lundi 27 juillet 2015

Poèmes saphiques de Daniel Aranjo 2, illustration de Janine Laval

OEuvre de Janine Laval




MYTILÈNE

Or - de l’œil de ta cendre, amie,
on fera, au mieux, un col de cruche ;

de toute ta poudre,
une pincée de poudre sur la poudre de toute la terre ;

de tes seins vierges de momie
(dans la chaude hospitalité de mes bras),

point même, sous la pince des fouilleurs,
le lut d’un joint de sarcophage.

L’histoire n’est plus notre avenue.
Nulle figure à genoux ne bleuit l’angle de notre papyrus.

Non. Mais nous fûmes ici, et serons toujours d’ici.
Et d’autres lisseront les déchirures d’étoffe de nos vers,

y cherchant à jamais tes serments
et vierges seins, purs, de tiède déesse.

*

(Sinon
le reflet

de ce qui fut un ciel de Mytilène
élargi, aminci par tes longs yeux fins, noirs.)


ÉPITHALAME D’AUTOMNE


septembre voyageur... octobre des villas... l'espérance et la nue...
et sur ta peau tiède, froide, chaude mes tièdes lèvres (lisses)...

*
(et cette treille vineuse de marbre qui ne cache
pas d’autre hanche que nous)

(ici rien que nous, et nous deux, et nous)

*
- parfum, danse, musique, parfum hors du temps
à quoi l’hermétisme précieux de ta profession qui te fait plus vieille
(j’y songe soudain) que tes sœurs
prestigieusement te condamne en te retranchant de leur âge

*
(ris en silence
danse danse ton silen-
ce)

*
(danse,
danse en solo,
offre ta solitude,
penche ta tête sur ton
épaule
abstraite et fluide statue,
que je me sente ta propre image
et plus belle et plus
nue)

*
tant j’aime
ces seins, mûrs, de brune grave
quand tu danses et y fais tenir à l’arrêt
ce sabre courbe
aussi sûrement que tu le fais
sur ta tête
immobile et figée, et lointaine et absente sous son foulard rituel
quand tout le reste, profane, de ton corps
autour d’elle pivote et ondule jusqu’au bout pâle de tes doigts avec largesse
souplement

tel cet arbrisseau indique dont on ne sent la gomme et la nuance, en voyage, que de très loin
ou tel encore ce parfum frais que l’on discerne avec retard après ton rapide passage

4 commentaires:

giulio a dit…

Vu tout ça sur la page FB de Janine ce matin etje l'ai déjà félicitée pour son splendide tableau. Quant aux poèmes, si certains passages et groupes de vers sont aussi beau qu'émouvants voire sensuels, j'en trouve d'autres qui se présentent hachés et parfois leurs mots assemblés sans logique ni harmonie. Étrange !

ARANJO Daniel a dit…

c'est voulu (voir l'aspect énigmatique sous lequel l'oeuvre de Sapphô nous est parvenu, depuis un peu compréhensible dialecte ionien d'Asie du VIème s av JC)

D Aranjo

Daniel RANJO a dit…

A propos des brisures de mon texte ; où il y a une part de jeu et de procédé, du reste, mais conforme à l'aspect rompu et mutilé du vieux texte de Saphô (écrit par ailleurs en peu compréhensible dialecte éolien local d'Asie Mineure du VIème s v JC, près de l'Ionie), voici ce qu'écrivait l'auteur de la postface de mon recueil :

"Beau, ce livre l’est au premier coup d’œil, par ses textes, si artistiquement peaufinés dont le canular n’empêche pas la vérité, ni l’humour le sérieux. Même si D. Aranjo joue à présenter comme le résultat de doctes recherches dans les papyrus authentiques ce qui est l’expression d’une méditation personnelle, et même si cette Sapphô est du XXIe siècle, je crois en fait qu’elle, l’auteur, tous ceux qui pensent, sont indifféremment de tous les siècles : c’est d’ailleurs le thème du recueil : l’éternité et l’immortalité englobent toutes les générations, d’avant Sapphô et d’après nous ! Sapphô n’est pas plus de son siècle que du nôtre, elle est de tous les temps… et de l’éternité. Même si nous nous croyons très différents des Anciens, c’est le mode de vie et ce sont les choses (non naturelles) nous entourant (machinisme, vie politique et économique, recherches scientifiques) qui changent ; mais ce qui est vraiment important en l’être humain demeure inchangé : amour, tendresse, peur, angoisse, cruauté (hélas), esprit de recherche, goût de la beauté (même si elle n’est plus conçue par les artistes de la même manière), tout cela semble éternel.
J’aime que, dans ce texte, les fragments mystérieux laissent aux lecteurs la possibilité de rêver chacun à sa manière. J’aime cette invitation à la créativité du penseur qui a le livre entre les mains.
Merveilleuse sensibilité empreinte d’un certain mysticisme : "Le poids de l’âme ? 20 grammes, quand on meurt. // Mais c’est, sinon le poids, / du moins notre moule interne de cire et de feu / lorsque // l’on meurt, et que je t’aurai aimée, / que le bleu Anubis, seul, devra pousser / sur sa fine balance, d’air." Plus loin, on trouve plus précisément (ou plutôt allusivement) comme une définition de cette œuvre perpétuant en moderne celle de Sapphô : "quasi-absence, quasi-chant, / quasi-absence de clavier, de la voix // et pourtant poème, pourtant poème-voix / mangé de silence [d’une voix]" Ce recueil est aussi pour nous "mosaïque éparse / sans ciment à mosaïque", puisque de brefs groupes de mots (comme les tesselæ, les petits cubes de mosaïque) entre lesquels on laisse au lecteur le soin de mettre le "ciment" de sa méditation ou de son intuition personnelle, évoquent parfaitement cette image.
Oui, Sapphô est ressuscitée pour notre plaisir et pour notre méditation errante, librement vagabonde, où nous sommes tentés d’ajouter… à tort ou à raison.

Geniève Immè,
poète franco-latin contemporain."

giulio a dit…

Un grand merci et de tout coeur, Daniel, pour votre éclairage aussi précis que lumineux,
ainsi que d'avoir bien voulu prendre cette peine pour moi, que vous ne connaissez même pas ! Vous aviez pourtant toutes les raisons de m'accuser de cette superficialité que je me reproche moi-même pour ne pas avoir, au-delà du simple plaisir, un peu passif, de la lecture, davantage approfondi votre démarche. Il ne me reste plus qu'à espérer que me pardonnerez cette première approche trop superficielle et que mon ami Laurent me trouvera encore un exemplaire de ce bijou.