Chers amis, en attendant que nous aussi nous puissions pâtir de ces étés où il ne se passe rien, où "une étoile pourrait naître qu'on ne la remarquerait pas". Je vous invite à suivre notre ami Giulio-Enrico Pisani écumant les galeries d'art et découvrant des merveilles sur leurs cimaises.
Carissimi, Violenza
Attilio Carissimi : rêves et
autres plastiques
Giulio-Enrico Pisani
Lux., septembre 2013
Zeitung Vum Lëtzeburger vollek
Ah, les vacances, la pause estivale, le trou d’été, désert
culturel, désert politique, désert tout court!
Comme si tout le monde était parti.
Comme si personne n’avait pas déjà été en vacances ou n’y était pas
encore allé. Comme si la majorité des
résidents luxembourgeois, donc tous les non partis n’étaient personne, comme si
seuls les aoûtiens, les absents du mois d’août, valaient le coup. L’époque qui amène Luc Caregari à écrire «Quand les chiens écrasés - voire les ânes -
apparaissent sur les unes des titres de presse, c'est le signe que nous
traversons le trou d'été».[1] Pas de nouveautés muséales, pas de vernissages
non plus, bien sûr, à la rigueur quelques expos pot-pourri, bric-à-brac,
capharnaüm, laissé-pour-compte, fonds de tiroir, etc... Bon, ce n’est pas grave
en soi, mais le problème, c’est qu’on s’installe à tel point dans l’inertie, le
farniente, le non-évènement, le rien, qu’on s’en irrite d’abord, puis on s’y
résigne et que l’on rate même ce qui vaut le coup. Une étoile pourrait naître, qu’on ne la
remarquerait pas, ou une merveille, ou un grand artiste italien traversé
peut-être par l’idée saugrenue que, rien n’ayant lieu en Italie au mois d’août,
pourquoi ne pas monter et se montrer au Grand-duché. Or, cela revient un peu à tomber de la poêle
dans la braise, de Charybde en Scylla
ou du Sahel dans le Sahara.
Mais la faute n’en incombe pas exclusivement aux
galeries d’art; en fait, c’était à moi d’aller les explorer, au lieu d’attendre
d’hypothétiques invitations. Je bats par
conséquent mon mea culpa, ma faute, ma très grande faute. Et... voilà déjà le pardon, la grâce, la trouvaille
– tardive est-il vrai; mieux vaut tard que jamais – d’une affiche de la Galerie d’art contemporain Maïté,[2] collée au zinc du bistro où j’ai mes habitudes. Ah, c’est qu’elle n’a pas besoin d’églises,
la grâce, pour se manifester. Vous
souvenez-vous, amis lecteurs, c’est déjà chez Maïté, que j’ai fait il y a huit
mois l’extraordinaire découverte de l’artiste luxembourgeois Roger Dornseiffer.[3] Mais, pourquoi tardive? Eh bien, parce que je découvre fin août une
exposition ouverte depuis la mi-juillet et qu’il ne vous reste que jusqu’au 15
septembre pour la visiter à votre tour. Vous
ne m’en voudrez pas au moins? Et ce d’autant
moins que, grâce à un gouvernement incompétent, nous voilà avec des élections
anticipées, où j’espère que certains d’entre vous voudront bien me donner leur
voix, ou, mieux encore, à toute la liste 3. Mais
passons, ou plutôt rendons-nous avenue Marie Thérèse à l’angle du boulevard
Prince Henri face au parc municipal – en fait près du pont Adolphe – et
poussons la porte vitrée de l’Immobilière Maïté, derrière laquelle s’ouvre,
côté droit, la belle galerie de même nom.
Carissimi, Al teatro
Et là, c’est – croyez-moi
– l’éblouissement, la surprise, la joie des yeux et de l’esprit face à la valse
lente, à la troublante pavane, au chant plus onirique que dramatique (sauf
exception, surtout dans les plastiques), que forme l’univers poétique d’Attilio
Carissimi, concrétisé en peinture et sculpture.
Et là encore, j’ai envie de vous dire «laissez toutes vos idées préconçues au vestiaire», tout comme «oubliez tout ce que vous savez d’histoire de
l’art», voire même que «si vous ne
savez pas distinguer un Renoir d’un Giotto, c’est tant mieux». Les personnes, les foules, choeurs, groupes
ou bacchanales peintes par Attilio parfois aux limites de l’abstraction sont
impressionnantes de réalisme, de sensibilité; ses femmes et hommes au visage sans visage étant d’une
expressivité intérieure troublante. Plus
poignant que celui des anonymes d’un J. A. Cardon ou des soldats du peloton
d’exécution de Goya, cet occulté des figures n’a rien de la froideur des
visages sans visage de Malevitch ou De Chirico et rappelle plutôt
l’expressivité sous-tendue des faces sans visage de Giacomazzi. Tout dans la peinture d’Attilio est
sensibilité – parfois d’écorché vif –, mais aussi rêve, nuance, douceur,
compréhension profonde et complicité tacite.
