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lundi 29 septembre 2014
dimanche 28 septembre 2014
En relisant Le Régiment part à l'aube de Dino Buzzati
La vie est quelque
chose de splendide, le monde est un lieu enchanteur. On y trouve les prairies,
les forêts, les fleurs. Le ciel, le soleil, les nuages. Les étoiles, la lune.
As-tu vu la mer, as-tu vu les montagnes ? N’es-tu jamais entré dans un
musée ? N’as-tu même pas essayé de lire quelques-uns de nos plus grands
chefs-d’œuvre littéraires ?
S’épuiser, s’éreinter
pour se retrouver toujours les mains pleines de cendres. Brûler d’amour pour
une femme, et, une fois qu’on l’a possédée, se sentir comme un ver vidé de
toute sa substance. Se battre pour la gloire, pour la fortune, pour le démon
qui vous tient et vous harcèle et, une fois parvenu à ses fins ne plus voir que cette ombre noire qui vous
attend et tout cela pour finir par crever et même les merveilleux vices, et
même la poésie, et même la musique se transforment, se putréfient, s’emplissent
de venin et on peut toujours te parler des fortunés, des encore plus fortunés,
parce que les autres sont pour la plupart condamnés eux aussi aux maladies, à
la misère, aux ennuis corporels, à la puanteur, à la laideur, à la vulgarité,
et il leur faudra partir eux aussi, même s’ils ont oublié qu’il leur fallait
partir, l’ombre qui attend au coin de la rue leur est destinée tout autant
qu’aux autres, derrière la porte, dans l’armoire, et avec elle les terreurs
nocturnes et celles du matin blême qui sont encore pires…
lundi 22 septembre 2014
L'Entretien devant la nuit de Paul Farellier
Les éditions Les Hommes sans épaules publient en octobre L'Entretien devant la nuit recueil du poète Paul Farellier. Voici un extrait de cette oeuvre :
Le
soir, nous parlerons de silence :
il
faut se couler au bas des marches
et
regarder les jarres dormir,
il
faut humer des yeux ces vieux murs
–
poussières d’insectes, de mortier,
cendres
de spores, d’araignes –,
débusquer
la lumière jamais traduite,
la
beauté sans cri.
Sommes-nous
pas la nouvelle rive,
la
crête la plus profonde,
la
descente à plus tard et son chemin d’ombre ?
Atteindre
au plus loin de l’or
l’île
de ténèbre,
encourir
l’enfouissement de l’éclair,
sa
partie basse d’ocre et d’oubli,
de
reproche, de mystère :
le
soir sait lire ces lettres de silence,
calciner
leurs grappes.
Le
soir nous instruit,
nous
dévaste de son calme.
samedi 20 septembre 2014
Ne pars pas avant moi. Jean-Marie Rouart.
Une vie qui ne serait qu’un long
fleuve tranquille ne semble pas interpeler l’auteur. Il lui faut la surprise
des cascades, le vertige des chutes et la fulgurance des torrents. Dans Ne
pars pas avant moi, Jean-Marie
Rouart revient sur les pages les plus
tumultueuses, les plus denses de sa vie : ce sont les amitiés qui
corrigent les inégalités héritées, le préjudice d’une scolarité juste passable
et qui ouvrent les horizons de l’infini qui n’est pas que littéraire. L’auteur
pense surtout à Jean d’Ormesson à qui cette autobiographie romancée – comme
toutes les autobiographies – doit son titre euphémique. L’éloge de l’amitié
(d’Ormesson, François Nourrissier, Lévi-Strauss…) est avant tout éloge de la
camaraderie, du chemin qui s’offre à deux sensibilités et qui console des déconvenues de l’amour. Oui, l’amitié
semble plus encline à la fidélité que l’amour souvent rongé par cette incurable
propension vers l’inconstance, comme l’était
l’amour de Solange. Ce livre insinue que la vie
coule trop paisiblement. Il passe de longs moments entre une rencontre et une
autre. Or, l’auteur veut plus d’orages, plus de coups de foudre et plus de ces ouvrages
dont la lecture vous marque pour la vie. Trop lente, la vie demande à être
réécrite, à être élaguée de ces moments où il ne se passe rien. Car ces moments
sans frémissements, sans ferveur font trop penser à l’antonyme de la vie. Mais
le paradoxe de la vie est qu’elle ne se nourrit pas seulement de réussites. Lisant
Jean-Marie Rouart, on se prend à penser que, par exemple, les amours
contrariées sont plus fructueuses, sans doute parce qu’elles réalisent ce vœu
du désir demeurant désir – pour paraphraser Char.
