et je constate combien vous êtes beaux uniquement quand vous êtes heureux de vous rendre ici !

José Ensch, elle ne doit être d’une beauté ineffable, et aucune vraie photo d’elle ne peut l’être autant, que parce que nous l’aimons, et nous ne l’aimons que parce qu’elle nous procure, en la lisant, cette chose qu’on appelle peut-être puérilement du bonheur.

@ Giulio, merci pour votre « j’adore vous lire ». C’est réciproque cher écrivain !

christiane a dit…

Mahdia,
oui mais...
Nous ne sommes pas que des êtres virtuels. Internet, justement, amplifie cette impression de connaitre l'autre uniquement par ses mots. Les mots sont importants mais le risque de la rencontre de l'autre, s'il est difficile, est source aussi de bien des joies dont le silence du regard. On peut être seul et multiple dans une bibliothèque... Regardez Robinson dans son île, hurlant sa solitude, créant par l'imagination l'autre à qui il pourrait parler, l'autre qu'il écouterait. Et les corps et la peau et les gestes les sourires les pleurs la main la caresse la voix la pudeur la colère aussi le faire ensemble le taire ensemble le vieillir ensemble. L'humanité est belle qui est source de rencontres. Ainsi ce rassemblement qui se prépare au Luxembourg; ainsi ces rues qui ont vu se réunir en Tunisie et ailleurs des hommes et des femmes qui voulaient faire la route ensemble...
Et puis les livres notre immense bonheur quand nous les ouvrons, notre immense solitude aussi.
Belle journée de presque automne, ici.

Evel a dit…

Ayant rencontré, voilà des années, les poèmes de José Ensch grâce à des pages de Jalel, je l’ai suivie sur cette route «usée par les pas de ceux qui ne marchent plus», sur cette route qui «boit le soleil comme une eau de vie», dans ces lieux où «Quelqu’un nettoie les auges / pour l’accueil de la pluie»… Aussi ai-je lu votre échange d’aujourd’hui avec une attention particulière. Merci à chacune, chacun.
(Citations extraites de « L’aiguille aveugle » ; et aussi les vers ci-dessous)
«Carènes renversées
ces voûtes ocellées de lumière
sans aucun batelier»

christiane a dit…

Comme c'est beau, Evel, votre trace lumineuse entre nos tissages de mots...

Mahdia a dit…

Christiane, vous parlez d’une rencontre qui reste aussi idéale.
Il n’ya pas de rencontre idéale qui se réalise pleinement comme on rêve que ce soit. Oui l’humanité est belle lorsqu’elle donne à ses hommes de se rassembler pour le bien, pour l’amélioration de leur vécu, pour leur épanouissement ; les rues, les villes, les capitales du monde ne désemplissent pas de gens, mais, mais est-ce la "cité idéale" dont on rêve ? Les peuples primitifs vivaient dans ce côtoiement intime , dans cet enchevêtrement des espaces, dans une symbiose, un rêve qui ne connait pas de sens à la proximité, qui expédie la morale, donc aussi le sens de la civilisation.
Mais la prolifération de l’espèce humaine depuis le premier homme ne veut rien dire ou n’apporte aucun remède au mal de se sentir impuissant d’être rempli d’autre chose que de soi-même. Cet isolement fatal de l’homme en lui-même, ce moi qui ne peut contenir qu’un soi, qu’un seul être pour soi, même si multipliable à volonté comme un arbre vivant de/ dans ses branches, ses feuilles, ses fruits…a façonné ou a fait naître le premier exil de l’homme sur terre. Pour s’en délivrer, l’homme a eu recours comme le prétend Nietzsche dans "La naissance de la tragédie" au rêve et à l’ivresse à travers une subtile association de l’apollinien et du dionysien.

Où est-ce que je pourrais rencontrer mes écrivains, avec un complet de rêves réalisables sinon en écriture, dans les mots ?

