mardi 3 mai 2016

Lecture des Fissures de l’infini de Laurent Fels

Lecture des Fissures de l’infini de Laurent Fels
                                                           Jalel El Gharbi


            Dans Les Fissures de l’infini, son dernier recueil en date, Laurent Fels donne à lire – dans ce style minimaliste au dépouillement tout cistercien qui est le sien depuis des lustres déjà – une somme de textes où le réel est opposé à son propre mystère, le vivre à ses propres méandres et le mot à cela même qu’il désigne. Pourtant, nous sommes dans un univers régi par les figures de l’effacement : ellipse, aposiopèse… Ici, le monde est promis à la sclérose, à l’ankylose, à une devenir minéral comme le suggèrent ces « cailloux du souvenir ». Il n’est pas jusqu’à l’infini qui ne soit assimilé à une pierre aux fissures multiples. Fissures i.e. ruptures, parfois aussi douloureuses que ces fossés qui s’établissent entre la chose et elle-même, entre la chose et ce qu’elle est : « Là ⁄ le regard ⁄⁄ n’est pas ⁄ regard⁄⁄La main ⁄ n’est pas ⁄⁄  main ⁄ au carrefour ⁄⁄ de l’indifférence ». Ainsi donc, il y a dans ce recueil un air  de détachement, de fissures, de failles ou plus poétiques de hiatus. Et le dégel ne semble pas possible car « comment ⁄ se chauffer ⁄ contre⁄ le froid⁄⁄des cœurs ».  Aucun recours – autre que le nom, seule réalité habitable comme le rappelle l’exergue empruntée à Perse – n’est possible car il s’agit d’une faille ontologique : « un homme ⁄ traine ⁄⁄ comme ⁄ un supplice ⁄⁄ comme un fardeau ⁄⁄derrière lui ⁄ sa portion ⁄congrue ⁄⁄ d’humanité ». Dès lors, c’est être même qui est un fardeau. Il est une faille, une absence qui n’a pas de nom et que la poésie approche. On le voit, c’est aux bords du silence que le poème se ressource. Le silence, matérialisé ici par la blancheur de la page, n’a jamais été aussi perceptible dans la poésie de Laurent Fels. Jamais cette expression minimaliste qui préfère le dissyllabique ou tout au plus le trisyllabique à l’alexandrin ou au décasyllabe, n’a été aussi expressive sous sa plume, aussi nécessaire. J’étais parti pour dire que ce silence avait plus d’une expression. On peut lui trouver plus d’un correspondant métaphorique : « main froide » ou « fin d’un mot ». A la réflexion, ce n’est peut-être pas de silence qu’il s’agit. Je soupçonne ce silence d’être un euphémisme de cela qui rétrécit comme peau de chagrin. Imparable destinée qui fait de toute prise de parole un « mot impair ». Je lis « impair » comme écho verlainien de la musique. Mais « impair » ne réfère pas uniquement au rythme, bien que le vers « mot impair » soit trisyllabique ; impair signifie aussi « erreur » (comme erreur de lecture) ou plus plausible encore : l’être relève de l’impair, du ratage – comme celui dont parle Fred Uhlman.  

5 commentaires:

Cléanthe a dit…

Le silence comme dernier mot ?

Jalel El Gharbi a dit…

Oui, Cléanthe, et surtout le silence comme euphémisme de quelque chose d'autrement plus dramatique
amitiés

christiane a dit…

Où acheter ce livre ?
Amitiés à tous.

Laurent Fels a dit…

Bonsoir,

Merci de l'intérêt que vous portez à ce modeste petit livre.
Il est en vente en version cuir chez Joseph Ouaknine (jouaknine@orange.fr) en version cuir et en version normale aux Editions Poiêtês (http://poesie-web.eu/editions-poietes.html)

Cordialement,

Laurent Fels

christiane a dit…

Merci ! c'est commandé !