Giulio-Enrico
Pisani
Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek
Luxemboug, 15 oct. 2015
Quo vadis tourisme
tunisien ?
En fait, c’est
«Où vas-tu, Tunisie?» que l’on voudrait tout d’abord demander à ses élites
politiques démocratiquement élues, au vu des résultats économiques désastreux du
pays ces dernières années, c'est-à-dire – c’est triste à dire – depuis
l’éviction du dictateur Ben Ali en janvier 2011. Ont-elles voulu réaliser le livre «C’était mieux quand c’était pire...»
de "notre" Claude Frisoni[1], ou
plutôt son sous-titre «Coquecigrues,
calembredaines, balivernes et autres billevesées», grâce à la
politique incompétente et inepte de leur Troïka
dominée par les islamistes? Accouchement douloureux d’une démocratie
gagnée de haute lutte par les jeunes et récupérée par les revenants islamistes
de prison ou d’exil, ce chapitre triennal[2] fut marqué par une islamisation rampante, une terreur salafiste tolérée
par le parti Nahdha et une impéritie économique de tous les jours. Entre 2010 et 2013 le déficit budgétaire tunisien
passa d’~1,1% à ~7%, sa dette augmentant de 26 milliards à plus de 35 milliards
de dinars. Et autant pour les
«bienfaits» de la gestion des islamistes!
Mais ne pouvait-on pas espérer que, après qu la Troïka eût cédé le
pouvoir au gouvernement provisoire (non partisan) de Mehdi Jomaa[3], puis que les élections eussent porté au pouvoir Béji Caïd Essebsi et
son parti séculier Nidaa Tounes, espérer donc une redynamisation de l’économie?
Hélas, ce serait faire les comptes sans
les trois années perdues en revanchisme bigot, immobilisme tribal et
infiltration islamiste des administrations.
Les résultats se font donc attendre et la reprise est ralentie par l’inertie,
la corruption, les chicanes religieuses et les conservatismes dressés contre tout progrès par les pions
placés dans la plupart des administrations par Nahdha durant ses trois années de
pouvoir. Mais un accroissement de
l’activité n’en a pas moins eu lieu et une timide lumerotte commençait tout de
même à poindre au bout du tunnel, lorsque... PATATRAS!
Le 18 mars 2015
au Bardo, le plus beau et prestigieux musée de Tunisie et l’un des bijoux de
toute la Méditerranée, un attentat terroriste causa, en plus des dégâts
matériels, la mort de 24 personnes (21 touristes, un agent des forces de l'ordre et deux
terroristes) et fit 45 blessés. Outre la terrible tragédie personnelle
frappant les victimes et leurs familles, le coup était plus que dramatique pour
le pays à peine convalescent, dont le tourisme fournissait directement 7-8%[4] du PIB et plus de 400.000 emplois directs et indirects, voire épisodiquement
jusqu’à 15 % de la population active. Mais, comme si cela ne suffisait pas, un nouvel
attentat islamiste/djihadiste frappa le 26 juin 2015 la
station balnéaire de Port El-Kantaoui près de Sousse, faisant 39 morts et 39
blessés.
Si l’attentat du Bardo avait déjà entraîné une baisse estimée à
25,7 % du nombre de touristes sur un an, celui de Sousse pourrait coûter, avec
ses annulations de réservations et ses départs en masse, plus de 450 millions
d’Euros au pays. Même le beau geste de dizaines
de milliers d’Algériens venus passer par solidarité leurs vacances en Tunisie ne
saurait compenser la défection des Européens: plus de 60% d’annulations,
retrait de la Tunisie du programme de nombreux croisiéristes et tour-operators
et, pis que tout, le boycott de la Tunisie par de nombreux gouvernements
occidentaux appelant formellement leurs ressortissants à éviter la Tunisie. Je pense notamment aux gouvernements
français, belges, britanniques, irlandais, finlandais et danois[5]. Certes, toutes les conséquences économiques
et financières de ces tragiques évènements ne peuvent être chiffrées avant la
fin de l’année, mais il ne fait aucun doute qu’elles seront désastreuses.
Hôtels
désertés, fermetures et faillites à la chaîne, personnel hôtelier au chômage
par dizaines de milliers, déséquilibrage de toute l’économie à cause du manque
soudain de moyens destinés à d’autres secteurs économiques, industriels,
agricoles et sociaux[6]. Et tout cela par la faute de deux
attentats? Certainement pas! C’est ce
qu’on veut nous faire croire, ici en Europe et peut-être également aux
USA. Mais pour peu que l’on prenne le
temps de réfléchir de façon non-émotionnelle et sensée, il appert vite que
cette supposition est absurde. Les grands fautifs de cette désertion des
plages et des trésors culturels tunisiens sont en réalité bon nombre de
gouvernements occidentaux, mais aussi une majorité de croisiéristes et
tour-operators. Échaudés par les
annulations de touristes effrayés à chaud, dont la réaction se comprend, quoique
dépourvue de toute logique, ces voyagistes bornés ont cessé toute publicité
permettant de relancer, du moins à terme, la machine touristique tunisienne.
N’exagérons
pas en employant le terme criminel, mais il est sûr que l’attitude des nombreux
gouvernements européens confirmant, voire encourageant cette défection massive
par leurs mises-en-garde injustifiées, a été et est pour le moins délictueuse. Le seul peuple, le premier du «printemps
arabe» à avoir mené et à poursuivre tenacement sa révolution sans l’intervention
calamiteuse des bombardiers occidentaux ou autres[7], le
seul donc à avoir préféré la voie politique à l’empoignade guerrière, ce peuple
se voit privé par les dirigeants européens de sa première source de
revenus. C’est honteux. Et c’est d’autant plus scandaleux que leurs
cris d’orfraie gouvernementaux au danger terroriste ne sont nullement justifiés.
