Le parfum français de
Amir Tajelsir
Pour le roman arabe, l’Occident est avant tout l’ancienne métropole coloniale. Tel est le cas dans des œuvres aussi diverses que « Un oiseau d’Orient » (1938) de Tawfiq al- Hakim, « Le Quartier Latin »(1953) de Souheil Idriss ou encore « Saison d’une migration vers le Nord » (1969) (traduit sous le titre Le Migrateur) du Soudanais Tayeb Salih.
Dans ces œuvres, l’Occident se résume en deux villes : Paris et Londres, métropoles culturelles, universitaires mais surtout villes très féminines. Un espace où tous les fantasmes sont permis. Chez le Soudanais Tayeb Salih, le héros s’assimile à Othello et se voit conquérant l’Europe à la seule force de l’amour. Il s’agit souvent de prendre sa revanche par l’amour. Avec Amir Tajelsir, il semble que les choses aient changé. Le roman semble être l’expression de nouveaux développements dans cette relation Nord-Sud. Résumons rapidement le roman : Ali Jarjar, personnage excentrique vivant dans une ville du Soudan, apprend qu’une Française viendra dans son quartier. Il est chargé de l’accueillir. Cathia, parcourant l’Afrique, tarde à venir. Et de situation loufoque en situation loufoque, le personnage tombe amoureux de cette « arlésienne ». Et il va même jusqu’à l’épouser pour terminer dans de paranoïaques crises de jalousie où il commet l’irréparable.
Ainsi donc le roman ne se déroule pas à Londres, mais au Soudan. Et il ne s’agit pas d’une britannique mais d’une française. La connotation coloniale est ainsi écartée. Et le voyage en Europe ne relève plus que du rêve. Il est surtout incarné par un personnage Copte voulant fuir une conversion à l’islam par trop irréfléchie. Une conversion qui allait lui coûter des mois de jeûne, l’aumône qu’il doit payer et son prépuce.
Ici, bien que l’Occident continue à faire rêver, il n’en est pas moins chimérique. Tout se passe comme si le Sud réalisait pleinement que le Nord avait perdu sa consistance, sa réalité. Tout se passe comme si le Nord ne pouvait plus s’incarner. Pourtant, le rêve est toujours le même. Il n’est que plus onéreux.
Il est significatif à cet égard que l’Occident ne mobilise plus que la plus évanescente des sensations, la plus fugitive : la sensation olfactive. L’Occident n’est plus qu’un parfum grisant jusqu’à l’aliénation.
Voici la première page du roman en arabe avec sa traduction en français. Si je présente ici ma propre traduction, c’est uniquement parce que je n’ai encore eu accès à celle de l’éminent arabisant Xavier Luffin qui vient d’être publiée aux éditions l’Harmattan
Amir Tajelsir
Pour le roman arabe, l’Occident est avant tout l’ancienne métropole coloniale. Tel est le cas dans des œuvres aussi diverses que « Un oiseau d’Orient » (1938) de Tawfiq al- Hakim, « Le Quartier Latin »(1953) de Souheil Idriss ou encore « Saison d’une migration vers le Nord » (1969) (traduit sous le titre Le Migrateur) du Soudanais Tayeb Salih.
Dans ces œuvres, l’Occident se résume en deux villes : Paris et Londres, métropoles culturelles, universitaires mais surtout villes très féminines. Un espace où tous les fantasmes sont permis. Chez le Soudanais Tayeb Salih, le héros s’assimile à Othello et se voit conquérant l’Europe à la seule force de l’amour. Il s’agit souvent de prendre sa revanche par l’amour. Avec Amir Tajelsir, il semble que les choses aient changé. Le roman semble être l’expression de nouveaux développements dans cette relation Nord-Sud. Résumons rapidement le roman : Ali Jarjar, personnage excentrique vivant dans une ville du Soudan, apprend qu’une Française viendra dans son quartier. Il est chargé de l’accueillir. Cathia, parcourant l’Afrique, tarde à venir. Et de situation loufoque en situation loufoque, le personnage tombe amoureux de cette « arlésienne ». Et il va même jusqu’à l’épouser pour terminer dans de paranoïaques crises de jalousie où il commet l’irréparable.
Ainsi donc le roman ne se déroule pas à Londres, mais au Soudan. Et il ne s’agit pas d’une britannique mais d’une française. La connotation coloniale est ainsi écartée. Et le voyage en Europe ne relève plus que du rêve. Il est surtout incarné par un personnage Copte voulant fuir une conversion à l’islam par trop irréfléchie. Une conversion qui allait lui coûter des mois de jeûne, l’aumône qu’il doit payer et son prépuce.
Ici, bien que l’Occident continue à faire rêver, il n’en est pas moins chimérique. Tout se passe comme si le Sud réalisait pleinement que le Nord avait perdu sa consistance, sa réalité. Tout se passe comme si le Nord ne pouvait plus s’incarner. Pourtant, le rêve est toujours le même. Il n’est que plus onéreux.
