Dans l'article ci-dessous, notre ami Boubaker Ben Fraj montre que l'intervention de l'Algérie dans la crise politique tunisienne ne relève pas de l'ingérence.
Notre voisin Algérien et nous
Par Boubaker ben Fraj
A un jour d’intervalle, le Président algérien Abdelaziz
Bouteflika, à peine remis de sa lente convalescence, reçoit à Alger,
successivement Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahdha, et Béji Caid Essebsi,
leader du parti Nida Tounes ; deux personnalités clés qui dirigent les deux
partis prépondérants dans la scène politique tunisienne : le premier au pouvoir
et le second, chef de file de la coalition de l’opposition.
Ghannouchi et Essebsi disent,
sans convaincre personne, s’être précipités à Alger avant tout, pour s’enquérir
courtoisement et fraternellement de la santé de Bouteflika, et pour le
féliciter de la récente reprise de ses
activité.
Quant aux communiqués officiels,
supposés rapporter tant la teneur des longues entrevues avec le Président algérien,
que celle des réunions préparatoires confidentielles avec les hauts dignitaires
de son gouvernement , ils sont, comme on devait s’y attendre, formulés en des
termes généraux, conventionnels et diplomatiques, qui laissent transparaitre
très peu de choses d’un côté, sur les véritables tenants et aboutissants de ces
deux visites , et de l’autre, sur le contenu des discussions qui ont eu lieu,
entre Bouteflika et ses deux hôtes.
Mais, secret de
Polichinelle, les commentaires fusent, et tous les observateurs, tant tunisiens
qu’algériens et internationaux, savent
par la force des choses, que cette rapide escapade algéroise à un jour près,
des deux principaux adversaires politiques du moment, n’est nullement de
l’ordre des coïncidences.
Tous le monde sait aussi, que le premier objet de ces deux
visites, organisées à l’initiative des autorités algériennes à leur plus haut niveau,
n’est autre que la recherche d’une issue rapide à l’impasse politique qui bloque
aujourd’hui notre pays, et d’une fin au bras de fer, qui perdure entre le
pouvoir en place de la Troïka, et l’opposition.
Une impasse, qui risque, aux yeux des Algériens si elle
persiste, de compromettre la stabilité politique de la Tunisie, et de
compliquer gravement et durablement une situation sécuritaire devenue, après
tout ce qui est arrivé, trop alarmante.
Alarmante, non seulement pour les Tunisiens, mais aussi pour
les responsables algériens ; eux qui savent mieux que quiconque, que les
groupes armés, étroitement liés à Al-Qaïda dans le Maghreb islamique « AQMI »,
qui ont réussi à la faveur du relâchement sécuritaire qui a suivi la révolution
à prendre pied en territoire tunisien, à un jet de pierre de chez eux, ne
reconnaissent pas de frontières et n’en font aucun cas. Et de ce fait, ces
groupes jihadistes aguerris comptent, au cas où ils parviennent à élargir ou à
pérenniser leur présence en Tunisie, constituer une rallonge stratégique et un renfort
opérationnel de taille, pour les groupes combattants de la même allégeance, qui infestent depuis
deux décennies, et encore aujourd’hui, le territoire algérien lui-même.
Aussi, les Algériens, qui semblent ces derniers temps
aléatoirement rassurés du côté de leur frontière Sud avec le Mali, ont-ils du
même coup, les raisons sérieuses de s’inquiéter de la détérioration dramatique de
la situation sécuritaire dans notre pays, notamment le long d’une frontière commune, longue d’un
millier de kilomètres, qu’ils savent de part et d’autre, trop perméable,
difficilement contrôlable ; et qui s’apprête bien, tant aux infiltrations
des hommes que des armes, sans parler des trafics de toutes sortes, qui leurs
servent de terreau et de source de financement. Longue frontière commune,
enchevêtrée, souvent montagneuse, peuplée et boisée, qu’il est très difficile,
sinon impossible de maîtriser militairement, quels que soient les moyens que l’Etat
algérien serait en mesure de mobiliser
et les sacrifices qu’il serait obligé de consentir.
C’est donc la raison essentielle,
voire l’urgence, qui a pressé nos voisins algériens au cours de ces derniers
jours, à ouvrir les canaux les plus courts, les plus directs et les plus
rapides, du dialogue avec les deux principaux protagonistes de la scène
politique tunisienne. Ils veulent avant tout parer autant que faire se peut,
aux menaces réelles qui pèsent sur leur propre sécurité, à partir de la Tunisie
et à cause de ce qui passe chez nous.
Nos voisins de l’Ouest
seraient, en prenant cette initiative de dialogue, beaucoup plus soucieux
d’écarter l’incendie de leur propre demeure, ou au moins d’en diminuer les
risques, que motivés par une volonté délibérée d’ingérence dans nos affaires
intérieures ; une volonté d’ingérence improbable guidée par une arrière
pensée hégémonique, et qui serait pour l’Algérie elle-même, autant que pour la
Tunisie, une aventure aux conséquences hasardeuses, dont ni l’un ni l’autre des
deux pays voisins, n’est actuellement en mesure d’engager, ou d’en d’assumer le
prix et les conséquences .
Cessons alors d’établir
à la va-vite des comparaisons entre des incomparables ; comparaisons qui
ne résistent, ni aux arguments de l’Histoire, ni à ceux de la géographie :
la Tunisie n’est et ne sera jamais le Liban, et l’Algérie n’est et ne sera pas
la Syrie.
1 commentaire:
L’Algérie est un voisin et partenaire puissant et, sans remonter à l'histoire ancienne des deux pays, on peut dire que, depuis l'indépendance, son influence sur la politique intérieure et extérieure de la Tunisie n'est plus à prouver. Il suffit de lire les mémoires de certains anciens ministres de Bourguiba ou les interviews de l'intriguant et homme de réseaux Kamel el-Taief pour se convaincre que les grandes décisions de l’État tunisien sont soumises à l'appréciation et au consentement préalables des autorités algériennes. El-Taief, homme du sérail, fut l’un des principaux instigateurs du «coup d’Etat médical » du 7 novembre 1987, interrogé à propos de la préparation de la prise du pouvoir par Ben Ali, disait en réponse à la question ''On dit que vous avez prévenu les Algériens, et eux seuls. Est-ce vrai ?''
- ''Le hasard a voulu que le ministre de l’Intérieur algérien. Hédi Khédiri, soit en visite à Tunis alors que nous préparions le renversement de Bourguiba. J’ai en effet suggéré à Ben Ali de le mettre dans la confidence afin que le président Chadli Bendjedid soit informé de notre projet. Le chef de l’État algérien a donné son feu vert, en y mettant une condition : que Bourguiba soit bien traité.''
Les algériens ''ne sont pas motivés par une volonté délibérée d’ingérence dans nos affaires intérieures'' disait l'auteur de cet article. Si ce n'est pas de l'ingérence, Dieu que ça lui ressemble ! Certains disent même que le coup d'état a été suggéré par les autorités algériennes. En tout cas, sans l'aval de nos voisins, Ben Ali aurait bénéficié d'une tranquille retraite anticipée et la Tunisie aurait eu un destin différent.
''la Tunisie n’est et ne sera jamais le Liban, et l’Algérie n’est et ne sera pas la Syrie.'' C'est possible, sauf que le futur n'est jamais garanti. Et comme disait , semble-t-il , Antigone : ''Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m'en charge !"
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