Jamais la presse n’a été aussi libre et les journalistes aussi enchaînés. Ce paradoxe vient de ce que, en ces temps tumultueux, la chose et sa négation coexistent. Libres, les journalistes tunisiens le sont. La sphère de l’interdit a rétréci comme une peau de chagrin. Les tabous politiques sont tombés. Sur chaque plateau de TV dans ces talk-shows, qui font le succès des chaînes de TV et même des chaînes de radio comme Mosaïque FM, les politiques sont fustigés tant la critique est implacable. Il semble même qu’il n’y ait aucune limite politique. Quand il est question de religion ou de mœurs, il vaut mieux être prudent....
La suite de mon texte, sur babelmed :
http://www.babelmed.net/cultura-e-societa/113-tunisia/13489-la-liberte-de-la-presse-au-peril-de-la-vie.html
4 commentaires:
Quel bel article, cher Jalel, et si bien documenté ! Il nous renseigne excellemment sur cette volonté d'imposer à tout prix son idéologie islamiste par les tenants de la peste nahdhaouie, dont les aspirations hégémoniques à l'intérieur n'ont d'égal que l'hypocrisie à l'extérieur. À l'instar de Ben Ali, ses champions (Ghanouchi (gourou de Nahdha) et Marzouki, sa carpette présidentielle), multiplient les auto-laudationes et la flagornerie pro-euro-démocratique dans les médias occidentaux. Aux dernières nouvelles le père spirituel des salafistes djihadistes tunisiens qu'est Ghanouchi serait un fervent admirateur du modèle démocratique scandinave.
Mais il y a un ÉLÉMENT, pourtant à mon avis essentiel, que tu ne fais que frôler, allant jusqu'à en distraire involontairement sans doute le lecteur, en l'amenant sur le terrain d'une critique très justifiée du pouvoir, mais exclusivement des politiciens au pouvoir et de leurs sbires et clients. Tu écris : « Quand il est question de religion ou de mœurs, il vaut mieux être prudent », mais coinces cette phrase entre deux chants à la liberté retrouvée... quitte à démontrer ensuite les limites, le côté factice et les dangers de cette liberté pour les journalistes et les blogueurs, mais en en imputant À RAISON la responsabilité au pouvoir, mais À TORT exclusivement au pouvoir.
Il me semble, en effet, que cet ÉLÉMENT, sous-jacent, mais omniprésent et ancré dans une justice coutumière associée aux valeurs de l’islam populaire, n’a pris, chez nombre de juges plus islamo-conservateurs qu’islamistes de la révolution de 2011, que la libération d’une chape mi-laïque bourguibo-ben-alienne, mais non la LIBERTÉ. Bien sûr, la caution tacite de la majorité au gouvernement ne gâchait rien, mais il ne semble pas qu’elle fût essentielle, tant qu’une nouvelle constitution en faveur de la liberté ne les force à la respecter. Je pense donc que même sans Nahdha, mais simplement à cause d’un manque de libertés constitutionnelles clairement définies dans l’après-Ben-Ali, Ghazi Beji et Jaber Mejri, eussent pu être condamnés pour sacrilège par quelque juge traditionaliste. Où ai-je donc lu/entendu que l’Islam était davantage une religion de tradition et de culture que de foi transcendantale. Il se pourrait donc que ce ne seraient pas seulement les islamistes à être liberticides (quitte à ce que ces derniers surfent sur la vague et en fassent leur beurre), mais les traditions, convictions et croyance populaires, ainsi qu’une justice qui en est issue et y puise sa légitimité. Qu’en penses-tu ?
Oui, cher Giulio, j'ai procédé par litote : je dis le moins pour suggérer le plus, pour le signifier.
Tu as raison, à ceci près que ce que nous vivons, c'est un conflit entre deux conceptions de l'islam : l'islam wahabite (soutenu par la rente pétrolière) qui est la tradition érigée en lois immuables et une conception tunisienne (Zeitounienne pour inclure le Maghreb et l'Afrique), qui est CULTURE, expérience ontologique, transcendantale, mettant la raison au dessus de tout (dans la lignée de Abul Hassen Al Achari, qui était moatazalite, c'est-à-dire imbu de culture grecque)
Amicalement
Oui, cher Jalel, cela tu me l'as déjà dit/écrit à plusieurs reprises et tu sais bien que j'en ai fait mon miel dans plusieurs de mes articles. Mais ce que je pointe du doigt aujourd'hui, c'est une autre dichotomie, un peu celle que l’on pourrait définir par analogie avec le Wiktionnaire comme étant une bifurcation entre le développement historique naturel (vers les traditions, coutumes, le «menschlich allzu menschlich» populaire de la vie islamique et l’idéal religieux théorique auquel adhèrent les penseurs religieux zeitouniens et des croyants cultivés. (P.J. Vatikiotis, «L’Islam et l’État» 1987, trad. Odette Guitard, 1992, p.56).
Ce qu’il me semble constater, c’est que malgré le très haut taux d’alphabétisation, scolarisation et académisation tunisien, il reste encore une vaste population ancrée dans la tradition et les coutumes locales ancestrales constituant un terreau très épais qui s’oppose, plus par inertie et ignorance que par mauvaise volonté, non pas à l’idée de la liberté, mais à certaines de ses conséquences : celles qui vienne troubler ses certitudes transmises d’une génération à l’autre. C’est – je pense – les croyances de cette population là, que bien de juges, qui en sont souvent issus, caressent dans le sens du poil. Alors, liberté post-Ben-Ali oui, mais une liberté minuscule et un Mais majuscule! J’ai participé à plusieurs pétitions en faveur de l’acquittement ou de la grâce de certains transgresseurs (intellectuels blogueurs, chanteurs ou graffiteurs) et j’ai été estomaqué de petit nombre de signatures tunisiennes qu’elles recueillaient… jusqu’au jour où je compris que la Tunisie profonde n’avait aucune indulgence pour ce qu’elle ressentait comme des abus de liberté.
Au départ Nahdha n’y est, à priori, me semble-t-il, pour pas grand-chose. Mais il est certain qu’elle ne demandait pas mieux et qu’elle a commencé dès début 2011 son oeuvre de récupération de cette Tunisie profonde, notamment grâce à ses prêcheurs wahhabites et salafistes. Or, celle-ci, si elle a connu quelques grèves et soulèvements par ci par là, n’a pas fait la révolution de 2010/2011 et restait terre à cultiver (à leur manière) par les gourous, suiveurs et agitprops de Nahdha, leur permettant de gagner les premières élections démocratiques du pays. Voilà ce que je voulais dire.
Oui, cher Giulio, il y a un arrière-fond de crédulité - je ne trouve pas d'autre mot- largement répandu dans le pays qui a fait que les gens ont voté pour Nahdha confondant de la sorte le bon dieu et "ses saints".Nahdha a su jouer sur la fibre religieuse et investir cette foi de charbonniers dans ses projets.
Le soutien de l'intelligentsia - même si on n'emploie plus ce mot - à l'islam local ; soufi, acharite n'est que tactique.
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