Il est significatif à cet égard que l’Occident ne mobilise plus que la plus évanescente des sensations, la plus fugitive : la sensation olfactive. L’Occident n’est plus qu’un parfum grisant jusqu’à l’aliénation.
Voici la première page du roman en arabe avec sa traduction en français. Si je présente ici ma propre traduction, c’est uniquement parce que je n’ai encore eu accès à celle de l’éminent arabisant Xavier Luffin qui vient d’être publiée aux éditions l’Harmattan
Pour écouter un extrait du roman : http://www.zshare.net/audio/7631249713f4a447/
Le parfum français Amir Tagelsir
Chapitre I
Quand parvient une nouvelle
Ce n’était pas une nouvelle ordinaire que celle que Ali Jarjar glana par hasard et qu’il ramena au pas de course au quartier populaire Gayeb où il vit à la périphérie de la ville. Bien que la nouvelle en soi fût laconique, imprécise et sans indice aucun, les fantasmes de Jarjar étaient toujours à l’œuvre, à tout moment prêts à la transformer en nouvelle importante et décisive.
Dans quelques jours, la Française Cathia Cadouli viendra habiter avec vous pour un certain temps dans le cadre d’une étude internationale… Accueillez-là n’importe où parmi vous et continuez à vivre normalement.
C’est exactement ce qu’a dit Mabrouk, le responsable du Gouvernement lorsqu’il reçut Ali Jarjar au siège de la Préfecture de la ville qu’il avait pris le pli de visiter de temps en temps avec ou sans raison. Le responsable le connaît depuis plus de quarante ans, un jour qu’ils s’étaient affrontés lors d’un match de foot assez rude qui eut lieu dans une impasse minable et où le futur responsable se fractura le pied. Il appela Jarjar alors que celui-ci était sur le point de promettre à Sarira, la vendeuse de thé en fraction devant la Préfecture, le mariage comme il l’avait fait auparavant avec des dizaines d’autres :
Eh Ali..Eh Jarjar…
Il en resta dans sa promesse à la vendeuse à la valeur de la dot et au poids de la bague qu’elle mettrait pour la noce et il suivit le responsable du Gouvernement à l’intérieur de la bâtisse.
De quelle étude internationale s’agit-il exactement ? Et pourquoi à Gayeb et pas ailleurs dans le monde ?
En vérité nous n’en savons rien. C’est tout ce qui nous est parvenu jusqu’à maintenant.
Et quand est-ce qu’elle arrive cette Française ?
Nous n’en savons rien non plus ; peut-être dans les jours ou dans les semaines qui viennent.
Et qu’est-ce qu’on demande aux habitants du quartier ?
Rien de précis. Comme je te l’ai dit : « vivez normalement mais prenez bien garde qu’il y a une étrangère parmi vous. »
Le responsable du Gouvernement s’en alla à ses travaux laissant Ali Jarjar intrigué. Il a longuement vécu au quartier Gayeb (Absent) que les autorités ont échoué à baptiser quartier Nour (Lumière) ou Zahr Raoudha (fleurs du jardin) ou même Hader (Présent) et ils ont accueilli des centaines d’étrangers. Certains étaient des hôtes d’une connaissance ou d’un parent, d’autres venaient se cacher après un forfait commis très loin, d’autres espéraient devenir propriétaire après une longue mainmise sur un terrain, d’autres encore venaient pour une femme désirée et d’autres rien que parce qu’ils étaient étrangers accueillis par un quartier pauvre. Aussi nombreuses et bigarrées qu’elles fussent, ces foules d’étrangers étaient toutes de cette terre. Elles pouvaient être du Nord, du Sud ou du Centre, elles appartenaient au même corps qu’est ce vaste pays.
Chapitre I
Quand parvient une nouvelle
Ce n’était pas une nouvelle ordinaire que celle que Ali Jarjar glana par hasard et qu’il ramena au pas de course au quartier populaire Gayeb où il vit à la périphérie de la ville. Bien que la nouvelle en soi fût laconique, imprécise et sans indice aucun, les fantasmes de Jarjar étaient toujours à l’œuvre, à tout moment prêts à la transformer en nouvelle importante et décisive.
Dans quelques jours, la Française Cathia Cadouli viendra habiter avec vous pour un certain temps dans le cadre d’une étude internationale… Accueillez-là n’importe où parmi vous et continuez à vivre normalement.
C’est exactement ce qu’a dit Mabrouk, le responsable du Gouvernement lorsqu’il reçut Ali Jarjar au siège de la Préfecture de la ville qu’il avait pris le pli de visiter de temps en temps avec ou sans raison. Le responsable le connaît depuis plus de quarante ans, un jour qu’ils s’étaient affrontés lors d’un match de foot assez rude qui eut lieu dans une impasse minable et où le futur responsable se fractura le pied. Il appela Jarjar alors que celui-ci était sur le point de promettre à Sarira, la vendeuse de thé en fraction devant la Préfecture, le mariage comme il l’avait fait auparavant avec des dizaines d’autres :
Eh Ali..Eh Jarjar…
Il en resta dans sa promesse à la vendeuse à la valeur de la dot et au poids de la bague qu’elle mettrait pour la noce et il suivit le responsable du Gouvernement à l’intérieur de la bâtisse.
