mardi 18 mars 2014

Denis Jully par Giulio-Enrico Pisani


 Le Zeitung Vum Lëtzbuerger Vollek vient de publier cet article de notre ami Giulio-Enrico Pisani :

Catharsis, ou « La route »... selon Denis Jully

 

Quel ne fut mon étonnement, amis lecteurs, lorsque je reçus il y a quelques jours un mail de la Galerie d’art Schortgen (1) non accompagné d’une invitation au prochain vernissage ? Même pas. À première vue une note succincte m’in-formant que la galerie s’offrait un entr’acte entre deux expositions, ce premier « creux » de l’année se voyant consacré au peintre Denis Jully. Durée de l’expo : 10 jours avant le prochain (quasi-sous-en-tendu « véritable ») vernissage de la prochaine (quasi-sous-entendu « véritable ») exposition... De là à ajouter en mon for intérieur « du prochain véritable artiste », jeter le mail à la poubelle et attendre la prochaine expo, il n’y avait qu’un pas... que je ne franchis pas, heureusement, et pour cause. Sous le texte du mail m’ap-parut en effet la photo d’un tableau de toute beauté, chargé d’une formidable richesse formelle et respirant tout à la fois spleen, grandeur et aspiration à l’infini, ainsi qu’une puissance évocatrice si époustouflante que j’en restai bouche bée. Dix jours pour ça ? Un simple intermezzo ? Et comment ? En passant ? En guise de remplissage, question de nous faire patienter entre deux évènements « sérieux » ? Rien que dix jours, bon dieu ! Si les autres peintures étaient aussi enchanteresses, comment visiter la galerie, examiner l’expo en détail, pondre mon papier et le voir sortir à temps pour ne pas vous prendre de court ?
Au grand galop, bien sûr. Alors, toutes affaires cessantes, je m’y précipite dès le premier jour. Lydia Moens, la fée du logis, pardon, de la galerie, y est encore en pleine installation. Peu importe ! Bon nombre de tableaux ont déjà trouvé leurs crémaillères. Les tableaux ne sont pas encore pourvus de leurs titres. Mais pour les faire parler, les voir exprimer ce qui les anime et rayonner de tout le talent de leur génial créateur, je n’ai pas besoin des titres que Lydia n’a pas encore eu le temps d’apposer. D’ailleurs, quelle importance ? Suis-je donc obligé de ne voir qu’une ville dans la fureur de tel paysage d’un réalisme transfiguré par la passion que l’artiste appelle « la ville » ? Et cela lorsque le premier mot qui me vient à l’esprit devant cette oeuvre pré-apocalypti-que est tsunami ? Ou bien devrais-je m’efforcer de percevoir ce chef d’oeuvre de façon post-apocalyptique et rejoindre ainsi la vision cathartique de « La route » (2), ce terrible roman de Cormac McCarthy auquel Denis Jully rend hommage dans son exposition ?





