mardi 29 décembre 2009

En pensant à Vermeer



De tous les peintres, Vermeer est celui dont l’œuvre exige le plus d’être traduite. Mais il me tient à cœur de dire deux mots sur le peintre. Un mot en toute hâte sur l’horloge qu’on voit dans La Vue de Delft. Quelle heure-t-il dans le tableau ? Le premier mouvement serait de répondre 5h45 ou 17h45. Mais l’angle formé par les deux aiguilles est trop droit pour l’une et l’autre heure. Ce que montrent les deux aiguilles, ce sont deux droites rectilignes formant un angle droit.
Je prends souvent cette horloge comme exemple pour dire que dans une œuvre d’art, l’horloge réfère à une chronologie intérieure, à une réalité intrinsèque. Ici, c’est celle de la géométrie de l’œuvre. Tout le tableau est composé de lignes rectilignes et d’angles droits. L’œuvre de Vermeer aime à montrer autre chose que ce qu’elle désigne. Elle semble se plaire, tout au moins dans le tableau qu’admirait Proust, à montrer sa propre trame, à dévoiler son architecture. Dans ce sens, un tableau comme La Jeune fille à la perle pourrait être considéré comme une clé de lecture de tout Vermeer, le peintre des perles par excellence. Mais chez le peintre de Delft, on ne sait jamais qui est la perle ni où elle se trouve. Ce n’est pas seulement la jeune fille qui est une perle mais le port de Delft aussi, mais le globe terrestre aussi. La perle est cette aspiration vers l’essence qui peut avoir pour motif l’objet le plus quotidien, le plus anodin. Chez Vermeer, le quotidien est un détour pour dire l’essentiel.
Faisons un détour qui finira par nous ramener vers les perles : d’où me venait ce vertige que j’ai eu au Mauritz huis ? Etait-ce d’avoir pensé à Bergotte que Proust fit mourir devant La Vue de Delft ? Etait-ce d’avoir mesuré la splendeur des Pays Bas dans ce tableau ? Etait-ce encore d’avoir trouvé dans ce tableau que la petite ville de Delft n’était qu’une copie de l’original que j’avais devant les yeux ? Ou alors était-ce d’avoir devant moi comme une confirmation de ce que j’avais toujours pressenti devant l’œuvre de Vermeer et que je résume ici en deux mots : Vermeer n’aura peint qu’une seule chose : des perles. Perle : perla. J’en égrène ici les connotations : miroitement, moiré, rondeur, richesse, perfection de la forme, le tout surdéterminé par des connotations féminines. Herméneutiquement : cela qu’au loin on va chercher dans les abysses. Perle : profondeur. C’est le tout concentré dans ce rien. Et cela reflète le monde. Une perle est un petit globe pouvant dire le grand globe. En ce sens, la perle est à lire comme synecdoque du monde. C’est la partie signifiant le tout. C’est le fini devenant contenant de l’infini. Et c’est justement ce tout et ce rien que nos deux poètes essayent de saisir et qu’ils donnent à lire comme autant de perles.

14 commentaires:

giulio a dit…

Décidément, cher Jalel, depuis ses liseuses, il ne te lâche plus, ce Vermeer. Dommage qu'il me soit impossible de distinguer quelque horloge ou angle droit des aiguilles sur ta photo, oh grand chef numide Oeil de faucon, qui, tout comme Proust saisis l'indiscernable à l'oeil commun! Ce dernier ne parlait-il pas en effet d' "un petit pan de mur jaune (...) si bien peint qu'il était, si on le regardait seul, comme une précieuse oeuvre d'art chinoise, d'une beauté qui se suffisait à elle-même"? Petit pan de mur que je ne vois pas mieux que "ta" pendule.
Par contre je te suis pleinement (enfin, presque) dans ta superbe symbolique perlière, la perle de sa jeune fille reflétant son monde et concentrant le monde en elle mieux encore que le miroir convexe des époux Arnolfini (van Eyck) leur monde à eux
.

Jalel El Gharbi a dit…

Cher Giulio,
Peut-être qu'en suivant ce lien tu pourras voir l'horloge. Recopie le tableau puis agrandit
Amicalement
http://www.picturalissime.com/t/vermeer_vue_de_delft_l.jpg

christiane a dit…

Lumière dorée, pureté de l'atmosphère, limpidité et légèreté du ciel, modulation douce d'ombre et de lumière comme dans une nacre translucide et sa brillance iridescente. Lyrisme de ce soleil levant qui blondit les pierres doucement.
Perle d'eau, de rosée, perle venue du profond de la mer. Nuances d'or de la perle d'Orient. Perfection.
Calme, sérénité, silence et harmonie. Sagesse.
Ah, l'Ecole de Delft...
Sylvie Germain, dans un très beau livre "Patience et songe de lumière", écrit ces lignes en contemplant les tableaux de Vermeer :
"Un voyage dans l'immensité close au coeur de l'apparence, une lente dérive dans les remous de l'immobilité..."