Voici une œuvre qui aspire à
confondre vie et écriture de la vie, à prêter à la lenteur du vécu la promptitude et la prestance
d’une belle plume.
Se référant à ces aveux, on pu
rapprocher Jean-Marie Rouart de Musset. Ne pars pas avant moi nous fait penser plutôt à un hédoniste préférant
à tout autre les plaisirs de l’intelligence. Cette intelligence qui aime à savourer
plaisirs et déplaisirs de l’amour comme pour signifier que sa première vertu
est de tout convertir en objet de réflexion. La réussite tient dans le récit de
cette conversion, dans le texte corrigeant les imperfections du vivre.
jeudi 18 septembre 2014
Pierre-Luc Poujol par Giulio-Enrico Pisani
Pierre-Luc Poujol : toccata
chez Cultureinside
Madame Gila Paris, la directrice de la Cultureinside
gallery[1],
qui expose jusqu’au 11 octobre les tableaux du peintre français Pierre-Luc
Poujol, m’avait envoyé un communiqué de presse aussi intéressant quant à sa
pertinence technique que phraseur sur sa signification et sa valeur artistique. Aussi vous en communiquerai-je seulement quelques
extraits, amis lecteurs, tout en essayant de le redimensionner et de ramener
sur terre ces envolées doctorales aussi abstraites que grandiloquentes typiques
d’une certaine critique d’art contemporaine.
Notons toutefois qu’elles ne sont pas l’oeuvre de «notre» charmante
galeriste, mais que ces lignes sont extraites du site Internet de l’artiste,[2]
dont je serais pour le moins fort étonné qu’il en fût lui-même l’auteur. Mais voyons-en tout d’abord les «bonnes»
lignes! Je cite:
«Dans la lignée de Pollock, Pierre-Luc Poujol
fait le choix de peindre par projection et dripping[3] sans avoir de contact
avec le support. Il se confronte ainsi
au néant de la toile en cherchant à y projeter de l’ordre et du sens, avec la
volonté tenace d’explorer et de découvrir de nouveaux territoires. Le geste impulsif, et cependant non aléatoire
de la main, du bras, crée un mélange abondant de couleurs encore fraîches et
fait éclore de surprenantes combinaisons. Sa peinture est vivante et ne cesse d’évoluer
jusqu’au parfait séchage ...» Il
n’y a, bien-entendu, rien à redire à ces premières affirmations aussi
compétentes que professionnelles. Mais c’est
à partir d’ici que cela commence à se gâter et à bringuebaler entre truismes et
spéculations. Passe encore de voir
l’artiste qui «... joue avec des trames "moucharabiesques", des superpositions
de coulures et de traits»; mais quand cette supposée façon de jouer avec des trames
"moucharabiesques" servirait à «faire émerger des sources lumineuses éparses
ou concentrées», on frôle le ridicule. Le peintre peut en effet rechercher, approcher,
découvrir, dévoiler des sources lumineuses, y attiger, s’y abreuver, en faire donc
l’objet d’une quête; mais comment les ferait-il émerger de le l’oeuvre? Et voilà qu’on l’évoque, cette fois à juste
titre, «Cette quête de la lumière (qui) accompagne le travail de l’artiste
vers une démarche toujours plus spirituelle...».
Ensuite ça
déraille de nouveau sévèrement. Ne
va-t-on pas en effet jusqu’à prétendre voir cette quête «... s’éloignant
du domaine profane pour renouer avec les origines de l’art: le divin. C’est ainsi que certaines de ses compositions
font référence aux vitraux des lieux sacrés...». C’est aberrant, car aux origines de l’art il y
a l’animalité, le totem[4], la
chasse, et non le prétendu divin. Chez
les peuples primitifs, le divin était considéré comme inexprimable et non
représentable, et l’art pariétal en témoigne.
C’était à la rigueur l’esprit de la nature dans le sens panthéiste,
quasi-spinozien[5] du terme. Quant aux vitraux des lieux dits sacrés et
notamment des cathédrales, dont la beauté artistique peut atteindre, il est
vrai, le sublime, certaines compositions de Poujol peuvent les rappeler ci et
là, mais n’y font certainement pas référence. Et en considérant même la possibilité qu’il s’en
fût parfois inspiré, c’est dans un tout autre registre qualitatif que se situe l’action
painting de «notre» artiste, dont le talent se révèle justement en cela qu’il
échappe et survole ce genre de lieux-communs pouvant au mieux flatter un
peintre du dimanche.