Eh bien, pour tout vous dire, j’y parviens mal ou, du moins, seulement ci et là. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. J’ai en effet bien lu l’introduction de ce génial peintre qui nous dit notamment : « Au fil des jours (...) l’univers halluciné du roman (...) s’est insinué dans ma peinture. Le propos y est bien celui du paysage. Mais du paysage de l’Après... L’Après quoi ? Les ruines avaient déjà fasciné les peintres romantiques du 19ème... » Toutefois, pour Jully « il ne s’agit plus de ruines délaissées, mais bien du lieu d’une désolation annoncée ». Et c’est là qu’en dépit de mon enthousiasme pour sa peinture et de ma gratitude pour les frissons que me procure sa beauté mélancolique, je ne parviens plus tout à fait à le suivre. Ce que je vois et ressens face à ses tableaux tient d’avantage de ce que m’inspirent certaines vedute picturales d’un David Gaspard Friedrich – je pense à Moine au bord de la mer et Deux hommes au bord de la mer au crépuscule – ou photographiques d’une Laura Gilpin dans, par exemple, L’es-prit de la Prairie. Rien à voir peut-être – c’est vrai – avec ce que découvriront dans les peintures de notre artiste d’autres visiteurs de la galerie, car chaque ressenti personnel ne peut être que différent de tout autre. Foncièrement subjectif, le sentiment que nous éprouvons résulte de l’interaction de notre état d’esprit (à un moment donné), de notre caractère et de notre réceptivité de spectateur avec l’oeuvre, qui est chez Jully en cela magistrale, qu’elle suscite, provoque, engendre une multitude de sentiments parmi lesquels tout un chacun pourra reconnaître et exalter les siens. Apocalyptique ? Et pourquoi pas ? Mais aussi oeuvre nostalgique, grandiose, rédemptrice, lumineuse, poétique, saturnienne, glauque, transcendante, renaissante, optimiste, pugnace et que sais-je encore... De toute façon, il en va de l’artiste comme du poète. Aussi bien l’artefact une fois exposé que la poésie une fois lue ne leur appartiennent plus vraiment ; il sont ce qu’y voient, lisent et comprennent respectivement leurs spectateurs et lecteurs. D’ailleurs, à quoi bon ce distinguo ? Dans les vastes paysages sombres ou clairs-obscurs, véritables concertini d’harmonies camaïeu, ocre, rouille, rouge feu, sable, bistre ou sépia de sa peinture, tout est poésie, pure poésie. Aussi, rien de plus vrai que les mots en page 44 de son catalogue : « Les tableaux de Denis Jully nous chuchotent des choses élémentaires. Que la peinture est émotion, parfois silence et contemplation. A nous d’ajouter que lorsqu’elle est de qualité, elle vous emporte nécessairement ailleurs... ». Mais il est temps d’ajouter à mon tour quelques lignes sur sa bio, extraites de son site personnel, à cette présentation qu’elles complètent avec bonheur.
« Né a Mulhouse en 1952, Denis Jully possède une solide formation de créateur. Devenu peintre, après avoir été créateur d’étoffes des usines gouvernementales du Shah d’Iran, il a gardé dans son travail toutes les spécificités de ce métier, les camaïeux des couleurs, les sujets comme motifs, les tensions créées par leurs intervalles sur la surface de la toile... ce sont là les particularités des tissus imprimés... De son oeuvre se dégage un souffle, une écriture propre ; l’appartenance à la famille rhénane est évoquée (néo-romantique). Le sentiment de nature imprègne ces représentations, une nature allégorique, où l’eau, les montagnes, la végétation ne sont que des archétypes. « Figuration allusive » est le terme avec lequel il parle lui-même de son travail. Est-ce par les nombreux voyages et errances, ses années passées en Afrique ou son vécu en Iran, que son inspiration trouve ses sources ? La miniature persane, les motifs des tapis, les ocres et rouges des terres d’Afrique, l’utilisation de morceaux de bois ayant un vécu, une histoire, tout cela se tisse et s’accorde au service de sa peinture. Denis Jully vit et travaille à Strasbourg. »
Je conclurai en espérant que la trop brève présence printanière de cet exceptionnel artiste à la Galerie Schort-gen ne sera que l’avant-goût d’une grande exposition qui ne saurait manquer suivre dans pas trop longtemps. Ceci n’étant cependant qu’un mien souhait à la réalisation encore incertaine, je ne saurais trop vous recommander, amis lecteurs, de vous hâter d’aller admirer sans faute jusqu’au 20 mars la splendeur des tableaux de ce peintre incomparable.
Giulio-Enrico Pisani
***
1) Galerie Schortgen, 21 rue Beaumont (parallèle à la Grand rue) Luxembourg Centre. Expo du mardi au samedi 10,30 – 12,30 et 13,30 – 18,00 h. jusqu’au 20 mars.
2) Extrait d’Amazon : Le monde est dévasté, couvert de cendres et de cadavres. Parmi les survivants, un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie. Dans la pluie, la neige et le froid, ils avancent vers le Sud, la peur au ventre : des sauvages cannibales terrorisent ce qui reste de l’humanité…

mardi 11 mars 2014

Jean-Louis Kuffer à Tunis

Chers amis,
Je vous invite à suivre les échos du voyage de l'écrivain Jean-Louis Kuffer en Tunisie.

