mercredi 26 juin 2013

Fernando Pessoa : Canto à Leopardi. Traduction D Aranjo

Fernando Pessoa par Julio Pomar

Fernando PESSOA


CANTO À LEOPARDI

" Ah, mais de sa voix sans âme pleure
Le cœur affligé et répond :
"Si est fausse l'idée, qui m'a donné l'idée ?
S'il n'y a ni bonté ni justice
Pourquoi est-ce que s'angoisse le cœur dans la lice
En défendant ses inutiles mythes ?

S'il est faux de croire en un dieu ou en un destin
Qui sache ce qu'est le cœur humain,
Pourquoi y a-t-il le cœur humain et le sens
Qu'il a du bien et du mal ? Ah, s'il est insensé
De vouloir justice, pourquoi dans la justice
Vouloir le bien, pour quoi le bien vouloir,
Quelle méchanceté, quelle (…), quelle justice
Nous fit pour croire, si nous ne devons pas croire ?

Si le douteux et incertain univers,
Si la vie transitoire
Trouvent ailleurs leur intime et profonde
Signification, et le tableau ultime de l'histoire,
Pourquoi y a-t-il un univers transitoire et incertain
Où je vais par incertitude et transition,
Aujourd'hui un mal, une douleur, et, ouvert
Un seul cœur endolori ?"

Ainsi, dans la nuit abstraite de la Raison,
Inutilement, majestueusement,
Dialogue avec soi le cœur,
Parle haut à soi-même la pensée,
Et il n'y a pas de paix ni de conclusion,
Tout est comme s'il était inexistant."

1934
peu avant sa mort

Fernando Pessoa
tr. D. Aranjo



vendredi 21 juin 2013

Poèmes de Daniel Aranjo

Pour la fête de la musique, ces poèmes de Daniel Aranjo célébrant Feyrouz, la reine du matin et de l'envol, celle qui a chanté l'amour naissant, le retour à Jérusalem et de très beaux poèmes de Lissandine Khatib, de Gibran Khalil Gibran, Hossari... ainsi que Ofra Haza dont le nom est fascinant. En français, comme en hébreu moderne, il est frappé d'apocope et d'aphérèse. Il convient de prononcer son nom selon la phonologie biblique ou alors comme il est prononcé en hébreu temani
. En hébreu עָפְרָה חָזָה 
עָפְרָה    désigne des toponymes en Palestine, le nom d'un fauve et un nom propre. Mieux encore, en arabe  عفراء هزاع    
   عفراء signifie "blanche", "terre vierge", "palais en Syrie", "citadelle en Palestine" et un nom propre. عفراء est paronyme de عذراء  vierge. Paix à son âme. 


À UNE, QUASI, SILENCIEUSE DÉITÉ
 Poèmes de Daniel Aranjo
à Feyruz

Toi dont la voix de soie t’a valu un surnom de gemme et d’émeraude grise
et qui pleurais tristesse et joie, douceur de braise et même nos guerres pour en châtier l’ennemi
et dont on ne sait plus rien, plaintive déité, tant tu chantes peu et sembles si peu maintenant te soucier de l’herbe de nos remparts à tous

- à moins que la guerre ne t’ait, du moins du feu de son diadème, déjà aussi tuée.

*

(Ô-ô
Couronnée de silence et d’exil,

à toi notre silence, notre cendre d’encens
et le miel de Saba !)


CHANSON ARABE À DEMI RÊVÉE


Voici ma nuit, le rêve de ma vie, entre futur et passé.
Tu es tout amour et espoir. Remplis la coupe ; donne-la.
Bientôt l'amour changera de maison.
Les aigles quittent déjà leurs nids.

Et des maisons, qui étaient autrefois des maisons,
nous verront passer, comme nous, nous les voyons vides
passer. La vie jouera avec nous, se jouera de nous.
Viens, je t'aime, maintenant, davantage.


CHANSON ARABE À DEMI RÊVÉE


Entre toi et moi un fleuve a coulé deux jours.
J'ai vécu avec toi un an, et tu dis deux jours.
Et si le crieur se mettait à crier, seule je me lèverais,
moi qui suis morte d'amour, sans blessure ni coup.

