Marwan, un aller simple vers Istambul
Boubaker Ben Fraj
« Je suis contente pour mon fils,… je suis fière
de lui…. si j’avais un autre fils, je l’enverrais aussi… c’est une fierté pour
toute la Tunisie !»
C’est par ces phrases courtes et tranchantes, que la mère du jeune jihadiste Tunisien Marwan Achouri, tué
au quartier Al-Mayadin à Damas au cours du mois de Juillet dernier, a répondu à
l’envoyé de la chaine « France 24 », venu recueillir à chaud ses
sentiments, suite à la terrible nouvelle qu’elle venait d’apprendre via la télévision syrienne.
Face à la caméra, le visage endurci par la douleur du deuil de son unique fils, la mère de Marwan ne
laissait trahir ni faiblesse, ni tristesse, ni regret. Elle ne cherchait pas de
consolation et ne voulait susciter ni compassion, ni pitié.
Dans son attitude stoïque
et inébranlable, qui nous rappelle celle bien lointaine d’Asmaa bint Abû-Bakr face à
la mort de son fils Abdullah Ibn -Zûbeir aux premiers temps de l’Islam, la mère
affligée se disait « fière » du courage de son fils, et même «
heureuse » de son martyr pour la noble cause
de l’Islam.
Plus, elle se montrait confiante dans le
paradis promis à Marwan par « l’oracle » d’un cheikh obscur qu’il avait croisé sur son chemin en Libye ; sûrement l’un de ces cheikhs missionnés
pour pousser Marwan et d’autres comme lui, à se jeter , sans se poser de questions, dans le brasier infernal de la guerre civile qui se
déroule en Syrie.
En effet, Marwan- que Dieu l’entoure de sa miséricorde -
maintenant inscrit sous le N°21305 dans le long registre des victimes de cette guerre, n’est pas le seul jeune Tunisien qui ait perdu
la vie en Syrie, plusieurs l’ont fait avant lui, et d’autres sont déjà prêts à
faire de même. Qui sont-ils ? Des noms et des visages bien de chez-nous : Abdelhadi
Gdiri, Walid Helal, Khemaies Mares,
Bassem Jarrai, Boulbaba Boukelch…. et la liste s’allonge de jour en jour.
D’autres, gravement blessés sont entre
la vie et la mort, tandis que plusieurs dizaines de nos jeunes concitoyens subissent
derrière les murs opaque et silencieux des prisons syriennes des sévisses «
gracieusement » servis par les geôliers de triste réputation du régime de
Bachar-al -Assad. Tout ceci se passe, en l’absence unilatéralement et
imprudemment décidée par notre gouvernement, d’une ambassade ou d’une
quelconque représentation tunisienne, qui puisse leur fournir la moindre
assistance ou protection.
La Tunisie serait-elle
devenue si généreuse de la vie ses enfants, si indifférente de leur sort, au point de les
fournir sans compter, comme chair
à canon, dans une guerre fratricide et
lointaine, qui se serait en vérité, bien dispensée de leur concours et de leur engagement ?
Revenons sur les pas de Marwan pour
imaginer, à partir des données que nous avons sur lui, l’itinéraire qui l’a amené jusqu’à son sort
tragique. Nous le faisons, parce que le bref parcours de Marouan
ressemble à celui de la plupart des jeunes qui ont suivi la même voie du
Jihadisme, que celle qu’il a choisie.
Né il y a vingt cinq
ans dans une famille de condition modeste dans le
quartier populeux et insalubre de Sijoumi , l’une des banlieue les plus
déshéritées de la capitale, Marwan fréquente comme les jeunes de sa génération et
de son quartier l’école , le lycée …et
les cafés. Adolescent, il découvre la mosquée, fait la connaissance des groupes qui s’y activent, et finit
par être non seulement un assidu de ses
cercles et un fervent pratiquant; mais aussi un militant actif au service d’une conception rigoriste de l’islam, qu’il doit défendre et
propager par le Jihad, partout et
au-delà de nos frontières.
Et c’est vers la Syrie
en pleine guerre civile, terrain devenu propice au Jihad que
Marwan se décide à partir.
Le restant du parcours
n’est que détails: Une traversée discrète des frontières vers la Libye, où sont établis les cheikhs recruteurs à la solde,
un séjour dans un camp d’entrainement et
au final, un billet
d’avion en aller simple à destination d’Istanbul.
Débarqué dans cette métropole qu’il voit pour la
première fois, il jette un regard furtif et détaché sur les belles
silhouettes des minarets de
l’Aya-sofia et de la mosquée
bleue, avant de rejoindre hâtivement la planque discrète dans laquelle il passe la nuit, avant d’être
dirigé clandestinement par les chemins de traverse, vers la frontière.