Le blog de Jean-Louis Kuffer est dans mes liens.




mardi 4 mars 2014

Premiers succès contre le terrorisme. Giulio-Enrico Pisani

Voici l'article de notre grand ami l'écrivain Giulio-Enrico Pisani, fin observateur des affaires tunisiennes. Ce texte a été publié dans le Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek.
Tunisie : quid terrorisme

Premiers succès et incertitudes

Un article du journaliste tunisien et ancien haut fonctionnaire Boubaker Ben Fraj paru ce 14 février dans le magazine en ligne de Radio JAWHARA est venu me rappeler l’une des problématiques majeures du printemps arabe. Il ne s’agit de rien de moins que de l’ouverture de la boîte de Pandore de l’islamisme radical, voire djihadiste, donc terroriste, que les régimes dictatoriaux de Moubarak, Saddam Hussein, Ghadafi, Boutefika et Ben Ali avaient étouffé derrière les murs de leurs prisons ou écarté par l’exil, mais certainement pas éradiqué. Ce fait, que j’ai pourtant déjà évoqué à plusieurs reprises par le passé, je m’étais retenu de l’exprimer dans mon dernier article «Tunisie An 4: naissance d’une démocratie», le 5 février 2014 au »Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek«. Raison: je ne voulais pas avoir l’air d’obscurcir par un pessimisme, d’ailleurs injustifié, l’éclaircie ouverte par le nouveau gouvernement consensuel de Mejdi Jomahâ à l’horizon de la révolution tunisienne, ni jouer d’emblée les Cassandre. J’y soulignais au contraire qu’ayant assisté impuissants trois ans durant à une révolution où toute immixtion étrangère était mal venue, il était temps de manifester notre solidarité active pour cette Tunisie courageuse, d’y investir et de lui faire retrouver la manne touristique que nous lui nous apportions sans états d’âme sous le tyran Ben Ali.
J’estime toutefois qu’après nous être félicités des indéniables succès démocratiques obtenus par les Tunisiens et nous être fendus d’un bel ouf de soulagement, il est plus que temps de se remettre en garde, car la victoire de la démocratie est loin d’être définitivement acquise au pays, et rien ne sert d’enfoncer la tête dans le sable en ignorant certaines menaces. Certes, la Tunisie, seule nation du «printemps arabe» à avoir jusqu’à présent mené ses changements simultanément avec courage et bon sens, est pour l’heure paisible. Désormais, armée, milice et police veillent, en démontant les cellules djihadistes dormantes, en interceptant ces terroristes dans le bled et en les combattant à outrance, même au prix de la vie de leurs hommes. Quatre gendarmes viennent d’être tués dans un tel affrontement, heureusement (encore) peu fréquent. Aussi, Boubaker Ben Fraj semble-t-il voir les choses du bon côté et écrit, notamment: «Ce qui permet de conforter notre optimisme au-delà de ces opérations en elles-mêmes, c’est le fait (...) qu’elles n’étaient pas isolées, mais qu’elles s’inscrivent (...) sur le plan opérationnel dans une démarche plus entreprenante, plus offensive, plus claire et plus ascendante, dans la lutte menée en commun par les forces de sécurité et l’armée nationale contre le terrorisme. Les actions (...) des derniers mois au Chambi, à Sidi Ali Ben Aoun, à Goubellat et dans d’autres lieux traduisent, contrairement au laxisme (...) constaté auparavant (gouvernement Nahdha), une franche détermination à endiguer l’extension du phénomène. Et de cet élan, on ne peut que se réjouir (...) Le combat mené sur le plan intrinsèquement sécuritaire ces derniers mois contre la pieuvre terroriste dans notre pays a réalisé des résultats concrets (...) Traqués dans leurs bases et leurs retranchements, privés d’un grand nombre de leurs dirigeants, en partie coupés de leurs sympathisants et probablement de leurs sources d’approvisionnement et (...) dispositifs logistiques, nos djihadistes semblent aujourd’hui (...) en grande difficulté (...) et de moins en moins capables de renverser un rapport des forces qui n’est plus (...) en leur faveur...».
Voilà qui paraît rassurant à première vue, amis lecteurs. Cependant, un peu comme au Luxembourg, toutes choses égales par ailleurs, où les enquêtes d’opinion donnent une majorité de satisfaits de l’aujourd’hui pour une majorité de pessimistes pour demain, une analyse des lendemains tunisiens ne révèle point un ciel sans nuages. Le peuple Tunisien est globalement pacifique, enjoué, non violent – en fait plutôt discuteur, voire pinailleur – à condition de ne pas pousser le bouchon trop loin, bien sûr. Même la majorité des islamistes, donc des partisans d’un islam politique, comme les adhérents de Nahdha, parti soi-disant modéré, ne défendent guère l’idée d’une confrontation violente et préfèrent l’affrontement politique. Il n’en va malheureusement pas de même pour ce qui est des prêcheurs et agitateurs étrangers tombés comme des mouches à miel sur le pays après l’ouverture des frontières qui a suivi la chute de Ben Ali. Idem pour ce qui est des nationaux tunisiens extrémistes libérés des prisons ou revenus d’exil. Mais tout ce petit monde est majoritairement connu et, ainsi que le laisse entendre Boubaker Ben Fraj, autant les autorités qu’une majorité des Tunisiens semblent aujourd’hui en mesure de pouvoir en circonscrire et limiter la dangerosité, voire de la maîtriser et bien décidés à définitivement les empêcher de nuire.