Ô ingrate, ô oublieuse des nuits pures... […]

Ô ingrate... ô oublieuse... des […]


I.M. OFRA HAZA


Je ne comprends pas ce que tu dis et l’on me dit que tu es morte

mais je sais ce que tu chantes de tes yeux noirs, noirs d’enfance joueuse et jeune et juive nostalgie
rendant presque triste l’enfance que nous n’avons pas eue et reperdons par toi
- mi-foulard blanc adolescent cloué de dragées de métal à travers ces cheveux d’encre noire d’un pays d’encens et de mica,

unique visage de Saba.

mercredi 19 juin 2013

Alain Guérin par Giulio-Enrico Pisani

Alain Guérin : Les Dits du meunier

Plus j’essaie de pénétrer le mystère de ce petit livre d’églogues, comme les appelle non sans malice l’auteur, plus je me sens un intrus.   Plus j’essaie par là d’accéder à l’âme de celui qui retrouve le chant du poète après avoir longtemps raconté celui des partisans et exploré les glaces troubles qui suivirent, plus je me sens un intrus.  Intrus dans un monde à l’intimité ouverte, mais envolée, auquel ont participé avec Alain Guérin Jacques Roubaud, Suzanne Lipinska,(1) Georges Perec, Charles Dobzynski et autres Maurice Pons!  «...ces jeunes poètes qui gravitèrent pendant une période variable autour de l’astre Aragon», dont parle Edmond Gilles.(2)
Alain Guérin est né comme son ami Jacques Roubaud et comme Fernando Arrabal sept ans avant l’inauguration de la plus grande boucherie du 20e siècle.  En 1950, il est secrétaire général du Groupe des Jeunes Poètes auprès du CNE.  Un petit lustre après la fin de l’hécatombe...  «L’auteur avait seize ans et huit mois lorsque est paru son premier poème dans Les Lettres françaises; quelques autres ont suivi, notamment chez Pierre Seghers... avant un assez long silence...  Il a été journaliste professionnel pendant quarante-trois ans et huit mois.  Simultanément et ensuite, il a publié plusieurs documentaires sur les espionnages soviétique, allemand et américain ainsi qu’une large chronique de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale», précise-t-on chez son éditeur, au Temps des Cerises, chez qui Guérin fait en 2003 son retour sur la scène poétique avec «Cosmos brasero».  Des élégies?
Lui aura-t-il donc fallu près d’un demi siècle de journalisme, d’analyse et de récit historique, de guerres chaudes et froides, de prosaïques réalités pour revenir à ses premières amours?  Poésie, oui, mais crépusculaire cette fois, désabusée peut-être, amère certainement.  Douloureuse introspection et constat du piètre produit de tant de combats, de sacrifices et d’espérance?  Des Dits!  Qu’en dit le Moulin d’Andé?  Alain Guérin comprend-il aujourd’hui que tout recommence, sous d’autres meules, car les moulins ont changé?  Les meules n’en restent pas moins meurtrières... quoiqu’elles moulent surtout ailleurs, enfin, pour l’heure, et gris finance plutôt que feldgrau.  Réalise-t-il que le récit, la prose, la raison ne suffisent plus à faire comprendre que la barbarie est derechef ante portas?  Songe-t-il à invoquer une fois de plus les multitudes combattantes qui chantèrent après Anna Marly, Joseph Kessel, Maurice Druon et Germaine Sablon: «Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines? / Ami, entends-tu le chant lourd du pays qu’on enchaîne?»(3)
Je n’ai hélas pas lu ses élégies de «Cosmos brasero», aussi ne puis-je dire, amis lecteurs, s’il y a une progression dans l’écoeurement du vieux meunier, dont les meules semblent vouloir broyer tout ce qui fut.  Dans l’espoir de pulvériser ce qui est, et, peut-être, de donner une chance – mais y croit-il vraiment? Là est la question – aux nouvelles générations?  «A las cinco de la tarde. / Eran las cinco en punto de la tarde», martèlerait ici Federico Garcia Lorca, qui est mort, lui, trop jeune pour avoir cessé d’y croire.  Mais les cinq heures sont du passé, et le soir fort avancé.  Pour Alain Guérin il n’est de salut que dans les heures sup’.  Alors il grave son «Meunier ne suis que... » furax.  Il broie, écrase à coups de meules octosyllabiques cent cinquante-trois pages de son rythme répétitif, lancinant comme le chant des partisans, comme La Cogida y la Muerte, comme le Boléro de Ravel, comme The Wall de Pink Floyd, comme «Tout va pour le mieux» de Virago.  Certes, le temps des «Dits du Meunier» est tout autre.  Question de masse.  On ne broie pas avec une meule en pierre dure comme avec des instruments, hard rock ou pas.  Mais... églogues?  Tu parles!  Où en est-on, si même ses amis se laissent prendre à la signification apparente des mots, sans en percevoir la mordante ironie, l’anticathode, le virulent «Tout va très bien, Madame la Marquise»?  Loin, très loin des églogues, petits poèmes pastoraux que leur niaise hypocrisie fit tomber en désuétude, les poèmes de Guérin mériteraient d’être accompagnés non pas par une bucolique flûte de pan, mais par toute la sinistre puissance d’un orchestre berliozien.