Démonstration
empirique et règle fondamentale: un
attentat terroriste n’a jamais lieu là où on l’attend. Et c’est tellement évident qu’il ne faudrait
pas devoir le rappeler[8]. Vous avez infiniment plus de chances d’être
victime d’un attentat, ailleurs qu’à l’endroit où il vient d’avoir lieu, plutôt
qu’en cet endroit même. Aussi, déserter un
pays, une ville, un musée ou un hôtel venant d’être victimes de terroristes est
un non sens. Il s’agit sans doute des
lieux les plus sûrs du monde.
Mais un autre
impair de certains de nos gouvernants injustes et sottement alarmistes reflète
leur stupidité partiale quand leur pays n’est pas directement concerné. Ils font en effet preuve de bien plus de
retenue dans leur alarmisme, quand les revenus économiques et touristiques de leurs
propres pays ou villes sont en jeu. Tenez,
à aucun moment après les attentats meurtriers de New-York, Madrid, Londres ou Paris
des gouvernements occidentaux n’ont appelé à s’abstenir de visiter ces
capitales. Serait-ce plus légitime d’être
tué par un terroriste en Europe qu’au Maghreb?
Suite à l’assassinat en mars 2012 par le djihadiste antisémite Mohamed
Merah de sept personnes à Toulouse et Montauban a-t-on invité les juifs de
France, d’Europe et d’ailleurs à éviter de se rendre dans ces villes? Non, bien sûr.
Et les attentats en série des Brigades Rouges, de la Bande à Baader ou
de l’IRA dans les années 60 à 90 ont-ils jamais empêché quelqu’un de se rendre
en Italie, Allemagne ou Angleterre? C’est dire la crédibilité de nos dirigeants. Quoi d’étonnant qu’au «Tiers-monde» on ait de
plus en plus de mal à nous prendre au sérieux et qu’il faille le semi-dictateur
Poutine pour rendre un peu de crédibilité, sinon à l’U.E., du moins aux
Européens.
Allons donc,
mes amis, mes compatriotes et vous tous, voyageurs et vacanciers européens,
cessez donc de vous laisser présenter des films d’horreur par ces réalisateurs
à deux sous que sont bon nombre de nos dirigeants! Tout le monde sait aujourd’hui par la presse
que les mesures draconiennes prises par les autorités de Tunisie y rendent tout
nouvel attentat, non pas impossible – ce n’est le cas nulle-part –, mais bien
pus difficile et improbable qu’à Paris, Bruxelles, Londres, Copenhague, Dublin
ou Helsinki. Alors, qu’elles soient
balnéaires ou culturelles, n’hésitez plus, amis lecteurs, et bonnes vacances...
en Tunisie.
[1] Frisoni
Claude: C'était mieux quand c'était
pire, Coquecigrues, calembredaines, balivernes et autres billevesées,
128 pages, Éditions Phi 2001
[2] ...
auquel j’ai consacré une quarantaine d’articles, tous dans notre Zeitung vum
Lëtzebuerger Vollek (liste et liens dispo. sur demande)
[3]
Janvier à octobre 2014
[4]
Indirectement, cette part pourrait monter à 15% du PIB
[5] Le
Monde.fr: Le gouvernement BRITANNIQUE a annoncé, jeudi
9 juillet, qu’il déconseillait désormais la Tunisie à ses ressortissants
pour tout voyage «non essentiel».
FRANCE (les plus modérés, à cause du business) Diplomatie (Ministère des
Affaires étrangères, sept. 2015):
... les ressortissants français résidant ou désirant se rendre en Tunisie, sont
appelés à faire preuve de vigilance renforcée et à se conformer aux consignes
de sécurité figurant sur ce site.
Royaume de BELGIQUE, Affaires étrangères
(octobre 2015): En raison de la
persistance d’un niveau élevé de menace terroriste dans le pays, tous les
voyages non-essentiels vers la Tunisie restent déconseillés.
Les Échos.fr (juillet
2015): le DANEMARK
a appelé vendredi ses touristes à quitter le pays dès que possible...
Les
Échos.fr (juillet 2015): ... l'IRLANDE
a déconseillé à ses citoyens de se rendre en Tunisie. "Nous avons pris
la décision de changer nos conseils aux voyageurs pour la Tunisie en
déconseillant tout voyage non essentiel", a annoncé le ministre des
Affaires étrangères Charlie Flanagan
[6] Notamment
forte réduction de revenus de commerçants, restaurateurs, cafetiers, artisans,
guides touristiques, taxis, etc., mais aussi de rentrées fiscales venant à
manquer pour les projets de relance et d’investissements d’un état qui doit du
même coup faire face à un accroissement des dépenses sociales (chômage) et de
sécurité.
[7] Souvenons nous de janvier 2011, la seule offre
d’ingérence étrangère dans la révolution tunisienne avait été l’assistance du
savoir-faire policier français proposée par la ministre française Michèle
Alliot-Marie au dictateur Ben Ali pour "régler les situations
sécuritaires". Comme quoi Il y a toujours eu
pour nos belles et nobles démocraties occidentales des dictateurs fréquentables
(business first) et les autres qui ne rapportent rien ou gênent trop.
[8] Savoir quand et où un
attentat aurait lieu, donnerait évidemment aux résidents locaux et aux forces
de l’ordre 100% de chances de l’éviter.