Cependant un nouveau danger se profile à l’horizon, qui posera au nouveau gouvernement de consensus national, mais particulièrement à son chef, Mehdi Jomahâ, et à son ministre de l’intérieur, Lotfi Ben Jeddou, de gros problèmes. La cause? Cette terrible guerre syrienne allumée par les monarchies du Golfe et attisée par les pompiers pyromanes que sont les grandes puissances depuis 1945. Rien n’a, en effet, été entrepris au cours des trois années écoulées par les autorités tunisiennes et particulièrement par le précédent gouvernement (Troïka, dominée par Nahdha) pour empêcher de nombreux (on parle de plusieurs milliers) jeunes salafistes les plus radicaux (djihadistes) de quitter le pays pour en aller découdre en Syrie. Bon débarras, avaient l’air de penser même ces islamistes modérés au pouvoir, pour qui ces alliés de la première heure, grâce auxquels ils avaient gagné les élections, commençaient à devenir dérangeants.
Myopie habituelle des politiciens de bas étage, que de repoussent systématiquement le mal au lendemain, quitte à ce que le pire s’en suive! À moins qu’il n’agisse d’une fine, très fine stratégie? L’avenir nous l’apprendra. Quoi qu’il en soit, «L’historien tunisien spécialiste des mouvements islamiques et des groupes terroristes, Alaya Allani, est convaincu qu’ «il faudrait se préparer sérieusement au retour des djihadistes de Syrie et de Libye». Il n’est pas interdit aux Tunisiens de commencer à se préparer au pire...», nous dit aujourd’hui l’ancien journaliste de l’A.F.P. Habib Trabelsi, avant d’ajouter: «À en croire Abou Iyadh, l’ancien chef du groupe ‘Ansar al Charia’ soupçonné d’avoir assassiné deux figures de proue de l’opposition (Mohamed Brahmi et Chokri Belaïd), la Tunisie serait aussi dans le viseur de djihadistes déployés dans le sud de la Libye, qui échappe au pouvoir central (libyen et, à fortiori, tunisien)».
Or, Boubaker Ben Fraj lui-même avait entre-temps nuancé l’optimisme de ses propos en reconnaissant «... avoir passé sous silence dans (son) article les défaillances évidentes de l’appareil sécuritaire qui ont permis au terrorisme de prendre pied en Tunisie et de ne pas avoir parlé des preuves évidentes qui attestent non seulement le laxisme des gouvernements précédents de la Troïka (...), mais aussi les complicités dont avaient bénéficié les terroristes au sein des centres de décision politiques et même à l’intérieur de l’appareil sécuritaire infiltré. À vrai dire ce n’est de ma part ni une omission, ni une (...) retenue de langage (...) J ‘ai voulu (...) dire que la guerre contre le fléau terroriste dans notre pays vient de commencer en gagnant des points certes, mais qu’elle ne finira (pas) de sitôt et qu(‘elle) n’est pas seulement l’affaire des appareils sécuritaires...».
Aussi lui répondis-je, en élargissant la problématique, que la guerre engagée lato sensu, et non exclusivement par les armes, pour extirper le fléau terroriste, devenait en effet la toute première priorité et la condition sine qua non pour que… 1° le tourisme (non seulement balnéaire et citadin comme sous Ben Ali, mais aussi culturel, rural et forestier) reprenne son essor, 2° soit assuré le développement de l’intérieur du pays en vue d’éradiquer la pauvreté, aliment de l’extrémisme endogène, 3° soit promu l’investissement étranger productif (et non l’argent occidental de la corruption comme sous Ben Ali, ou du Golfe comme sous Nahdha) – capitaux qui exigent la sécurité –, mais aussi 4° pour que, lors des prochaines élections, Nahdha ne puisse pas affirmer que le gouvernement Jomahâ n’a pu faire mieux que les précédents.
Il est donc évident que les combats purement politiques dénoncés à juste titre par Tahar Chégrouche et bien d’autres, doivent pour l’heure céder à une union sacrée et à une offensive nationale contre le terrorisme majoritairement importé. Ce qui est en effet certain, c’est que celui-ci ne reste pas uniquement exogène, mais que, en contaminant part des masses paupérisées réceptives aux fausses solutions simplistes des démagogues, il pourrit le pays de l’intérieur. Boubaker Ben Fraj reconnaît que la lutte risque d’être longue. Certes, mais il faudrait vider l’abcès très vite et ne pas se contenter, même dans un premier temps, d’opérations militaro-policières, aussi intenses et efficaces soient-elles. Il faut simultanément s’évertuer d’éradiquer le prosélytisme djihadiste importé ou indigène avec toute la force légale que justifient ses appels à la haine (religieuse, sexiste, etc.) par l’expulsion sans délai des prêcheurs étrangers radicaux et, pour ce qui est des ressortissants nationaux, par les poursuites légales et les peines de prison les plus sévères.