Il est vrai que ses sculptures sont souvent moins tendres, plus
tranchées, comme si pour Attilio la troisième dimension devait enfanter une
dose de dureté. Lorsque face à ses
tableaux, ses sfumati, ses personnages mi-humains mi-esprits, j’imaginais le
passage de l’art graphique au plastique tout en douceur, via la terracotta
peut-être, ou via le bois, notre artiste préfère sculpter dans le bronze, le
pugnace airain des anciens. Et c’est
dans le bronze qu’il forge une pléthore de formes et de créations, qui vont de
l’abstraction la plus pure (rare) et sans autre signification que sa propre
beauté jusque, à travers tout ce que l’on peut imaginer, à une figuration
tellement réaliste qu’elle en est poignante. Sa féroce «Violenza»,
le grand Rodin lui-même ne la désavouerait pas, et elle n’eût pas déparé dans la
«Porte de l’enfer» du maître français.
Attilio Carissimi est
né en Lombardie, à Bergamo, en 1939, s’est adonné très tôt aux arts aussi bien graphiques
que plastiques et a suivi régulièrement, à côté de ses études de chimie à l’Institut
technique industriel, des cours de dessin dans sa ville natale. L’un de ses principaux professeurs fut le
sculpteur bergamasque Piero Brolis.
Jusqu’en 1975 il travaille comme technicien chimiste tout en participant
à de nombreuses expositions collectives qui lui valent maintes distinctions,
dont le 3e prix au concours «Il Palladio» à Vincenza en 1970. En 1975, la famille Carissimi déménage sur
les rives du lac de Garde, dans le pittoresque village de Malcesine, où Attilio
travaillera d’abord dans l’atelier du peintre Ottavio Giacomazzi, lui-même
élève du célèbre Manfred Henninger de Stuttgart. Il est d’ailleurs étonnant, combien de
Henninger on retrouve en Carissimi, au point que parler d’une filiation spirituelle
(par dessus Giacomazzi?) Cézanne > Henninger > Carissimi ne me paraît pas
aventureux. Plongé désormais dans le
milieu des beaux-arts, Attilio y établira de nombreux contacts et participera
dès lors à un grand nombre d’expositions, aussi bien en Italie que dans le reste
de l’Europe.
Et voilà, en attendant
d’aller visiter l’atelier de l’artiste dans ce lieu paradisiaque qu’est le
village de Malcesine (province de Verone) sur le lac de Garde, ne manquez
surtout pas de venir le découvrir à la galerie Maïté. Outre la «Violenza»
citée plus haut, vous attendent également d’extraordinaires bronzes comme «Materia nascosta», «Enigma donna» et bien d’autres, ainsi que les splendides peintures
«Baccanali», «Spiaggia» ou celles de la série «Ricupero» et j’en passe. L’exceptionnel
talent d’Attilio Carissimi, sa polyvalence, son indépendance de style et la
subtile harmonie que dégage le concert des oeuvres exposées, si différentes du connu
et s’inscrivant pourtant parfaitement dans le paysage du grand art, ne peuvent
laisser personne indifférent. À voir et
à revoir !
[1] Éditorial Woxx Nr. 1228 du 14 aôut.
[2] Maïté, Galerie d’Art contemporain, 12 avenue Marie-Thérèse,
Luxembourg ville, expo Attilio Carissimi jusqu’au 15 septembre, lundi à
vendredi de 9.00 heures à 19 heures, samedi après-midi de 14.00 à 18.00.
[3] Si vous n’avez pas lu ma présentation sur Roger Dornseiffer
dans nos colonnes le 15 janvier, vous pouvez vous rattraper en ligne sur www.zlv.lu/spip/spip.php?article8755
7 commentaires:
Ah que j'aime cette méditation sur la ville en plein "trou de l'été". Quelle plume !
Enchanté que ma méditation vous ait plu, chère Christiane. Mais n'ai-je pas un peu manqué mon but, si ma présentation d'un peintre amène davantage à aimer ma plume que son pinceau ?
Non, des peintres, nous en connaissons et des bons mais cette scène de vous dans la ville endormie est vraiment très juste, très fine.
Ce Carissimi est vraiment inspiré. J'aime les deux oeuvres que vous présentez. Et la façon dont vous en parler.
J'aime que vous aimiez, Christiane.
Merci !
Vous en parlez en traducteur, d'une langue plastique à une autre, choisissant les mots pour éclairer l’œuvre. Pour nous, lecteurs, c'est un voyage extraordinaire au cœur de ces créations.
Cette toile "fugitive" rejoint dans ma mémoire ces écrans que la pensée dresse entre le réel et notre monde de souvenirs. Quant au buste, il associe tant de douceur à tant de force (matière). Oui, c'est une belle halte.
C'est vrai, chère Christiane, en traduttore qui fait de non mieux pour ne pas être traditore.
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