Bon, on n’en est peut-être pas encore au «Toi qui entre ici oublie toute espérance» de Dante, et son ami Charles Dobzynski n’a sans doute pas tort de n’y voir pas que du noir.  Écoutons donc, ou plutôt, lisons un extrait de sa préface aux «... Dits du meunier», préface qu’il intitule tout de même – soit dit en passant – «Au bout du noir» ! «C’est la beauté du livre d’Alain Guérin que de nous donner à voir, sans aucune réticence et avec le souci d’un examen multiforme, l’ubac de sa personnalité. La face sombre du miroir n’en reflète pas moins les étoiles, les soleils noirs et la dimension vertigineuse et embrasée du cosmos que sa face claire.  La métaphore de la meule commande entièrement Les Dits du meunier. Elle équivaut à celle d’Esope pour la langue. Réglée comme une machine d’opéra, la meule détruit le matériau qu’on lui fournit, à commencer par celui de la mémoire
Ceci n’est qu’un extrait, bien sûr, et je ne saurais trop vous recommander de la lire entièrement, cette préface, autrement plus instructive que ma pauvre présentation toute intuition et coup de coeur.  Je vous donne mon sentiment sur le livre, certes, mais pour ce qui est de l’analyse, des techniques littéraires et du savoir-faire de l’auteur, autant se fier à Dobzynski.  Certes, en deux points au moins, je ne peux le suivre.  Il ne s’agit cependant que de divergences mineures qui ne m’empêchent nullement de tirer mon chapeau au vieux camarade du poète pour son remarquable exposé.(4)  Mais revenons en, justement, à l’auteur, ou plutôt à ses anti-églogues.  Il est vrai que le côté tragique – à mon avis sous-estimé par Dobzynski – de l’oeuvre n’exclut pas l’humour.  Aussi, après un accès de rage villonienne contre la Justice dans le 21e Dit, il veut le 22e plus rieur: «Meunier ne suis que de mes juges / Car je hais la magistrature / Condamnant comme elle respire / Et relaxant comme elle expire / Au nom de qui au nom de quoi / La meule mise en examen / Le fut pour abus de farine / Puis vint l’interdiction de moudre / Un avocat évanescent / Sauva néanmoins le moulin / Jurisprudence du miracle / ...» Ainsi cogne Guérin, le meunier, page 46.
Dommage que Georges Brassens ne soit plus là pour nous chanter ça sur sa guitare!  Enfin, tant pis, de toute façon, pour moi, c’est comme si, et, autant en profiter, car l’auteur devient vite moins folichon.  C’est dans la troisième partie, «Églogues de moi-même» que Guérin commence à vraiment se broyer lui-même.  Le poète étant le meunier, les meules refusent, bien entendu, ce qui oblige Guérin à chercher un compromis dans l’autodestruction, ou une alternative.  Son humour, pour le peu qui en reste, en devient franchement décapant, voir macabre.  Puis viennent les «Églogues de la peur» notamment avec les Dits de la panique, de l’angoisse, de la honte, du malheur, des spasmes, où il semble toucher le fond du gouffre.  Plus loin encore, ses «Diaboliques églogues», elles, pourraient pourtant témoigner d’une combativité renouvelée.  Mais ses doutes persistent.  La course doit continuer.  Mais à qui passer le témoin?  «... / Me voici donc qui reste là / Avec ma vie entre mes bras / Ne sachant vraiment pas qu’en faire / De cette vie toute moulue.» s’interroge-t-il dans «Le cent quinzième Dit».  Quant à son tout dernier «Dit», il a un petit parfum socratique, auquel je préférerais une fin plus combative.  Bah!  Acceptons ce petit chef d’oeuvre tel qu’il est et pour ce qu’il est, sans aller trop chercher minuit à dix-sept heures.  Il n’y a en effet ni moulin, ni meules ni auditeurs dans le désert de la pensée unique, où le meunier pourrait vouloir clamer ses Dits…(6).