Avec tout cela on n’a bien entendu nullement résolu le problème du retour des jeunes djihadistes tunisiens de Libye et surtout de Syrie. De nombreuses interventions dans la presse et ailleurs, mais surtout la catilinaire, relatée par le magazine Tunisie Numérique, de l’ancien ministre de l’information (sous Bourguiba) et très respecté Tahar Belkhodja, suite à la récente attaque terroriste près de Jendouba, font, est-il vrai, bouger les lignes. Par exemple Ahmed Nejib Chebbi, président de la haute instance politique du parti Al-Joumhouri, a présenté lors d’une conférence de presse à Tunis un ensemble de propositions destinées à mieux combattre le terrorisme. Selon l’Agence Tunisie Afrique Presse et le Magazine Direct info du 21 février, Chebbi prône entre autres la mise en place d’un Conseil transitoire de sécurité nationale, d’un Fonds national de lutte contre le terrorisme et d’une agence de renseignements commune (armée, police et garde nationale). Les ressources d’un tel fonds proviendraient des donations volontaires des citoyens et d’une taxation des transactions bancaires et d’assurances. De plus, l’agence nationale de renseignements envisagée serait à la disposition de toutes les unités en charge de la lutte anti-terroriste et des activités d’espionnage...
C’est bien sûr parler d’or, surtout dans la mesure où les mots seront suivis de faits et d’actions, mais ne répond en réalité que partiellement aux nouvelles inquiétudes des esprits les plus clairvoyants, c’est à dire des préoccupations que j’ai exprimées plus haut. Et c’est encore Habib Trabelsi qui me tend la perche le 22 février en précisant dans le magazine Leaders: «... L’inquiétude est allée crescendo depuis que l’Arabie saoudite – principal fournisseur de djihadistes aux organisations apparentées à Al Qaïda et très bien implantées dans les zones contrôlées par la rébellion anti-Bachar Al Assad, en particulier le Front Al-Nosra et l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) –, a décrété, le 3 février, que tout Saoudien candidat au djihad à l’extérieur des frontières du royaume sera désormais passible de trois à vingt ans de prison. La monarchie saoudienne redoute que les djihadistes ne se retournent contre elle à leur retour de Syrie, estiment les analystes. Outre la crainte de l’effet boomerang, Riyad se devait aussi de lever toute ambiguïté face aux pays occidentaux impliqués malgré eux (1) dans l’exportation du terrorisme islamiste en Syrie et qui commencent à redouter de plus en plus le même effet boomerang, une sorte de «retour à l’expéditeur...». (2)
Il appert donc que le problème n’est pas seulement constitué, comme je le formulais plus haut, par le retour des jeunes tunisiens séduits par le paradis islamiste et les sirènes (plutôt houris) promises aux djihadistes, mais aussi par les terroristes (surtout) saoudiens surentraînés et aguerris par leur participation au conflit syrien. Interdits de retour dans leur pays d’origine, ils risquent de déverser leur trop plein dans le reste du monde arabe, mais surtout là, où les frontières sont les plus poreuses (Sinaï, Egypte-Libye, Tunisie-Libye et Tunisie-Algérie...) et peuvent espérer ne pas rencontrer de trop vive résistance. Habib Trabelsi se fait de gros soucis au sujet des fourvoyés tunisiens et évoque dans son article un certain nombre de solutions que le nouveau gouvernement devrait mettre en oeuvre pour les «récupérer» à la société civile, mais je l’attends aussi (peut-être dans un prochain article?) sur la possible irruption en Tunisie de djihadistes non tunisiens dont personne ne veut plus.
Le fait est que, comparativement à des pays comme l’Arabie Saoudite, l’Égypte, l’Algérie ou le Maroc, la Tunisie est relativement peu armée; elle est mal préparée à affronter cette possible invasion. Il serait bien plus profitable à la paix en Méditerranée si, au lieu de continuer à armer les belligérants syriens, les Russes et les Ouest-européens unissaient leurs forces pour obtenir à l’ONU une condamnation sans appel du djihadisme international accompagnée impérativeement d’une mission d’interventions anti-djihadistes. Le problème dépasse bien sûr les possibilités de n’importe quel pays arabe ou européen pris isolément, dans la mesure où ce cancer ignore totalement les frontières convenues. Aussi, les seules interventions militaires de la communauté internationale qui pourraient aujourd’hui se prévaloir d’une véritable légitimité, devraient être consacrées à éradiquer ce fléau qui ronge la société musulmane et risque de contaminer la terre entière.
Giulio-Enrico Pisani
*** 1) Je dirais plutôt, à cause de la bêtise de leurs dirigeants.
2) Système de l’arroseur arrosé employé par les Saoudiens en bons élèves des USA, auxquels il a pourtant sauté à la figure au Vietnam et en Afghanistan où ils avaient armé respectivement le Vietminh contres les Français et les Talibans contre Russes. On en connaît les suites.
 Freitag 28. Februar 2014

