dimanche 4 août 2013

Ivo Batocco : Retour sur… la route de l’espoir. Giulio-Enrico Pisani

Giulio-Enrico Pisani
Zeitung Vum Lëtzbuerger Vollek
Luxembourg, août 2013

Un ordinateur personnel a-t-il le droit de prendre des vacances?  Pire, sans aucun préavis?  Et, pis encore, le lendemain du vernissage (le 25 juillet) d’une exposition aussi unique qu’émouvante, aussi magistrale qu’attachante, exposition dont je voulais vous parler sans tarder, le lendemain même?  Et... patatras, voilà qu’après quelques signaux lumineux énigmatiques, ce f... PC cesse de collaborer.  J’eus pourtant tellement voulu que vous soyez non seulement informés de cet évènement exceptionnel – ce qui est à la portée du premier quotidien venu –, mais introduit, grâce à ma présentation dans notre Zeitung, dans l’esprit même que le peintre Ivo Batocco a insufflé à son exposition.  J’eus tellement aimé que vous soyez parmi les tout premiers à participer à la formidable aventure qu’il nous conte à travers ses bouleversantes peintures et encres de Chine.  Cas de force majeure donc, mais ce n’est que partie remise, amis lecteurs, car, par bonheur, le Centre Culturel de Rencontre de l’abbaye Neumünster expose dans son splendide déambulatoire «La rotta della speranza» (La route de l’espoir) d’Ivo Batocco jusqu’au 15 septembre.[1]
Laissez-moi tout d’abord vous présenter notre peintre, un artiste à la stature michelangelesque, comme il n’en existe quasiment plus de nos jours.  Né à Cingoli (pr. de Macerata, dans les Marches, en Italie) en 1944, il apprend les premiers rudiments de l’art dans l’atelier de son cousin, Raul Batocco, doyen de l’Académie des beaux-arts de Macerata.  Mais ce n’est qu’après avoir obtenu quelques succès comme amateur et notamment en 1968 au I. Premio Avis à Jesi (Ancona) et après avoir exercé divers métiers, qu’il se consacre, à partir de 1972, à la peinture et, pour commencer, à la caricature puis à l’illustration de couvertures de livres et de pochettes de Cd musicaux.  Dans les années soixante-dix il participe à une cinquantaine de concours et d’expositions collectives, puis ouvre, en 1975, son propre studio à Cattolica (pr. de Rimini), où il restera jusqu’en 1994, date de son retour dans sa ville natale de Cingoli. 
À cette époque il avait toutefois déjà trouvé le chemin de notre petit Grand-duché, grâce à la Den Norske Creditbank, qui a décoré sa succursale de Luxembourg avec nombre de ses oeuvres.  Et ce fut le début d’une belle histoire d’amour qui aboutit en 1995 à l’obtention par Ivo Batocco de la citoyenneté honoraire de la Commune d’Hesperange et à une exposition personnelle à la Pinacothèque Communale.  En 2005 Ivo Batocco a réalisé "Il suono di Euterpe nel cielo" (Le son d’Euterpe dans le ciel) une oeuvre murale aussi monumentale que, à mon humble avis, discutable pour l'École de Musique ARCA de Bertrange.  Quoique l’activité principale de l’artiste se déroule en Italie, où les expositions et les commandes prestigieuses se multiplient, il n’oublie pas l’accueil qui lui a été fait au Luxembourg, où on ne l’a pas oublié non plus.  Aussi, à l’occasion de la rénovation du Centre Culturel et Sportif Atert en 2010, la Commune de Bertrange organise une exposition sur les différentes phases créatives (de 1975 à 2010) de cet immense artiste devenu son citoyen d’honneur.  Dommage que je n’ai pas pu assister pour vous à cet évènement qui a certainement dû former un saisissant raccourci à travers la quarantaine d’expositions individuelles présentées par l’artiste surtout en Italie et au Luxembourg.[2], mais aussi en Autriche, en Suisse, en Espagne et en France.
Il est certain que, découvrant seulement aujourd’hui cet extraordinaire artiste, je ne suis pas en mesure de parcourir, ni de vous présenter, son cheminement à travers presque quatre décades de créations picturales.  Ivo m’a d’ailleurs confirmé, lors de notre rencontre à son vernissage, qu’il n’a voulu assujétir sa créativité à aucun style ni aucune catégorie ou école prédéfinie.  Il a en effet un peu touché à tout, comme à la caricature, à l’illustration, mais aussi à l’abstrait, au symbolisme ou au surréalisme, tout en revenant toujours à la figuration.  Mais il s’agit d’une figuration qui n’appartient qu’à lui et qu’il a portée ces derniers temps à un degré de perfection dans l’expressivité, ainsi que dans la finesse et la force du dessin, particulièrement valorisé dans ses sanguines, charbons ou pastels, qui laisse pantois d’admiration.  Seul les plus grands artistes du Cinquecento ont su rendre les aspects tragiques du destin humain avec une telle profondeur, autant de puissance et d’intensité, mais aussi avec une finesse et une sobriété du même ordre. 

