jeudi 8 novembre 2012

Portrait d'un djihadiste tunisien. Par Boubaker Ben Fraj

Marwan, un aller simple vers Istambul
Boubaker Ben Fraj


«  Je suis contente pour mon fils,… je suis fière de lui…. si j’avais un autre fils, je l’enverrais aussi… c’est une fierté pour toute la Tunisie !»
 C’est par ces phrases  courtes et tranchantes, que la  mère  du jeune jihadiste Tunisien Marwan Achouri, tué au quartier Al-Mayadin à Damas au cours du mois de Juillet dernier, a répondu à l’envoyé de la chaine «  France 24 », venu recueillir à chaud ses sentiments, suite à la terrible nouvelle qu’elle venait d’apprendre  via la télévision syrienne.
Face à la caméra, le visage  endurci par la douleur du  deuil de son unique fils, la mère de Marwan ne laissait trahir ni faiblesse, ni tristesse, ni regret. Elle ne cherchait pas de consolation et ne voulait susciter ni compassion, ni pitié.
Dans   son attitude stoïque et inébranlable, qui nous  rappelle celle  bien lointaine d’Asmaa bint Abû-Bakr face à la mort de son fils Abdullah Ibn -Zûbeir aux premiers temps de l’Islam, la mère affligée se disait « fière » du courage de son fils, et même «  heureuse » de son martyr  pour la   noble cause de l’Islam.
 Plus, elle se  montrait confiante  dans  le paradis  promis à Marwan par  « l’oracle »  d’un cheikh obscur qu’il avait croisé  sur son chemin en Libye ;  sûrement l’un de ces  cheikhs missionnés pour pousser Marwan et d’autres comme lui,  à se jeter , sans se poser de questions, dans  le brasier infernal de la guerre civile qui se déroule en Syrie.
En effet, Marwan- que Dieu l’entoure de sa miséricorde - maintenant inscrit sous le N°21305 dans   le long registre des  victimes de cette guerre,  n’est pas le seul jeune Tunisien qui ait     perdu la vie en Syrie, plusieurs  l’ont  fait avant lui, et d’autres sont déjà prêts à faire de même. Qui sont-ils ? Des noms et des  visages bien de chez-nous : Abdelhadi Gdiri, Walid  Helal, Khemaies Mares, Bassem Jarrai, Boulbaba Boukelch…. et la liste s’allonge de jour en jour. D’autres, gravement  blessés sont entre la vie et la mort, tandis que   plusieurs dizaines de nos jeunes concitoyens subissent derrière les murs opaque et silencieux des prisons syriennes des sévisses «  gracieusement » servis par les geôliers de triste réputation du régime de Bachar-al -Assad. Tout ceci se passe, en l’absence unilatéralement et imprudemment décidée par notre gouvernement, d’une ambassade ou d’une quelconque représentation tunisienne, qui puisse leur fournir la moindre assistance ou  protection.
 La Tunisie serait-elle devenue si généreuse de la vie ses enfants,  si indifférente de leur sort, au point de  les  fournir  sans compter, comme chair à canon, dans une guerre fratricide  et lointaine, qui se serait en vérité, bien  dispensée de leur  concours et de leur engagement ?
Revenons sur les pas de Marwan  pour  imaginer, à partir des données que nous avons sur lui,  l’itinéraire qui l’a amené jusqu’à   son sort tragique. Nous le faisons, parce que le bref parcours  de Marouan  ressemble à celui de la plupart des jeunes qui ont suivi la même voie du Jihadisme, que celle qu’il a choisie.
 Né il y a vingt cinq ans dans une famille de condition  modeste   dans le quartier populeux et insalubre de Sijoumi , l’une des banlieue les plus déshéritées de la capitale, Marwan  fréquente comme les jeunes de sa génération et de son quartier  l’école , le lycée …et les cafés. Adolescent, il découvre la mosquée, fait la connaissance  des groupes qui s’y activent, et finit par être non seulement  un assidu de ses cercles et un fervent pratiquant; mais aussi un militant actif  au service d’une conception  rigoriste de l’islam, qu’il doit défendre et propager par le Jihad,  partout et au-delà de nos frontières.
Et c’est vers  la Syrie en pleine guerre civile, terrain devenu propice au Jihad   que Marwan  se décide à partir.
 Le restant du parcours n’est que détails: Une  traversée  discrète des frontières vers la Libye, où  sont établis les cheikhs recruteurs à la solde, un séjour  dans un camp d’entrainement et au final,  un   billet d’avion en aller simple à destination d’Istanbul.
 Débarqué  dans cette métropole qu’il voit pour la première fois,  il  jette un regard furtif et détaché sur les belles silhouettes des minarets de  l’Aya-sofia  et de la mosquée bleue, avant de rejoindre hâtivement la planque discrète dans laquelle  il passe la nuit,  avant    d’être dirigé clandestinement par les chemins de traverse, vers la frontière.
 Arrivé en Syrie, Marwan  est enrôlé dans une Katiba de  moujahidines étrangers, envoyé aux avant-postes les plus risqués,  et c’est là qu’il  succombe avant de mener son premier combat.
 Le cas de Marwan et des centaines d’autres jeunes Tunisiens engagés dans le Jihad en dehors de nos frontières : en Syrie, en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Somalie, au Sahara  et dans d’autres lieux   nous oblige à nous poser les deux questions suivantes :
D’abord : pourquoi et comment  la Tunisie est-elle  devenue au cours de ces dernières années  l’un des plus grands terreaux pourvoyeurs de moudjahidines  de par le monde ?

