mercredi 8 septembre 2010

Sur un vers de Darwich

OEuvre de Gerrit Van Honthorst


التفاحة : عض الشكل بلا عقوبة المعرفة.
. الأجاصة : نهد مثالي التكوين لا يزيد عن راحة اليد ولا ينقص
العنب : نداء السكر أن اعتصرني في فمك أو في الجرار
.التين : انفراج الشفتين بإصبعين لتلقي المعني الآيروسي دفعة واحدة
.التين الشوكي: دفاع العذراء عن كنزها.الكرز: اختصار المسافة بين شهوة العينين وصورة الشفتين.
السفرجل: مشاكسة الأنثى للذكر تترك غصّة في حلق الخائب
الرمان : اختباء الياقوت في التورية

محمود درويش




Poème de Mahmoud Darwich-

-Les pommes : mordre la forme sans le châtiment de la connaissance.
-Les poires : un sein d’une configuration idéale, ni plus petit ni plus grand que la paume d’une main.
-Les raisins : le sucre vous appelant à le presser soit dans votre bouche soit dans les amphores
.-Les figues : les lèvres qu’entrouvrent deux doigts pour recevoir en une seule fois le sens érotique.
-Les figues de barbarie : la vierge défendant son trésor.
-Les cerises : la distance écourtée entre le désir des yeux et l’image des lèvres.
-Les coings : les taquineries d’une femme faisant que l’homme éconduit a la gorge nouée.
-Les grenades : la dissimulation du rubis dans la syllepse.

Dans ce poème s’ouvrant sur des allusions à la genèse conçue ici comme le commencement de la séduction et de l’amour et privilégiant les sens, le dernier vers constitue rhétoriquement une chute. C’est une pointe comme celle qui doit clore le sonnet. Or ici, la chute condense tout (le poème). Elle signifie que les sens valent surtout comme mode de connaissance. La chute est en fait l’acmé du poème, son paroxysme, l’instant où le poème est réflexion sur la poésie.
Notons que le poème est œcuménique. Il pense à la Genèse mais aussi au Coran ou il y fait penser. Il se termine sur une évocation de la grenade, fruit cité dans le Coran. Mais dans le texte il est un autre fruit « cité » dans le Coran « Tine » (figue). Or pour ce dernier fruit, contrairement à l’interprétation communément admise, il ne s’agit pas de fruits (Chouraqui, qui n’est pas à une faute près, n’est pas le seul à traduire ainsi) mais bien d’endroits, de lieux-dits.
Le vers définit la grenade par son faire : elle cache, elle dissimule (« dissimulation » devant être entendu au sens actif de « se dissimuler » et non pas au sens passif d’ « être dissimulé ») ce qui se cache c’est le rubis choisi ici pour sa couleur afin de signifier les grains. Donc, c’est une métonymie au second degré ;
Puisque rubis signifie d’abord couleur du rubis (par ellipse, « couleur de » a été supprimé)
Et par analogie (rapprochement de type métaphorique ) la couleur désigne les grains du fruit.
« Syllepse » : le mot est mis pour désigner l’écorce du fruit, cela qui dissimule, l’apparence. Car tel est le faire de la syllepse arabe. La syllepse arabe est un cas où un terme convoque deux sens dont l’un est écarté, dissimulé et l’autre retenu. Or dans la rhétorique occidentale, la syllepse est cette figure qui convoque simultanément deux sens. Nous traduisons donc « tawria » par « syllepse » faute de mieux. Nous avons pensé à « antanaclase » mais c’est tout autre chose. L’antanaclase répète le mot dans deux sens différents où à chaque fois l’autre sens est exclu. J’aurais tout de même choisi « antanaclase » si ce mot n’avait pas un correspondant exact dans la rhétorique arabe « tardid ».
Le dernier vers, métaphore du fruit, est une définition de la syllepse, c’est-à-dire métonymiquement du poème. Tout poème est une grenade, tout texte est une grenade. Le sens est le rubis. Le sens se mérite : il faut auparavant décortiquer, y accéder avant de savourer de tous ses sens.

11 commentaires:

giulio a dit…

Quelle splendide présentation! C'est à se demander qui est le plus poète: le poète ou le poète ?

Mais pourquoi donc la "chute" est passée à gauche ? S'occidentaliserait-ellle ?