Jalel El Gharbi a dit…

Merci Chrisitiane pour ce commentaire et pour la citation de Sylvie Germain (j'essayerai de lire son livre)
Amicalement

Feuilly a dit…

La perle comme métaphore de la femme … La perle rare, en quelque sorte, celle qu’on met du temps à trouver mais qui rayonne de toute sa splendeur intrinsèque.

Quant à la vraie perle, on la trouve, elle, dans le fond des océans lointains, dans l’obscurité de la mer (d’où l’importance chez Vermeer, des zones d’ombre, qui contrastent avec les parties éclairées ?). Ce qui est sûr, c’est qu’il faut aller loin pour en trouver, dans les mers du Sud. On remarquera d’ailleurs que des cartes géographiques ornent pratiquement tous les intérieurs peints par Vermeer. La carte (qui est aussi une peinture finalement) est là comme un appel aux voyages lointains (comme les fenêtres ouvertes ou la lumière qui filtre d’elles sont comme une invitation à la promenade extérieure). Notre peintre représente des scènes de la vie quotidienne, mais à chaque fois il nous invite à dépasser ce cadre étroit pour un ailleurs fabuleux, qu’on ne fait que deviner ou imaginer (importance du rêve).

Dans le tableau « La vue de Delft », le port symbolise bien l’invitation au voyage, le départ vers des pays lointains. Une nouvelle fois, derrière le calme de la vie quotidienne se trouve en creux le désir d’un ailleurs. Et cet ailleurs peut aussi être la femme (qui est si souvent représentée : dentellière, laitière, musicienne, femme à l’aiguière, lectrice, etc.) et la perle des abysses, peut-être, renvoie à sa féminité intime, à cette perle qui orne l’entrée de son sexe profond.

Dans le tableau « L’officier et la jeune fille riant » on retrouve un homme qui compte fleurette à une jeune fille. Habillé de rouge, l’officier incarne la puissance et l’audace, tandis que la demoiselle (qui sourit et semble réceptive à ses propos) porte des habits plus ternes, mais des habits qui renvoient à la carte géographique accrochée au mur, laquelle est de même couleur. Entre la femme et les pays lointains, qu’il faut partir explorer, un rapprochement est donc possible. Cette ouverture vers un ailleurs est d’ailleurs symbolisée par la fenêtre ouverte, sur laquelle donne la lumière. L’officier est peint de dos, preuve qu’il n’est qu’un élément secondaire du tableau. Le regard du spectateur se focalise sur la jeune fille et sur la carte géographique. C’est que la femme est un monde en elle-même. Qui nous dessinera la carte permettant de conquérir son cœur ?

http://www.picturalissime.com/vermeer_soldat_fille.htm

Jalel El Gharbi a dit…

@ Feuilly : ajoutez à cela que la perle implique le voyage, le parcours dans toutes ses dimensions : vers d'autres horizons (la mer d'Oman par exemple) et la profondeur. (Profondeur me fait penser au mot arabe Qamous, en quelque sorte l'adret de la mer, le zéntih inversé, le point le plus profond de la mer et le mot signifie aussi dictionnaire : réalités verbales)
Amicalement

michèle pambrun a dit…

Dans "L'Atelier", le peintre est aussi peint de dos. Ce n'est pas lui qui est glorifié, mais la peinture, encore reléguée à l'époque à un statut subalterne. Carte au mur oui, pour dire aussi que le peintre est en lien avec la géographie, avec l'histoire, avec son temps.
Dans le livre dont parle Christiane ("Patience et Songe de Lumière", édité chez Flohic aujourd'hui disparu, est maintenant intégré dans un livre plus large "Ateliers de Lumière" chez Desclée de Brouwer, dans lequel S.G. parle aussi de Piero della Francesca et de Georges de La Tour), Sylvie Germain dit que "toutes ces perles (La peseuse de perles, Le collier de perles) sont d'eau limpide et mystérieuse, et leur orient est un Levant. (...) La peseuse sait cela qui porte en son ventre à la courbe arrondie un enfant enroulé dans une conque emplie d'eau primordiale".

christiane a dit…

ô merci , Michèle

El Gharbi a dit…

@ Michele Pambrun : merci pour ces précieuses précisions.

Yamen a dit…

Merci pour le post.
Juste pour info : un homme d'affaire tunisien a voulu rendre hommage à ce peintre en nommant sa société qui est actuellement un fleuron de l'économie tunisienne et leader international dans le domaine de l'édition des applications financières, d'un nom qui rappelle celui de Vermeer.

Jalel El Gharbi a dit…

Merci Si Yamen. Dites-nous quel est le nom de cette société
Merci de votre passage

Jalel El Gharbi a dit…

Merci Si Yamen. Dites-nous quel est le nom de cette société
Merci de votre passage

Yamen a dit…

Pas de quoi :). Concernant le nom de la société je vous invite à voir cette image : http://twitpic.com/wmc79

amel a dit…

Oui cher Giulio: "la perle de sa jeune fille reflétant son monde et concentrant le monde en elle mieux encore que le miroir convexe des époux Arnolfini (van Eyck) leur monde à eux", il y a chez ce fascinant rapport chez le peintre de Delft entre la perle : sa servante et son modèle, l'interdit de cet amour dans son exaltante profondeur.
Amitiés à vous tous.