jeudi 27 décembre 2012

Epictète.

"Comme au cours d'une traversée, si le navire a fait relâche et si tu vas puiser de l'eau, tu peux en route, accessoirement, ramasser un coquillage ou un oignon. Mais il faut que ta pensée soit toujours tendue vers le navire et que ton visage sans cesse y soit tourné, de peur que par hasard le pilote ne t'appelle. Et, s'il t'appelle, il faut tout laisser là, afin que tu ne sois point attaché et jeté comme un mouton. Il en est de même aussi dans la vie. Si, en effet, au lieu d'un coquillage ou d'un oignon, une femme ou un enfant te sont donnés, rien ne s'y oppose. Mais si le pilote t'appelle, cours au navire, laisse tout et ne te détourne pas. Si toutefois tu es vieux, ne t'écarte pas beaucoup du navire, de peur de risquer de manquer à l'appel."
Epictète Manuel. VII

8 commentaires:

giulio a dit…

Citation fort caractéristique d’Épictète, philosophe qui me ressemble hélas beaucoup en ce qu'il n'est pas homme à brûler ses vaisseaux comme les Agathocle et autres Colomb qui exclurent tout regard, tout retour vers l'arrière. À la limite, lointain cousin de la femme de Loth, changée en bloc sel pour n'avoir pas renoncé à regarder en arrière, à regretter le passé, donc figée comme pierre dans l'acquis et incapable d'aborder les aléas de l'avenir. Epictète pourrait donc avoir inventé le "un tiens vaut deux tu l'auras" ou le "une perdrix dans la main vaut mieux qu'un pigeon sur le toit.

Il me ressemble en ce que son courage n'aura su être que stoïque, passif (sa condition d'esclave, les sévices infligées par son maître, donc par son destin), mais inapte à lui faire prendre le large vers les risques incertitudes rêvées. Modestement récompensé de son stoïcisme et de sa sage prudence par l'affranchissement de sa condition d’sclave, puis par la modeste prospérité que lui assure le succès de son enseignement. Il me ressemble en ce qu'il mérité d'être loué pour ce qu'il a eu le courage de ne pas faire plutôt que pour la hardiesse d'avoir su l'élancer vers ces horizons auxquels il n'aura jamais su que rêver.

Épictète, le raisonnable, aura été le jonc qui ploie devant l’orage, lui survit et se loue de sa médiocre sagesse, en voyant le chêne brisé et lesdeux oiseaux foudroyés à ses pieds. Mais sa sagesse le consolera-t-elle de ne pas avoir été parmi ces autres chênes ou ces autres oiseaux, dont, après avoir bravé et survécu à la tempête, les premiers se dressent toujours fièrement vers le ciel et les autres défient les nuées ?

Djawhar a dit…

Tout à fait d’accord avec votre raisonnement, cher Giulio.

Chaque homme fait de sa vie ce qu’il en veut, mais on sait qu’il y a l’esclave ou le poltron qui suit le maître du navire et celui qui se fait lui - même le maître, le capitaine de son navire.

"I am the master of my fate; I am the captain of my soul." écrit à juste titre William Ernest Henley qui fut, comme par hasard, tel Epictète,infirme .

Djawhar a dit…

@ Giulio,
Je voulais dire que je suis complètement d’accord avec votre raisonnement sur Epictète et non sur vous cher ami.

giulio a dit…

On est ce que l’on est et ce que l’on a su et pu être, chère Djawhar. On a fait ce que l’on a fait et réalisé ce que l’on a pu réaliser en fonction de ce l’on est et que l’on a su et pu être. Tout est dans la différence entre le pu et le su, le savoir et le pouvoir être, faire, réaliser, devenir, thésauriser, apporter, conserver, donner, économiser, dépenser, s’économiser, se dépenser, etc.… J’entends…

SAVOIR dans le sens d’avoir la potentialité, le goût, le désir, l’aspiration, les prémisses, les dons, etc.… donc d’être capable de voir et regarder plus loin que son ombre.

POUVOIR dans le sens d’avoir la force, le courage, la chance et de savoir la saisir, l’endurance, etc.… donc de savoir sauter plus loin que son ombre.

Celui qui savait, qui eût pu, qui avait la possibilité, mais n’a pas su ou voulu e profiter pour quelque raison que ce soit (les excuses, prétextes, raisons, les hasards, certaines fidélités, certains devoirs, des incidents et accidents, le fatum enfin, ne font jamais défaut), celui peut légitimement se poser un jour, le soir venu, la question de savoir, si le discernement, la raison, la sagesse qui déterminèrent sa vie, ne correspondaient pas plutôt au choix de la facilité, de la commodité, de la conciliation ou de l’opportunisme. Les fruits de sa résignation sont mangeables, certes, mais ni délectables ni vraiment satisfaisants. Il faut toutefois qu’il trouve au moins ce courage là, de ne pas déclarer verts les raisins qu’il n’aura pas su ou pu cueillir.

Djawhar a dit…

Voici donc, quand même, une pensée qui a fini par m’embobiner chez Epictète:
"Le maître d'un homme, c'est celui qui a la puissance sur ce que veut ou ne veut pas cet homme, pour le lui donner ou le lui ôter. Que celui donc qui veut être libre, n'ait ni attrait ni répulsion pour rien de ce qui dépend des autres; sinon, il sera fatalement malheureux."

giulio a dit…

Merci de ce nouvel extrait, chère Djawhar, qui vient confirmer mon approche de ce stoïcien :
Le "Ne désirez pas ce que vous ne pouvez avoir!" ou le bonheur ataraxique de l'absence de désir plutôt que sa satisfaction. Le bonheur comme absence de malheur ? Une sagesse à minima ?

Comment cela peut-il t'"embobiner"
Qu'entends-tu d'ailleurs par là ?
Enthousiasmer ? ... en tout cas pas moi.
Poser problème ? ... oui, ça oui.

Jalel El Gharbi a dit…

Chers amis, ce qui m'a interpellé dans cette citation, c'est surtout le côté rhétorique : une description animée, une idée rendue visible. Une allégorie, si elle n'était pas trop animée, de la vie. Contrairement à l'allégorie, l'image vit ici d'elle-même. Elle est ce que la rhétorique appelle hypotypose.
Amitiés et meilleurs voeux à vous tous

Djawhar a dit…

Au moment où notre ami Jalel s’intéresse au côté rhétorique des phrases de ses modèles, vous et moi, cher Giulio, nous nous débattons dans des intentions de morale. Et ce pauvre Épictète, que n’a-t-il pas entendu de mes sous-entendus surtout ! Et, s’il m’enthousiasme, il vous pose problème, et quand vous dites qu’il vous ressemble, ca me pose à moi un grave problème. Alors pourquoi ne pas faire comme Jalel et ne voir que rhétorique ? Renvoyons-lui la balle, cher Giulio, et empruntons son chemin (même si en face de ce géant de la rhétorique, toute entreprise de ce genre est vouée à l’échec, en ce qui me concerne au moins). Je commence par l’anaphore :
J’accuse cet homme de m’avoir embobinée, oui, enthousiasmée en me faisant croire que l’Epictète qui se creuse la cervelle sur son blog est l’Epictète que je me suis mise en tête.
J’accuse cet homme de vous avoir fait croire qu’Épictète, qui n’est qu’une image de style sur son blog, vous ressemble, vous l’homme à l’infinité de facettes de bonheur, de liberté et de créativité.
J’accuse…

Amitiés et vœux de bonheur à vous deux.