1)    Suzanne Lipinska: égérie et présidente du Moulin d’Andé, ancien moulin de Normandie (Eure) devenu haut lieu culturel, par lequel ont passé Alain Guérin, Jean Massin, Jean Lacouture, Pierre Mendès-France, Siné, René Depestre, Richard Wright, Andrée Chédid, J.-B. Pontalis, Miguel Angel Asturias, Armand Gatti, Edgar Morin, Jeanne Moreau, Rezvani, Oskar Werner, Henri Pichette, Jacques Roubaud, Maurice et A.-M. Le Gall, François Truffaut, Jean-Louis Trintignant, Romy Schneider, Louis Malle, Jean-Paul Rappeneau, Maurice Pons, Hyman Yanowitz, Georges Perec, Noël Favrelière et tant d’autres.
2)    Extrait de l’Huma, «Du souffle sur les braises», article d’Edmond Gilles sur «Cosmos Brasero» recueil d’élégies (à peine aussi élégiaques, semble-t-il, que les présentes églogues sont des églogues). à lire sub www.humanite.fr/journal/2003-01-02/2003-01-02-217523
3)    Certes, aujourd’hui, ces 2 premiers vers du Chant des Partisans devraient plutôt être chantés avec «des pays», au pluriel donc.  L’histoire se répète souvent, mais les corbeaux changent, et il arrive que des héros de la veille se mettent à coasser.
4)    Poète lui-même, journaliste, rédacteur des «Lettres françaises» sous la direction d'Aragon, puis rédacteur en chef de la revue «Europe» et de «Faites entrer l’infini»,  Charles Dobzynski a publié un grand nombre de recueils.  En 1992 il reçoit le prix Max Jacob pour «La vie est un orchestre».
5)    «L’Ange et l’espion», recueil de fables, illustré+préfacé  par Wolinski et Jacques Vergès, à paraître aux éditions Le Temps des Cerises.
6)    «Les Dits du meunier», églogues (176 p., 14 EUR) aux éditions Le Temps des Cerises, www.letempsdescerises.net 
     
Giulio-Enrico Pisani
Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek
Luxembourg, 23 mai 2006


dimanche 16 juin 2013

Georges Saint-Clair, ermite et poète chrétien

LE GRAND PRIX DE POÉSIE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE LE PLUS MÉCONNU :
GEORGES SAINT-CLAIR, LAURÉAT 1993.

Ce poète n’a rien fait pour se faire connaître. Lauréat de l’équivalent du Goncourt pour la poésie, ce prêtre-poète âgé de 92 ans continue à vivre, à rêver, à se souvenir en ermite à peu près heureux (lisant peu, du fait de ses problèmes de vue) dans son presbytère familial de Pontacq, à 15 km du fameux sanctuaire de Lourdes (dont il n’aime d’ailleurs pas le triste bazar) ; d’après Jean Dutourd, c’était le poète actuel le plus méconnu. Réparons un peu cet oubli en publiant ici ce poème révélateur de son univers... Les oreilles fines apprécieront le mélodiste.
 Le Christ en roi des rois. Icône du couvent Mar Sarkis (Saint Serge) à Maaloula (Syrie). OEuvre de Michel de Crête (fin XVIIIème-début XIXème)

Retablo pour Manuel

La digue du moulin
La jupe que l’on pince
Entre deux doigts de gué
Le tricorne qui pend
Dans sa lucarne à blé
Ô vie si brève – toute
De sacs d’âne comptés,
Et ce vent qu’on écoute :
Fantomatique blanc
D’un pas dans l’escalier

Et puis et puis égale au pain
L’ample chaîne du puits
Emplie de mille mains

Et puis et puis pour toi qui crois
Que Dieu nous reste à crucifier,
L’ombre solaire de Lorca
Sur le crépi du vieil été
Le long duquel tu va tu vas

