dimanche 2 novembre 2008

Nudité ?

Francis Picabia : "Coup de soleil, nu au maillot". Photo Philippe Migeat.

Soit encore l’huile sur isorel de Francis Picabia (73,5 x 51,5 cm): Coup de soleil, nu au maillot (1942) tableau qu’on pouvait voir au musée Beaubourg (je ne sais pourquoi il n’y est plus). Elle se grille au soleil de Camassade. La fournaise ne la hâle pas. Elle la cuit à point. Son corps est semblable à un pain, malheureusement la photo ne le montre pas clairement. Appétissant. Non mangeable et appétissant. La femme ici : comme une dévoration, le tableau : comme une femme (i.e. comme une dévoration). Je dévore le tableau des yeux. Métaphoriquement. Je dévore la femme dans le tableau. Je dévore la dévoration. En cela ma dévoration n’a rien de lycanthropique. Encore plus métaphoriquement. Le “ nu ” de Picabia n’est pas nue pas plus que sa Femme Blonde n’est blonde. La blonde est peut-être tapie sous la peau de la rousse. On peut donc, si on en croit le discours de l’œuvre de Picabia, étreindre une blonde en étreignant une rousse, ou peut-être habiller une rousse en déshabillant une blonde.
Comment t’étreindre même dans d’autres bras ? serait-ce le vœu de qui aime ?
La blonde de Picabia est blonde métaphoriquement.
Le “ nu ” n’est pas nu tant qu’il est métaphorique. La nudité est couverte d’images. La métaphore habille. Qu’est-ce que la nudité ? C’est l’absence d’image. “un mur nu ” dit-on. Le nu serait-il un mode d’habillement. La nudité : être perceptible, vu. Tout regard dénude, plus ou moins. Toute lumière dénude. Etre nu, c’est être sous le soleil. Nu à portée de main et toujours comme impossible à atteindre. Le nu serait-il impossible à atteindre. Je prosopoïse un amoureux : te déshabillant, je ne vois rien et je me déleste de l’image que j’avais de toi et je ne te vois plus et j’attends la fin du désir pour me rendre compte de l’imperfection de mon désir, de son échec. Les imperfections sont toujours ultérieures, pour la récidive.

13 commentaires:

Anonyme a dit…

Magnifique méditation sur deux nus : le nu dans l'art et le nu dans la vie intime.
Le nu en peinture est écorce du monde, énigme à résoudre pour le créateur, ombres et lumières, courbes, matière. Il est aussi son rapport à la femme imaginaire, celle qu'il peint, celle à laquelle il pense (qui peut être la même), celle qu'il désire. Face au tableau, le "regardant" qui, à son tour, va de l'oeuvre à toutes les femmes connues et désirées. Ici...un visiteur amoureux !
Et puis, il y a la peau de l'autre que nous aimons, désir de "dévoration", d'enfouissement, de possession, dans le désir et l'acte amoureux, qui est à le fois réalité et fantasme, but de la faim et obstacle, jouissance éphémère et perte, beauté sublime et périssable, laissant l'homme, seul, sur la grève de ses désirs, n'ayant d'autre réponse à formuler que la solitude ou la tendresse qui seule inventera dans le corps fragile et imparfait de l'autre, l'étoile éternelle d'une vie...
christiane

Anonyme a dit…

J'aime l'analyse que tu fais de la nudité. Entre une nudité d'image ou d'apparence et une véritable nudité. Si je comprends ce que tu dis, cette deuxième nudité n'existerait pas vraiment ou serait non atteignable.
Peut-être parce qu'elle est ou qu'elle ressemble à l'inépuisable du désir.

Jalel El Gharbi a dit…

@Christiane : la nudité ainsi entendue est une voie vers le sublime.
@ Renzo : je cherche à dire que l'image nous habille. L'image est d'une épaisseur telle qu'elle couvre. Et par image j'entends "image picturale" mais surtout image mentale et image rhétorique. Je vous remercie de votre passage.

Anonyme a dit…

très beau tableau suivi d'une très belle analyse;cette oeuvre d'art:'Coup de soleil,nu au maillot'de 'Picabia' me semble etre une illustration parfaite de ce que dit 'khalil ghibran' écrivain,peintre,et poète Libanais née en 1883:
"Puissiez-vous accueillir le soleil et le vent avec le plus de votre peau,et moins de vos vetements.Car la main de la vie est dans le soleil,et son souffle est dans le vent"cette nudité réelle ou métaphorique ne serait -elle pas une invitation à la vie, et à l'eveil des sens?

Jalel El Gharbi a dit…

@ Olfa : Excellent le rapprochement que vous suggérez entre Gibran (le peintre) et Picabia (lorsqu'il n'est pas surréaliste). La citation de Gibran est aussi une splendeur. Elle pourrait illustrer le tableau de Picabia. Merci.

Anonyme a dit…

Olfa ,
magnifique pensée : je recopie !
christiane

Anonyme a dit…

merci Mr.Gharbi pour ces visites artistiques guidées,vous sublimez les tableaux à travers ce que vous écrivez.
christiane,
je prends toujours plaisir à lire vos commentaires qui sont d'une grande richesse ,et témoignent d'une une très grande sensibilité artistique.

helenablue a dit…

tout ici est d'une beauté infinie , votre texte d'abord Jalel , ce tableau , puis les mots des uns et des autres ;
cette pensée de Khalil Gibran est superbe ...
toujours un moment de grâce de passer par ici .
merci à vous
helene

michèle pambrun a dit…

Cette phrase de Bernard Noël dans "Journal du regard" P.O.L. :

On dit que l'amour aveugle, c'est le contraire : il déchire l'image et découvre le corps.

Jalel El Gharbi a dit…

Olfa, permettez-moi de vous présenter : Olfa est étudiante en 3eme cycle à la faculté de la Manouba. Elle travaille sur la littérature francophone. (elle a une maîtrise en littérature anglaise). Et elle est brillante !
@ Le moindre signe de vous est un bonheur, chère Hélène. Merci. A tous, je conseille le raffinement de votre blog.
@ Michèle Pambrun : merci pour la citation de B. Noël. J'ai eu l'occasion de travailler sur le thème du corps dans son oeuvre.
Si l'on donne à image son sens poétique de "figure de style" on la soustrait à tout ce qui peut l'effacer. C'est ce à quoi s'attela ce grand poète que fut Proust !
Merci infiniment, vos commentaires offrent toujours matière à réflexion. Bien à vous

Anonyme a dit…

"Dans mon travail, l'expression subjective, c'est le titre, la peinture et l'objet. Mais cet objet est quelque peu subjectif, parce qu'il est la pantomime, l'apparence du titre".
Francis Picabia.

Jalel El Gharbi a dit…

Merci pour cette belle citation qui confirme le caractère poétique de la peinture de Picabia.
Merci

Anonyme a dit…
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