Petite
Plaisance
Sur le parvis de Petite Plaisance, Samy nous remet
des fleurs d’oranger lovées dans une caissette de bois tendre. Nous gardons ce
trésor tout au long du voyage, parcourant la rocaille, interrogeant les
bergers. Nous finissons par trouver l'enfant, qui aussitôt s’enivre du parfum
libéré.
Oui, c’est bien elle,
Elea, simple et désarmante, perchée sur un petit vélo de bois. C’est miracle,
la dénicher dans ce temple presque intact au milieu des ruines. Son nez coule
un peu. Que faire ? Lui jeter un regard noir ? La gronder déjà ?
Injazette y songe, mais elle sourit et sort un mouchoir.
Le petit déjeuner au
bivouac se dit fatour essabah.
Injazette veut donner l’œuf à l’enfant, mais à découvrir la Medjerda et son
tumulte, Elea se détourne des victuailles. Rien ne peut la distraire du flot
sous le barrage.
Elea reste rivée au
fleuve. Soudain elle demande à faire un tour en barque bleue. Les pêcheurs
burinés acceptent, oui, la prendre dans les rapides, là où le cours se
rétrécit. Mais déjà l’enfant oublie son caprice, ses yeux se ferment,
n’expriment plus que paix et placidité.
Alors se profile le retour
vers Tabarka. Dos d’âne, chicanes. Six heures au soleil, toutes baies ouvertes.
Elea babille. Ce n’est qu’une litanie, mais elle dit la joie. Va à gauche, va à
droite. J'obéis. Elle est aux anges.
Nous voulions trouver
Elea, elle est là. Sur le trajet du retour surgit parfois le souvenir de
l'amour ancien, Asma se déployant radieuse sur le cuir fauve. Pour nous
distraire, les embûches, un fleuve à franchir sur des fûts accolés.
Debout sur le marchepied, Elea proclame : je
voyagerai toujours en décapotable ! Elle n’a pas eu peur une seconde. Et
pourtant, Dieu qu’elle est vertigineuse, la Kroumirie et ses précipices. Elea
nous dit merci. De quoi ? Je sors l’appareil photo. Je me donne une tâche.
J’ai le trac à l'idée de retrouver Samy à Tinja, alors
je vais au lac me mêler aux foulques. Toutes ensemble elles plongent et
disparaissent, réapparaissent plus loin, plus tard, comme si de rien n’était. A
me voir sur la berge, aucune ne s’effraie ne prend son envol.
En Kroumirie, nous avons
partagé la même chambre, Injazette et moi. Cette intimité a laissé quelques
traces. Samy ne dit rien. Juste Ah.
Ce que je traduis par : c’est comme ça. Lui l’homme vacciné par la vie.
*
Samy se rappelle. Sur les arbres, la neige se
fixait à l’écorce, alourdissait les branches. Et la piste paraissait
impraticable. Un soldat l’a dégagée, on l’a remercié, on est passé. Samy ajoute,
à propos du Nord-Ouest : rigueur du climat, chaleur des hommes.
La neige me paraissait tenace, se souvient Samy, mais
les vieux du village, au contraire : « Elle ne restera pas… Autrefois
les hivers étaient plus longs plus rigoureux, aujourd’hui ça n’a rien à
voir ». Nostalgie de la dureté ! s’amuse-t-il devant Injazette et
moi.
Samy me tend les jumelles.
De la terrasse j’observe à mon tour les oiseaux sur le djebel. Si longtemps
qu’une goutte me pend au nez et qu’un courant d’air me rend sourd de l’oreille
gauche. Samy – les yeux rivés à la montagne - ne se doute de rien.
Pourquoi pas, chaque
année, une photo de Elea et Adam au pied du même arbre ? Injazette et Samy
pourraient se glisser derrière eux de part et d’autre du jacaranda et se
demander sans doute : qui sera dans douze ans le plus grand de nous
quatre ? Je serais le photographe.
Pour sa première note à
l’école de Ferryville, Adam a eu 9 en français. Sa rédaction était si bonne
qu’il a pu la lire devant tous les élèves. Elle avait pour titre : mon
père ce héros. A la suite il s’est inscrit à la boxe et aussi au rugby.
Elea doit trouver une
belle pierre, le jour où elle retournera à Setif. Repérer la tombe, découvrir
la mosaïque vernie sur laquelle j’ai fait graver : garde-la au creux de ta
main.
4 commentaires:
Délice de lecture. merci.
... et qui, au-delà de la représentation et de l'émotion suscitées, donne vraiment envie.
Un texte aussi frais que la beauté insoupçonnée de l’Ichkeul. Une description bouleversante de cet accord primitif entre l’homme et la nature, entre le meilleur de l’homme et la splendeur de la bonté sans bornes de la nature tunisienne que Daniel Soil a toujours défendu avec ferveur.
Merci, Christiane, Giulio et Jawhar, pour ces commentaires qui m'encouragent. Au total, il y a 100 fragments de quelques lignes, qui paraissent, chaque jour, sur facebook. On verra si cette manière de faire produit un texte qui, au final, a du corps !
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