christiane a dit…

Oui, Giulio, même question...
De Darwich à Bachelard, du fruit à la fleur, remontons les saisons du verger, cher poète...
(La poétique de l'espace chapitre VII- -puf- la miniature)
p. 144/145/146
"Le botaniste utilise ingénument les mots correspondant à des choses de grandeur courante pour décrire l'intimité florale. On peut lire dans le Dictionnaire de botanique chrétienne édité en 1851, à l'article "Epiaire", cette description de la fleur du stachys :
"... J'enlève le petit calice avec ce réseau de longue soie qui le recouvre... La lèvre inférieure de la fleur est droite et un peu recourbée ; elle est d'un rose vif intérieurement et couverte à l'extérieur d'une fourrure épaisse. Toute plante échauffe lorsqu'on la touche. Elle a un petit costume bien hyperboréen. Les quatre petites étamines sont comme de petites brosses jaunes." Jusqu'ici le texte peut passer pour objectif. Mais il ne tarde pas à se psychologiser. Progressivement une rêverie accompagne la description : " Les quatre étamines se tiennent droites et en fort bonne intelligence dans l'espèce de petite niche que forme la lèvre inférieure. Elles sont là bien chaudement dans de petites casemates bien matelassées. Le petit pistil est respectueusement à leurs pieds, mais comme sa taille est fort petite, il faut lui parler, qu'à leur tour, elles plient les genoux... Les quatre semences nues restent au fond du calice et s'y élèvent, comme aux Indes les enfants se bercent dans un hamac. Chaque étamine reconnaît son ouvrage, et la jalousie ne peut exister."
Ainsi dans la fleur, le savant botaniste a trouvé la miniature d'une vie conjugale, il a senti la douce chaleur gardée par une fourrure, il a vu le hamac qui berce la graine. De l'harmonie des formes, il a conclu au bien-être de la demeure....
Il est regard frais devant objet neuf. La loupe du botaniste, c'est l'enfance retrouvée. Elle redonne au botaniste le regard agrandissant de l'enfant. Avec elle, il rentre au jardin; dans le jardin."
Eh, bien, cher Jalel, quelle gracieuse rêverie...

Jalel El Gharbi a dit…

Cher Giulio
Je viens de rectifier.
Merci pour tout.
Chère Christiane,
Merci pour ce beau passage. La vocation métaphorique des fleurs et des roses est d'une surprenante vitalité.
Merci

christiane a dit…

Oui, Jalel, d'autant plus quand on voit l'origine du texte... Bachelard semble s'être bien amusé tout en travaillant !

Halagu a dit…

L'évocation des fruits dans la poésie arabe semble fréquente. Je l'ai rencontrée en particulier chez le poète soufi Ibn Arabi ainsi que le cordouan Ibn Quzmân.La pomme et la grenade reviennent assez souvent pour les raisons que vous avez expliquées.

Jalel El Gharbi a dit…

Aux poètes que vous citez , Halagu, on pourrait surtout ajouter Al Bohtori (Le Poète, selon Maari).
Souvent, ces fruits sont surdéterminés par une signification érotique
Amitiés

christiane a dit…

Je crois que c'est la grande fête de la fin du ramadan. Bonne fête de paix à tous.

Jalel El Gharbi a dit…

Oui, c'est le deuxième jour de l'Aid. Bonne fête à tous.
Merci Christiane

Michèle a dit…

"Tout poème est une grenade, tout texte est une grenade. Le sens est le rubis. Le sens se mérite : il faut auparavant décortiquer, y accéder avant de savourer de tous ses sens."

C'est un bonheur, Jalel El Gharbi, de vous écouter dévoiler ainsi le sens d'un texte.

Pour qui n'a pas l'immense chance de lire l'arabe, votre travail est précieux et il y a un moment déjà que je ne supporte d'autre traduction de Darwich que les vôtres, trop peu nombreuses, hélas.

Je relisais un article écrit en novembre 2009 par Aymen Hacen, qui déplorait que la traduction française de "Athar al-farâsha",- dernier livre publié par Darwich à Beyrouth en janvier 2008 aux éditions Riyad El-Rayyes,- fasse écran à l'œuvre, puisque le traducteur, Elias Sanbar, ayant pris au pied de la lettre le titre arabe, Athar al-farâsh, titre "Les traces du papillon", alors qu'il s'agit de "L'effet papillon".
Ce qui, chacun sait, n'est pas du tout la même chose.

Je trouve inadmissible que Sanbar reste le traducteur attitré de Darwich. Je suis désolée de le dire brutalement mais il y a un moment que j'ai cela en travers de la gorge.

Jalel El Gharbi a dit…

Je vous remercie chère Michèle. Disons tout de même que le titre de Darwich "Athar al farâsha" ayant induit Sambar en erreur vient d'un calque sur l'anglais The butterfly effect qui en est une mauvaise traduction. J'aurais proposé "Maf'oul al farâsha". Notons que l'arabe a hésité entre Athar et Ta'ithir -comme on peut le voir sur la page Wikipedia correspondante.
Je pense que cette erreur ne suffit pas pour condamner la traduction de Sanbar. Aymen Hassen aurait dû trouver d'autres exemples, d'autres erreurs (ce qui n'est pas très difficile à faire tant Sanbar en fait). Mais quel traducteur n'en a pas fait. Jamel Eddine Ben Cheikh se disait prêt à établir un sottisier de l'excellente traduction du Coran par Hamidallah - un érudit comme on en voit rarement-
Sans aller jusqu'au sottisier, on pourrait relever des erreurs dans l'excellente traduction des Mille et une Nuits de Bencheikh.
Au fond, je crois la langue joue des tours aux traductions. Il arrive même que les langues se liguent (par paronomasie) pour piéger le traduction c'est ainsi par exemple qu'il m'est arrivé de traduire (Gil Deleuze) non pas par Gilles Deleuze mais par génération Deleuze.
Chère Michèle, ce que vous dites de mon travail m'encourage à traduire davantage. Ma prochaine traduction de Darwich vous est dédiée

Sophie a dit…

Un délice de sens, qui donne envie de rassembler tous ces fruits dans un compotier, et d'y croquer avec le goût et l'esprit en harmonie... Mille bravos pour cette traduction.
Bien à vous.