Fourmi noire de l’alpaga



samedi 15 juin 2013

Le populisme en Tunisie

 
Je viens de publier sur babelmed cet article sur le populisme en Tunisie 


La dérive populiste née après la révolution n’épargne aucun parti. On la retrouve aussi bien à gauche qu’à droite. Son premier symptôme, c’est la promesse électorale mensongère. Flatter le peuple pour avoir ses voix est chose commune. Mais les moyens mis en œuvre pour parvenir à cette fin atteignent parfois le ridicule, révèlent souvent des attitudes pathologiques. Retour sur le discours populiste en Tunisie.
//Président Moncef MarzoukiPrésident Moncef MarzoukiLe propre du discours populiste est d’émaner de quelqu’un qui n’est pas, ou n’est plus enfant du peuple. C’est tantôt le discours d’un milliardaire établi à Londres, ou celui d’un homme d’affaires résidant dans un beau quartier de Tunis. Le populisme a son look 
Pour lire la suite :
Pour faire le portrait du populisme : l’exemple tunisien

vendredi 14 juin 2013

Jules Supervielle, Daniel Aranjo.


JULES SUPERVIELLE
Oloron-Sainte-Marie où repose Jules Supervielle.
Reste une pierre, à Oloron-Sainte-Croix,
reste une ombre
et ce cristal aigu et lavé des monts, par delà les forges d’Abel, pour des jours de grande éclaircie,
et l’Hôtel du Grand Mogol à sous-bois thermal,
et la chambre d’épicerie où ils moururent, que l’on apercevra de loin, instable printemps, arbustes en fleurs, à flanc de gave, depuis la rive adverse (branchages, bief en ruine, paix proche de confluent).

Un artiste silencieux, pensant à sa calme Seconde Symphonie, erre encore au pied des zelliges Belle Époque du Mogol ou sur les sentes et les rampes d’un Parc Pommé, souple endroit à lumières et lueurs d’aube, à crépuscule clair, avec pour monument son haut Lit Surréel à roues, comblé de terre, de plantes et gazon frais, tant cet univers compte aussi de tables prises de lévitation et de boulevards métaphysiques.

Et puis la Gare, à scierie fossile, à citernes de scierie fossile, à rail fossile et mangé d’acacias quand on regarde vers Canfranc et d’inaccessibles Espagnes, là-haut - la Gare, son quai abandonné à vieilles plinthes de granite dont on n’avait pas su voir toute la vieille époque gîtant là, au bout de notre pied…
Que verra-t-on des monstres érodés, du vieux bois médiéval de la basilique, avec sa bonne porte à pèlerinage ?
Quant à la tombe naturelle de Julio, elle était, ce neigeux printemps 96, peuplée de boutons d’or et de pissenlits, stars de cinéma.

Et puis des Vaches d’armorial, paissant sous le béret basque d’un vieillard proverbial, à l’ombre lente, et que l’on finit par trouver.
Ou ces dalles de Sainte-Croix même où le vieux nom de Supervielle, sous le pas du fidèle, s’érode au fil oublieux de quelques siècles à éclairage rasant (tel un film, dans une ombre pieuse et rustique de cathédrale).
Et la nécropole en pente où une haute Élégie rouilleuse pleure des pleurs de fer (statue de quoi ? et quelle Vierge immense ?),

tandis qu’une lumière tendre, à nos pieds, tasse dans la douceur le pays de Sainte-Marie, sur la plaine : et c’est déjà un proche quartier lointain, sous le jour d’une cape, et un autre monde sans fable.


Daniel ARANJO
11 juin 2013


lundi 10 juin 2013

En soutien à notre armée

En soutien à notre armée et à son état-major. Une armée républicaine, civilisée au service de la seule patrie.
 Les voix qui s'élèvent pour critiquer notre armée sont indécentes.

samedi 8 juin 2013

Lune andalouse de Ahmed Ben Dhiab, par Giulio-Enrico Pisani

Giulio-Enrico Pisani
Lux., 6 juin 2013
Publié dans le a Zeitung   vum  Lëtzbuerger  Vollek 