"Les corps et la peau et les gestes les sourires les pleurs la main la caresse la voix la pudeur la colère aussi le faire ensemble le taire ensemble le vieillir ensemble." C’est très beau ce que vous dites là, c’est dans ce sens où Camus parle de ce qu’il appelle le "Nous sommes"où "j’ai besoin , dit-il, des autres qui ont besoin de moi et de chacun" et "cet individualisme, ajoute-t-il, n’est pas jouissance, il est lutte, toujours, et joie sans égale, quelquefois, au sommet de la fière compassion". C’est dans certains de vos mots-ci que s’est réalisé ce qu’on a vu en Egypte, en Tunisie.
La révolution, ce qu’elle a peut être de plus subtil que la réalité c’est qu’elle est un mélange d’ivresse et de mysticisme, mais dans un autre sens votre raisonnement tombe dans ce que Nietzsche appelle l’idéal d’"un fonds commun indifférencié de tous les êtres …opéré sous l’effet de l’enthousiasme". "Vu du monde empirique, écrit -il, (…) l’être humain s’extériorise en tant que membre d’une communauté supérieure(…) l’émotion dionysiaque communique à une masse cette impression même de se voir " environnée d’une multitude d’esprits auxquels elle se sait intimement liée".
Mais la réalité est autre. Le retour au monde empirique s’accompagne de dégoût et seul l’art dit le philosophe allemand "peut faire dévier ce dégoût pour l’horreur et l’absurdité de l’existence en images avec lesquelles on peut accepter de vivre". Le dégoût vient essentiellement du contraste entre la vérité naturelle authentique - celle dans laquelle j’ai un petit peu identifié le monde primitif - et le mensonge de la civilisation. Ce contraste peut être résolu, dit Nietzsche "dans la sphère de la poésie comme expression non fardée de la vérité".
Si on se cramponne à l’art pour dévier les méfaits de la réalité, "la vérité" l’appelle Nietzsche, c’est parce que d’après lui : "L’art a plus de valeur que la vérité". J’ai envie de dire plus mais…

Très bel après-midi à vous Christiane. Ici chez moi, c’est une de ces singulières journées d’automne qui ressemble à un beau printemps et ça nous fait vivre allègrement.

@ Evel
Merci amplement à vous cher monsieur de lire avec attention ce que nous tricotons !

( pardon à Giulio si la laine et les aiguilles ca ne l'emballe pas autant que le fil et l'aiguille) et de fil en aiguille, salut à toi
Jalel qui nous a mis sur la piste de ce tissage qui ne finit pas. Une maille à l'envers , une maille à l'endroit...! ( malek haddad)

christiane a dit…

Mahdia,
j'ai laissé vos mots mûrirent aux étoiles de la nuit pour en moissonner les blonds épis au matin. Oui... l'écrivain n'est pas ce qu'il écrit, le peintre ne sait pas ce qu'il peint et l'autre parfois se détache de l'idéale intuition que nous avons de lui pour être ce qu'il peut : ce tronc divisé comme l'amandier dans la friche de mon grand(père : ange et démon, héros et médiocre fuyard, beauté et laideur... mais avoir fait la route chaotique avec l'ami(e) donne son poids de chair et de sang à chaque livre aimé. Vulnérables écrivains, limons des fleuves d'encre laissés au fond des coeurs comme des rêves inassouvis.
La laine de nos mots laissent aussi aux griffes des arbustes ces flocons blancs, traces de nos passages, migrants d'été, vers les hautes prairies des jardins de Jalel.
Merci à tous.
Je guette la pluie qui est mon amie, il pleut si souvent en moi, alors un face à face avec elle c'est comme un baiser.

Anonyme a dit…

@ Mahdia :

Jalelelgharbipoesie.blogspot.com/2009/.../evelyne-boix-moles.htm...

ou bien

poezibao.typepad.com/poezibao/2005/06/anthologie_pern.html

ou bien

arbrealettres.wordpress.com/2010/08/.../le-cri-evelyne-boix-moles/

etc.

christiane a dit…

également :
http://www.babelmed.net/index.php?c=2183&m=&k=&l=fr
de nombreuses pages offertes aux poèmes d'Evelybe Boix

Mahdia a dit…

Oui, merci Anonyme!
Très grande poète qu'est Evelyne-Boix-Moles en effet que notre ami Jalel a bien fait de nous faire découvrir. Je n'ai malheureusement pas son ou ses recueils, mais vous me donnez l'idée de les chercher pour les lire et m'en régaler.