De quelle étude internationale s’agit-il exactement ? Et pourquoi à Gayeb et pas ailleurs dans le monde ?
En vérité nous n’en savons rien. C’est tout ce qui nous est parvenu jusqu’à maintenant.
Et quand est-ce qu’elle arrive cette Française ?
Nous n’en savons rien non plus ; peut-être dans les jours ou dans les semaines qui viennent.
Et qu’est-ce qu’on demande aux habitants du quartier ?
Rien de précis. Comme je te l’ai dit : « vivez normalement mais prenez bien garde qu’il y a une étrangère parmi vous. »
Le responsable du Gouvernement s’en alla à ses travaux laissant Ali Jarjar intrigué. Il a longuement vécu au quartier Gayeb (Absent) que les autorités ont échoué à baptiser quartier Nour (Lumière) ou Zahr Raoudha (fleurs du jardin) ou même Hader (Présent) et ils ont accueilli des centaines d’étrangers. Certains étaient des hôtes d’une connaissance ou d’un parent, d’autres venaient se cacher après un forfait commis très loin, d’autres espéraient devenir propriétaire après une longue mainmise sur un terrain, d’autres encore venaient pour une femme désirée et d’autres rien que parce qu’ils étaient étrangers accueillis par un quartier pauvre. Aussi nombreuses et bigarrées qu’elles fussent, ces foules d’étrangers étaient toutes de cette terre. Elles pouvaient être du Nord, du Sud ou du Centre, elles appartenaient au même corps qu’est ce vaste pays.
حين يأتي خبر ما
لم يكن خبراً عادياً، ذلك الذي التقطه (علي جرجار) مصادفة، وأسرع به راكضاً إلى حي (غائب) الشعبي في أطراف المدينة حيث يعيش. وبالرغم من أن الخبر في حد ذاته كان مقتضباً وغامضاً وبلا علامات إرشادية، إلا أن خيالات جرجار كانت حاضرة دائماً، ومستعدة لتطويره في أي وقت، إلى خبر ذي جدوى وتأثير.· ستأتي الفرنسية (كاتيا كادويلي) في الأيام القادمة، للإقامة معكم في الحي فترة من الوقت، كجزء من دراسة عالمية .. استضيفوها في أي مكان بينكم، وعيشوا حياتكم كما هي .هذا بالضبط ما ذكره المسئول الحكومي (مبروك)، حين التقى (علي جرجار) في مبنى محافظة المدينة التي اعتاد على زيارتها من حين لآخر بهدف وبلا هدف. يعرفه المسئول منذ أكثر من أربعين عاماً، حين تواجها مرة في مباراة كرة قدم خشنة، جرت في زقاق ضحل، وانكسرت فيها قدم الحكومي آنذاك. ناداه وهو يوشك أن يعد (سريرة) بائعة الشاي المرابطة أمام المحافظة، بالزواج كما وعد العشرات من قبلها.· يا جرجار .. يا علي ..توقف بوعده للبائعة عند قيمة المهر، وعدد الجرامات في الخاتم الذي سترتديه يوم الزفاف، وتبع المسئول الحكومي إلى داخل المبنى.· وما هي تلك الدراسة العالمية بالضبط ؟ ولماذا حي غائب بالذات دون أحياء الكرة الأرضية؟· لا ندري شيئا في الحقيقة .. هذا ما وصلنا حتى الآن.· ومتى ستصل تلك الفرنسية ؟· أيضا لا ندري .. ربما في الأيام أو الأسابيع المقبلة.· وما هو المطلوب من سكان الحي؟· لا شيء محدد..عيشوا حياتكم كما أخبرتك، فقط انتبهوا إن بينكم غريب .انصرف المسئول الحكومي إلى أشغاله، تاركاً علي جرجار حائراً .. في أثناء سكناه الطويلة في حي (غائب) الذي حاولت السلطة مراراً أن تسميه حي النور، أو حي (زهر الروضة) أو حتى حي (حاضر)، وأخفقت .. استضافوا مئات الغرباء، بعضهم جاء ضيفاً على أحد يعرفه أو يمت إليه بصلة القرابة، بعضهم اختفاء من جرم ارتكب في مكان بعيد، بعضهم طمعاً في أرض يمتلكها بوضع اليد، أو امرأة يشتهيها، وبعضهم لا لشيء أكثر من كونهم غرباء يستضيفهم حي فقير. ومها كانت تلك الأفواج الغريبة ومهما كثرت أعدادها وتشعبت، إلا أنها كانت كلها من لحم الوطن، قد تكون من الشمال أو الجنوب، أو الوسط. لكنها في النهاية تتبع لذلك الجسد الوطني العريض.