dimanche 21 juillet 2013

Extrait de l'autobiographie inédite de Giulio-Enrico Pisani (2)

*
Ce ne sera que bien des années plus tard, que je compris et voulus témoigner, également au nom de mes camarades de chambrée plus âgés qui n’y auront pas songé, combien je devais aux Élèves infirmières d’Édith Cavell :

Filles d'antan que vous étiez belles !
Filles qui ne vouliez pas compter !
Je veux être le ménestrel
qui votre amour saura chanter.

Gisèle, Colette, vos dix-huit ans
vingt, vingt-deux, pas davantage,
Claude, Sophie, vos coeurs d'enfants
faisaient de nous des enfants sages.

Brutes meurtries par accident
tristes maîtres en pyjama,
hier seigneurs, aujourd'hui impotents,
maudissant ce qui nous retenait là,

livrés à vos mains en maugréant
nous nous laissions manipuler,
faire piqûres, bandages et pansements
sans même songer à vous remercier.

Pourtant après douze heures d'un travail
dont un docker n'eût pas voulu,
au lieu de prendre le portail,
auprès de nous vous êtes venues.

C'étaient friandises ou cigarettes
blagues et revues pas toujours sages
en attendant que les nonnettes
viennent mettre fin à nos badinages.

Arrivées à l'échelon supérieur,
celles-ci ne savaient pas, en effet,
que le paradis c'était le bonheur
que vos frasques nous donnaient.


Colette Hubrecht, mon grand amour fou du moment, m’arrachait toutefois du cœur (et d’ailleurs) des jaillissements autrement plus personnels, que je n’ai aucune peine à me remémorer :

Tout près de moi, Colette, ton cœur,
tes mamelons contre mon corps,
tes mains si douces, tes doigts frôleurs
dans leur combat contre la mort !

Cependant, tel bateau ivre
d’éther et de médicaments,
je vivais et me voyais vivre
le plus sublime des tourments !

Tu étais amour, moi maladie.
Tu étais la fraîcheur de rosée.
J’étais la fièvre, la sanie ;
tu riais pour ne pas pleurer.

Quand dans mon lit trempé d’urine,
mon corps sans force tu retournais,
j’oubliais mon mal, et toi, câline,
nue, faible et offerte j’imaginais.

Lorsque de tes ciseaux à mâchoires,
tu m’enlevais douloureusement
les restes de salle opératoire,
c’était ta bouche, ta langue, tes dents,

que je sentais mordre ma chair,
sucer mes plaies, lécher ma peau,
et quoique je souffris l’enfer,
tu me quittais toujours trop tôt.

Quand avec une moue, d’une chiquenaude,
tu rabattis ma verge dressée,
raillant mon expression penaude,
menaçant de ne plus me soigner,

de m’envoyer la sœur en chef,
de mes quinze ans je crus mourir,
car je ne vis pas l’éclair trop bref
de ta tendresse : un petit sourire.

Un petit sourire de rien du tout
qui faisait de toi à vingt ans une mère,
du petit homme que j’étais un grand fou,
de ta source d’amour une rivière !

Aujourd’hui, deux fois grand-mère,
te souviens-tu du garnement
auquel tu torchais le derrière ?
Il rêvait d’être ton amant.

N.B. : Les deux poèmes ci-dessus, intégrés dans mon roman inédit Altéritude, ont déjà été publiés,
- le 1er, Les Élèves infirmières, dans mon recueil Amours, Humour, Fantasmes et (R)appels, Édit. Stan Tepede, 1999,

- le second, L’infirmière, dans mon recueil Amours d’un soir fin septembre, Édit. Schortgen Galerie, 1996

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