Puissamment dramatique, mais à la force contenue, comme bridée, retenue avant l’explosion, son réalisme «renaissance mûre» n’a rien à voir avec l’opulent réalisme baroque, le mièvre rococo ou le maniéré et le pompier des trois siècles suivants.  Je pense bien plus à Léonard da Vinci, à Michel-ange, au Titien, au Véronèse ou au Caravage, et je n’exagère en rien...  Sauf que tous ces maîtres de la Renaissance ne pouvaient ni voir ni prévoir l’immense exode des forces vives qui saignerait trois à quatre siècles plus tard leur infortuné pays ruiné par les guerres et la gestion désastreuse des terres agricoles par les grands propriétaires fonciers.  Quant à moi, c’est en plein dans «Cuore», ce bouleversant chef-d’oeuvre de l’écrivain humaniste Edmondo De Amicis, que me replongea l’impressionnante et attachante galerie des personnages racontés par Ivo Batocco, et qui ne pouvaient que bouleverser en moi le petit émigré que je fus naguère.  Et mon sentiment rejoint en partie ce qu’en dit Frank Colabianchi, bourgmestre de Bertrange:
«Les oeuvres de l’artiste Ivo Batocco témoignent d’une profonde émotion pour une humanité à la recherche de la perfection, souvent non atteinte, mais toujours dans l’option d’un voyage jamais achevé, recherché avec l’espoir, peut-être non assouvi. En contemplant ses oeuvres on ne peut que confirmer cette caractéristique du travail d’Ivo. Un dicton pour conclure: ...  «Tout le monde est étranger, presque partout...».  Le Luxembourg le vit au quotidien».  À quoi on peut ajouter les mots de Francesco Neri, Directeur de l’Institut Italien de Culture au Luxembourg: «... Pendant environ cent ans, entre la moitié du XIXème et le début du XXème siècle, des millions de nos compatriotes ont quitté leur pays à la recherche d’un avenir meilleur (...) il ne faut pas oublier les immenses souffrances morales et physiques des émigrants italiens obligés à abandonner leurs villes et leurs campagnes, les conditions de travail souvent inhumaines qu’ils devaient supporter, leurs durs efforts d’épargne pour soutenir leurs familles. Les oeuvres de M. Ivo Batocco nous aident à ne pas oublier ce passé: il s’agit d’une mémoire indispensable...»
Oui, tout le monde a espéré, espère ou devra un jour espérer sa terre promise, son Eldorado ou son Amérique, aujourd’hui son Europe et demain… qui sait?  Une nouvelle planète?  En ce qui me concerne, amis lecteurs, je conclurai en vous conjurant de ne pas manquer cette superbe «mostra», où la perfection du dessin, la finesse des sentiments exprimés et la force des passions contenues ne cède en rien à l’émotion que peuvent engendrer ses tableaux en chacun d’entre nous.  




[1]  Centre Culturel de Rencontre Neumünster, Rives de Clausen, expo ouverte tous les jours de 11.00 à 18.00 h. jusqu’au 15 septembre 2013.
[2]  Galerie Becker en 1992 et 1995 ; Pinacothèque communale d’Hesperange en 1995 ; Centre Atert Bertrange en 1997, 2000, 2003 et 2010 ; École de Musique – ARCA – Bertrange en 2010.

5 commentaires:

christiane a dit…

Très étonnant cette part de blanc préservé dans ses œuvres. Puissance du vide qui donne sa force à la composition. Liées pour moi aux encres chinoises.

giulio a dit…

Très étonnant aussi, chère Christiane, que, l'ayant pourtant observé, je ne me sois pas posé la question.

Mais pourquoi ne feriez-vous pas un saut à Luxembourg, pour visiter cette expo exceptionnelle. Croyez-moi ; ça vaut le déplacement. Trop Loin ? Ma femme et moi somme bien allés à Paris (2 h de TGV) voir la réouverture d'Orsay, les expos sur Chagall, Turner, Manet et j'en passe...

giulio a dit…

P.S.: je viens découvre par hasard sur le blog EMMILA GITANA sur un petit poème de Paul Vicensini qui explique peut-être les "blancs" (vide) d'Ivo Batocco :

EN SOMME

La vie en somme
M’aura donné de tout
A satiété
Poil à gratter
Poudre à éternuer
Et d’escampette

Et la sagesse
D’aller sans cesse ailleurs
Cerner
Gratter
Creuser le vide

Le vide seul en fin de compte
N’a pas changé
Le vide seul

Aussi j’y tiens...

christiane a dit…

Comme c'est beau ce poème...
Oui, venir faire un tour au Luxembourg... j'y pense...
Là, je me prépare pour "L'eau et les reflets" à Rouen et dans la même ville retrouver des souvenirs... en marchant.
Fabienne Verdier - dont j'aime l’œuvre puissante, dans un entretien avec Charles Juliet,dit : "Au commencement était le vide... Je prends un temps absolu à l'inventer, car il me semble essentiel. Le fond d'un tableau reflète pour moi l'immensité du vide..."
Amitié fidèle

giulio a dit…

Vous espère donc chère Christiane de pied ferme
dans le double sens (espagnol) du terme.