dimanche 2 mars 2014

Revue Lettres. Numéro 1 consacré à Philippe Jaccottet


Chers amis,
J'ai le plaisir de vous annoncer la parution du numéro 1 de la revue "Lettres" aux éditions Aden Londres, numéro consacré au poète Philippe Jaccottet.
Ravi de faire partie du comité de lecture de cette revue disponible dans toutes les bonnes librairies ou sur ce lien :
http://livre.fnac.com/a6730735/Collectif-Philippe-Jaccottet-juste-le-poete


samedi 1 mars 2014

Fermer les yeux

Dans La Haine de la musique, le 7eme de ses Petits traités, Pascal Quignard, auteur de La Leçon de musique,  écrit de la musique qu'elle est «le seul, de tous les arts, qui ait collaboré à l’extermination des Juifs organisée par les Allemands de 1933 à 1945... Il faut souligner, au détriment de cet art, qu’elle est le seul qui ait pu s’arranger de l’organisation des camps, de la faim, du dénuement, du travail, de la douleur, de l’humiliation, et de la mort... Il faut entendre ceci en tremblant :  c’est en musique que ces corps nus entraient dans la chambre.
La musique viole le corps humain. Elle met debout. Les rythmes musicaux fascinent les rythmes corporels. A la rencontre de la musique, l’oreille ne peut se fermer. La musique étant un pouvoir s’associe de fait à tout pouvoir. Elle est d’essence inégalitaire. Ouïe et obéissance sont liées. Un chef, des exécutants, des obéissants telle est la structure que son exécution aussitôt met en place. Partout où il y a un chef et des exécutants, il y a de la musique. Platon ne pensa jamais à distinguer dans ses récits philosophiques la discipline, la guerre et la musique, la hiérarchie sociale et la musique... Cadence et mesure. La marche est cadencée, les coups de matraque sont cadencés, les saluts sont cadencés. (p.215 à 221)
Quignard pense moins à Wagner et ses développements antisémites qu'à Primo Levi nerveusement hilare d'entendre la fanfare jouer Shubert (Rosamude) alors qu'il était dans son camp de concentration.
Ne pouvant médire de la musique, je me contenterais de ce truisme : la musique est le seul  art qui pousse à fermer les yeux.