Or, Poujol est un créateur de très grand talent, et ma
visite à la galerie me le confirma de manière éclatante. Sa belle, sa magistrale, je dirais même sa
géniale ouvrage est, tout au contraire, ancrée dans une exquise matérialité
qui, si elle doit tout à l’esprit, n’a strictement rien de religieux et résulte
de geysers jaillissant de son subconscient dans une élévation tout à la fois
optique et quasi-musicale. Un mot en
particulier, cité dans le communiqué de presse susmentionné, est chargé d’une
signification quasi-ésotérique, non dans un sens surnaturel ou religieux, mais bien
de secret, exigeant donc une pénétration subtile pour accéder à sa signification
profonde: le mot trame. C’est donc
au-delà de la grille apparente, superficielle et surajoutée, introduisant au
mystère mais ne le résolvant en rien, que la trame profonde des toiles
poujoliennes, une fois pénétrée et déchiffrée, entraîne le spectateur presque
malgré lui vers des hauteurs qui font vibrer dans son esprit des harmonies
insoupçonnées. Face à ces trames aux
profondeurs insondables et aux interactions chromatiques mystérieuses, l’oeil du
spectateur l’amènent à ressentir des frémissements comparables à ceux que
procurent au mélomane l’oreille caressée par de accords musicaux parfaits.
Au premier abord
et compte tenu de ma pauvre connaissance de la scène artistique mondiale, je ne
vois aucun comparant à la peinture de Pierre-Luc Poujol, si ce n’est... Attendez…
Si ce n’est, justement, son harmonie, cette musique en fait, qui surgit
du fond de sa trame graphique et chromatique un peu comme celle de l’immense
artiste Markus Anton Huber. Mais si
j’écrivis de ce dernier[6], que
chacun de ses tableaux contenait un univers avec son temps de vie et la musique
de ses courants, qui m’évoquait l’entrelacs formé par les accords de la «Toccata e fuga» de Bach, de ses vibrations
et de sa fuite éperdue, l’univers de Poujol me rappelle, lui, davantage la «toccata»
de Charles-Marie Widor[7]. Plus linéaire, apparemment statique et moins
tourmentée que l’abstraction de Huber, la vision, tout aussi abstraite, de
Poujol, appelle davantage à la contemplation et à l’approfondissement qu’à une
adhésion passionnelle.
Né en 1963
dans les Cévennes, Pierre-Luc Poujol est reçu aux Arts Appliqués à
Bordeaux en 1983, en sort major de sa promotion en 1985 et obtient à cette
occasion le 1er prix de dessin et 1er prix de croquis. Il
se lance alors dans la peinture tout en travaillant dans la publicité – ce
qui l’amène à collaborer avec des artistes tels que Ben ou Combas... En 1992 il se tourne vers la communication et oeuvre à la création
du groupe Symaps... En 2000, il se rend en Palestine sous
l'égide de l'UNESCO et sur
invitation de Yasser Arafat, pour y recevoir de ses mains le premier prix de
création de l’identité visuelle célébrant le bimillénaire de la naissance du
Christ à Bethléem. Depuis 2007,
Pierre-Luc Poujol se consacre à la peinture et à la sculpture dans sa
maison-atelier aux portes de Montpellier.
Ai-je bien lu «et la sculpture»? Si
on le dit... Quant à vous en parler, ce
sera peut-être pour une autre fois, amis lecteurs, car pour l’heure, je ne
connais que ses tableaux, et vous introduire à la magie sans fond de ses
peintures est pour moi déjà une grande satisfaction et vous permettra j’espère d’accéder
à un moment d’intense bonheur.
[1] Cultureinside gallery,
8 rue Notre-Dame, coin rue des Capucins, Luxembourg centre, www.ci-artgallery.com, tel. 621.241243, expo Pierre-Luc Poujol jusqu’au 11
octobre 2014, mardi – vendredi 14h30 - 18h30, samedi 11 - 17h30
[3] Le dripping est un procédé pictural qui consiste à
faire s'égoutter la couleur par le fond percé d'un récipient que le peintre
déplace au-dessus de son œuvre, obtenant ainsi coulures et giclures (Larousse).
[4] Sur les significations du
terme totem, voir www.fr.wikipedia.org/wiki/Totem.
[5] Selon le philosophe Baruch Spinoza, qui oppose
à la conception transcendante du divin une philosophie matérialiste de
l’immanence.
[6] Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek www.zlv.lu/spip/spip.php?article9139 et www.zlv.lu/spip/spip.php?article4066
[7] De sa symphonie n° 5 en fa mineur.
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