Ensuite : que sera l’avenir de ces  jeunes moujahidines après leur retour en Tunisie, ou du moins ceux   qui auront  la chance d’y retourner sains et saufs ? Pourront-ils vraiment se réinsérer dans une vie normale,  et accepter sans difficultés les règles du jeu d’une société, qui ne croit pas comme eux, que le  Jihad  représente de nos jours un idéal   et une finalité ?

Deux questions  auxquelles il n’est peut-être pas facile  de trouver aujourd’hui  des réponses, en attendant, le spectacle insoutenable des mères désemparées, tenant chacune la photo-portrait d’un fils mort, blessé, emprisonné ou disparu dans des guerres étrangères, continuera à nous interpeller et à nous indisposer.


6 commentaires:

giulio a dit…

Il n'y aura jamais assez de larmes pour pleurer tant de folie, ni assez de mots pour condamner et fustiger ceux qui l'encouragent, l'accompagnent et la tolèrent.

Brigitte Giraud a dit…

C'est terrible et terrifiant à la fois. L'engrenage de la dictature d'une pensée archaïque et folle est une machine à broyer les âmes.

Hédi Dhoukar a dit…

Cher Jalal,
Vous venez de donner une bonne définition du jihad dans votre dernier post. Ce mot convient-il pour qualifier l'aventure de ce jeune? Vous savez très bien qui recrute, qui paie, qui profite de la misère de ces jeunes. Un harragua qui meurt en mer n'est pas différent de ce jeune parti en Syrie, l'endoctrinement en moins. Il y a un riche terreau, dans l'ensemble arabe, de jeunes comme lui, déracinés, poussés par la quête de la subsistance vers les bidonvilles et les quartiers périphériques des zones urbaines où ils vivent de déchets et de miettes. La plupart sont d'extraction rurale, ou bédouine, frappés de plein fouet par la crise économique qui frappe le pays. Ils sont nombreux, non intégrés, sans avenir, sans espoir: des proies faciles pour un "jihad" douteux.
Chaque fois que la Tunisie se trouve en crise, on voit resurgir les illusions idéologiques (islamisme, arabisme) qui poussent les jeunes dans une fuite en avant, en l'occurrence vers l'extérieur .
Amitiés.
P.S. J'en profite pour vous demander si vous connaissez l'auteur de ce passage sur le temps qui commence ainsi : azzamanou haraka wal haraka baraka, wa 'indama yamoutou azzaman wa youchiou fi rakabin rahiib, tatalacha al-adhdad, etc. (je cite approximativement de mémoire) ?

Jalel El Gharbi a dit…

Cher Hédi, je souscris entièrement à ce que vous écrivez
Concernant le passage que vous citez, vous me posez une colle. Je reconnais juste le proverbe لحركة بركة والبطالة هلكة
Amitiés

Hédi Dhoukar a dit…

Le passage m'impressionne énormément par sa profondeur et sa concision. J'ai retrouvé sa transcription de l'arabe notée il y a une trentaine d'années. Je vous la livre, en espérant que vous sauriez la déchiffrer correctement —comme vous devez vous en douter je ne dispose d'un clavier arabe- peut-être que la référence à abou barakat al-Baghdadi peut vous guider.

az-zamaou haraka, wal haraka baraka, wa hinama yamoutou az-zamane wa youchi'ou fi ihtifalin mouhiban wa tandathirou "al An" ala had taabiir abou Barakat al-Baghdadi, wa tatasaawa al-adhdaad wa tatalaacha mina'l woujoud. Fa az-zaman yartabitou bi al-dhawahir wa qimatouhou al-mawdhou'iya tattajidou min khila'liha wa bidouniha yadhallou nouqtatan moujarradatan nanndhourou biha douna an na'yi madloulaha al-haqiqi wa ab'adouha al-moustaqbaliya.
Amitiés

Jalel El Gharbi a dit…

Pour le clavier arabe, il vous suffit de googler "clavier arabe" et vous avez un clavier virtuel sur lequel vous pouvez écrire
Merci pour ce passage
Amitiés