Lune andalouse : le chemin de l’aube ?
Un peu plus de deux ans après son recueil Fulgurances, c’est par Lune andalouse,[1] un nouveau florilège, tout de peine et d’espérance, que le troubadour[2] des temps modernes Ahmed Ben Dhiab vient troubler ma quiétude.  Faut-il vous dire que ce titre enchanteur, évoquant au-delà de son hispanité les onze siècles de tourmentes ethniques méditerranéennes qui lui sont liées, m’a interpellé d’emblée?  Comment lire en effet «Au-delà de l’immensité tragique / une étoile insomniaque agonise / et dans nos veines / le jour / les rêves des arbres / les exclus de l’aurore / se lavent...» sans penser au «bajo la luna gitana...» et aux «Grandes estrellas de escarcha / vienen con el pez de sombra / que abre el camino del alba[3] de Federico Garcia Lorca?  Cependant, dès son premier chant, Ben Dhiab élève sa poésie au-dessus et au-delà de l’éclairage andalou pour survoler la mer, le Maghreb et le Machrek jusque «dans les entrailles de Gaza» et revenir plonger dans le «sang du jasmin sur le corps de décembre».
Dès ce premier poème, sans intitulé, sinon, peut-être – et pourquoi pas? – son premier vers, on sent monter ce qui marquera les trois premiers quartiers de cette lune: la souffrance, l’exil, le déracinement, le sens tragique de l’être tout à la fois arabe et humaniste à notre époque... Mais, qu’on se rassure; notre trouvère ou troubadour n’en restera pas là.  Peu à peu, grâce à ses visions d’amour, sa pugnacité et son optimisme reprendront le dessus et il trouvera à profusion «sur le parvis des mosquées / mots échos à l’éclat boréal / poèmes en dérive (...) pour nous raconter l’exil des oliviers...».  À quelques vers de là, «où se chorégraphient / les pensées de l’arbre / la douleur de l’exil / sur les rivages de l’infini...», le poète rebondit et finit plus loin par fêter l’espérance: «j’écoute / les pulsations de la terre / le chant du peuple mutant / émerveillé / je caresse l’ineffable (...) et je danse / sur la circonférence de la rose plurielle».  L’influence du soufisme sur l’esprit poétique de Ben Dhiab est – ici comme ailleurs – évidente.  Sauf que l’humain y reste prépondérant et n’y cède point au transcendant.
«Lune andalouse, entre une civilisation et l'autre, est une tentative de réenchanter le monde», nous confie dans sa présentation Michel Cassir, directeur de la collection «Levée d’ancre» aux Éditions l’Harmattan et poète lui-même.  Évidemment convaincu, car il semble profiter de cet halo de lune pour préciser qu’«... elle concentre et projette le réel et l'imaginaire qui ont façonné le poète. Elle crée un lieu où vivre deviendrait enfin possible.  Il faut lire et voir ce beau livre de révolte, de tendresse et de doute comme une boisson longue après plusieurs traversées du désert.  Les mots inespérés dansent déjà dans les dessins, ils les inventent et en sont les nouveau-nés.»  Reconnaissons toutefois – la perfection n’existant pas – que tous les vers ne sont pas heureux et que toutes les illustrations ne sont pas réussies.  Pour ces dernières, le tort en incombe à l’éditeur, qui publie en noir et blanc des peintures de couleur (à trois encres de chine près).  Quant aux vers, l’on regrettera ça et là peu de rigueur dans l’affinage.  Le poème est une régurgitation de l’âme, un geyser spontané de sentiments et de passions, et son premier jet nécessite toujours un sévère travail d’élagage.  Par exemple, le neuvain page 69, affaibli par son neuvième vers, ferait un splendide huitain si à «... l’étreinte de feu / ou se chorégraphient / les pensées de l’arbre / la douleur d’exil / sur les rivages de l’infini... » ne venait pas s’ajouter le vers «...du double centre illimité», sans doute plein de sens pour l’auteur, mais par trop pesant. 
Il s’agit toutefois d’exceptions, que le poète rachète tôt fait par de merveilles de sensibilité, aussi élégantes que poignantes, comme «... me rêver deux esprits dans un seul corps / le pourquoi et le comment / de chaque palpitation // me rêver dans vos rêves / une polyphonie cosmique / prince des roses jailli d’un baiser».  Voilà qui, au-delà de la beauté du vers, porte la voix du trouvère, poète-messager, messager et porteur lui-même, ce qu’affirme tout au long de son oeuvre l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, pour qui chaque migrant peut être passerelle entre le nord et le sud.  Un troubadour, poète de l’exil, archétype du migrant...[4] Comment mieux situer, cerner (définir est impossible) Ahmed Ben Dhiab?
Ainsi qu’on l’aura déjà compris de ce qui précède et comme  je l’ai naguère écrit dans ma présentation de son recueil Fulgurances, le mot troubadour s’applique avec bonheur à ce génial artiste franco-tunisien.  Tout à la fois peintre, poète, metteur en scène, compositeur et chanteur, sa poésie titille tous les parfums, les mélodies, mais aussi les hurlements de cette immense culture qui embrasse l’Occirient.[5]  Ahmed Ben Dhiab est en effet bien un fils de ce melting pot culturel transcontinental millénaire unissant l’Alhambra de Grenade aux Bouddhas de Bâmiyân via le Canzoniere,[6] Les Misérables et les Droits de l’homme, que les barbares de l’histoire, de la politique, de la guerre et des intégrismes religieux ne sont jamais parvenus à étouffer.  
Mais c’est, sans doute, avec Amin Maalouf, l’écrivain turc Orhan Pamuk, que l’Académie Nobel avait notamment distingué pour avoir «trouvé de nouvelles images spirituelles pour le combat et l'entrelacement des cultures», qui a le mieux défini ce pontage humain, aussi sublime qu’insuffisamment réalisé.  «... un jour, ils ont construit un pont qui joignait les deux rives du Bosphore. Lorsque je suis monté sur ce pont et que j'ai regardé le paysage, j'ai compris que c'était encore mieux, encore plus beau de voir les deux rives en même temps. J'ai saisi que le mieux était d'être un pont entre deux rives. S'adresser aux deux rives sans appartenir totalement à l'une ni à l'autre dévoilait le plus beau des paysages».  Les poèmes de Lune andalouse sont autant de pierres contribuant à former ce que je n’hésite pas à appeler «le Pont Ben Dhiab».[7] 
Né à Tunis en 1948, Ahmed Ben Dhiab est peintre, poète, metteur en scène, auteur, compositeur et chanteur.  Il a été directeur artistique de "Celebrazione" Festival International, Italie 1998-2012, ainsi que conseiller artistique et collaborateur auprès de plusieurs institutions culturelles en Europe.  Peintre restaurateur de la Grande Mosquée de Kairouan, Tunisie, il est également professeur d’art et vit alternativement en Italie et en France.  Pour ce qui est du reste de son pléthorique c/v, je vous suggère, amis lecteurs, de le consulter sur son site aussi intéressant que bien illustré http://bendhiab-peinture.wifeo.com/.[8]