Arrivé en Syrie, Marwan
est enrôlé dans une Katiba de moujahidines étrangers, envoyé aux
avant-postes les plus risqués, et c’est
là qu’il succombe avant de mener son premier
combat.
Le cas de Marwan et
des centaines d’autres jeunes Tunisiens engagés dans le Jihad en dehors de nos
frontières : en Syrie, en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Somalie, au
Sahara et dans d’autres lieux nous
oblige à nous poser les deux questions suivantes :
D’abord : pourquoi et comment la
Tunisie est-elle devenue au cours de ces
dernières années l’un des plus grands terreaux
pourvoyeurs de moudjahidines de par le
monde ?
Ensuite : que
sera l’avenir de ces jeunes moujahidines
après leur retour en Tunisie, ou du moins ceux qui auront
la chance d’y retourner sains et saufs ?
Pourront-ils vraiment se réinsérer dans une vie normale, et accepter sans difficultés les règles du jeu
d’une société, qui ne croit pas comme eux, que le Jihad représente
de nos jours un idéal et une finalité ?
Deux questions auxquelles il n’est peut-être pas facile de trouver aujourd’hui des réponses, en attendant, le spectacle insoutenable
des mères désemparées, tenant chacune la photo-portrait d’un fils mort, blessé,
emprisonné ou disparu dans des guerres étrangères, continuera à nous
interpeller et à nous indisposer.
6 commentaires:
Il n'y aura jamais assez de larmes pour pleurer tant de folie, ni assez de mots pour condamner et fustiger ceux qui l'encouragent, l'accompagnent et la tolèrent.
C'est terrible et terrifiant à la fois. L'engrenage de la dictature d'une pensée archaïque et folle est une machine à broyer les âmes.
Cher Jalal,
Vous venez de donner une bonne définition du jihad dans votre dernier post. Ce mot convient-il pour qualifier l'aventure de ce jeune? Vous savez très bien qui recrute, qui paie, qui profite de la misère de ces jeunes. Un harragua qui meurt en mer n'est pas différent de ce jeune parti en Syrie, l'endoctrinement en moins. Il y a un riche terreau, dans l'ensemble arabe, de jeunes comme lui, déracinés, poussés par la quête de la subsistance vers les bidonvilles et les quartiers périphériques des zones urbaines où ils vivent de déchets et de miettes. La plupart sont d'extraction rurale, ou bédouine, frappés de plein fouet par la crise économique qui frappe le pays. Ils sont nombreux, non intégrés, sans avenir, sans espoir: des proies faciles pour un "jihad" douteux.
Chaque fois que la Tunisie se trouve en crise, on voit resurgir les illusions idéologiques (islamisme, arabisme) qui poussent les jeunes dans une fuite en avant, en l'occurrence vers l'extérieur .
Amitiés.
P.S. J'en profite pour vous demander si vous connaissez l'auteur de ce passage sur le temps qui commence ainsi : azzamanou haraka wal haraka baraka, wa 'indama yamoutou azzaman wa youchiou fi rakabin rahiib, tatalacha al-adhdad, etc. (je cite approximativement de mémoire) ?
Cher Hédi, je souscris entièrement à ce que vous écrivez
Concernant le passage que vous citez, vous me posez une colle. Je reconnais juste le proverbe لحركة بركة والبطالة هلكة
Amitiés
Le passage m'impressionne énormément par sa profondeur et sa concision. J'ai retrouvé sa transcription de l'arabe notée il y a une trentaine d'années. Je vous la livre, en espérant que vous sauriez la déchiffrer correctement —comme vous devez vous en douter je ne dispose d'un clavier arabe- peut-être que la référence à abou barakat al-Baghdadi peut vous guider.
az-zamaou haraka, wal haraka baraka, wa hinama yamoutou az-zamane wa youchi'ou fi ihtifalin mouhiban wa tandathirou "al An" ala had taabiir abou Barakat al-Baghdadi, wa tatasaawa al-adhdaad wa tatalaacha mina'l woujoud. Fa az-zaman yartabitou bi al-dhawahir wa qimatouhou al-mawdhou'iya tattajidou min khila'liha wa bidouniha yadhallou nouqtatan moujarradatan nanndhourou biha douna an na'yi madloulaha al-haqiqi wa ab'adouha al-moustaqbaliya.
Amitiés
Pour le clavier arabe, il vous suffit de googler "clavier arabe" et vous avez un clavier virtuel sur lequel vous pouvez écrire
Merci pour ce passage
Amitiés
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