[1]  Ahmed Ben Dhiab : Lune andalouse, poèmes, ~100 p. L’Harmattan Poésie, mars 2013, 12 €.
[2]  Trouvère ou Troubadour, du provençal (langue d’oc) trobador, dériverait selon Maria Rosa Menocal du verbe arabe tarab, chanter, et du suffixe roman dour, tourner.  Selon Richard Lemay trobar et trobador viennent d'une racine arabe popularisée dans le dialecte roman espagnol du XIIe siècle pour désigner le chanteur-poète qui s'accompagne d'instruments de musique. (abr. de Wikipedia). Le troubadour/trobador/ménestrel(lo) arabo-latins (Minnesänger ou Minnesinger germanique) apportèrent une contribution essentielle au «pontage» culturel qui engrossa, à partir des royaumes arabes d’Espagne (Al Andalous, 711-1492) et de Sicile (827-1091), le Moyen-âge européen des semences de cette Renaissance dont le sud méditerranéen arabo-berbère profitera toutefois si peu. 
[3]  Vers du poème Romance Sonámbulo dans le recueil Romancero gitano de Garcia Lorca. En français: «Sous la lune gitane...» et «De grandes étoiles de givre / viennent avec le poisson de l'ombre / qui trace à l'aube son chemin...»

[4]  Cf. Deux Rives, Une Mer, Notes sur la nécessité de nouvelles passerelles. Essai-débat entre Giulio-Enrico Pisani et Laurent Mignon, dans la Revue GALERIE nos 2, 3 et 4 (Nov.2010 à juin 2011) 
[5] Occirient ou Orcident : termes synthétisant l’Occident et l’Orient chers à l’essayiste, poéticien et poète Jalel El Gharbi.
[6]   Le Chansonnier, recueil de poèmes de Pétrarque.
[7]  Dans l’esprit de mes articles «Le pont Maalouf» 1 et 2 (Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek: www.zlv.lu/spip/spip.php?article616 et www.zlv.lu/spip/spip.php?article624).
[8]  On trouve sur son site également ses adresses postale et électronique.

lundi 3 juin 2013

Couvrez ce sein...

Autrefois, lorsque nos grands-mère étaient excédées par les écarts de leurs enfants, elles se découvraient le sein et faisaient cette déclaration effroyable : "Puisse ce sein être haram pour toi si tu désobéis à ta mère".